Commission des affaires étrangères

Réunion du 1er avril 2015 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Conseil des ministres franco-allemand du 31 mars 2015

La séance est ouverte à seize heures trente.

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Monsieur le secrétaire d'État, nous vous remercions d'être venu évoquer avec nous les conclusions du dix-septième Conseil des ministres franco-allemand qui s'est déroulé hier à Berlin. Trois grands thèmes ont principalement été abordés : l'économie, la défense et les affaires étrangères.

Les questions économiques étaient à l'ordre du jour comme elles le sont toujours lorsque le Président François Hollande rencontre la chancelière Angela Merkel. Que pouvez-vous nous dire des démarches conjointes menées afin de mettre en oeuvre le plan d'investissement Juncker ? Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les projets franco-allemands envisagés dans ce cadre, notamment dans le domaine de l'énergie et de l'économie numérique ?

Les questions de défense étaient aussi au coeur des discussions. Nous savons que des projets industriels et stratégiques portent sur la nouvelle génération de drones européens et l'observation satellite mais, en matière de coopération militaire, nous avons le sentiment que les conclusions du Conseil sont beaucoup plus timides. Certes, la brigade franco-allemande participe à des actions de formation de l'armée malienne, cependant nous considérons que l'engagement de nos partenaires allemands à nos côtés, et celui de nos autres partenaires européens, devrait être plus important. La France ne peut assumer seule la sécurité en Afrique. À deux mois du prochain Conseil européen en partie consacré à la défense, que pouvez-vous nous dire sur le sujet ?

La stratégie européenne de sécurité est en cours de révision : quel type d'échanges avons-nous avec nos amis Allemands sur ces questions ? La Commission vient d'engager un important travail sur la possibilité que le prochain programme budgétaire pluriannuel finance des programmes de recherche duale, non seulement civile mais aussi militaire. Nous serions au-delà de l'horizon 2020, mais il s'agirait d'une percée sans précédent. Un groupe de travail à haut niveau auquel j'ai l'honneur d'appartenir s'est réuni sur ce sujet en début de semaine.

Quel est l'état d'esprit de nos partenaires allemands à l'égard de l'Ukraine ? Nous avons évidemment accueilli très positivement l'action commune menée à Minsk pour la conclusion d'un accord qui reste à appliquer.

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

Je suis très heureux de pouvoir vous rendre compte du Conseil des ministres franco-allemand particulièrement dense qui s'est réuni ce mardi à Berlin sous la présidence de la Chancelière fédérale et du Président de la République.

Après la catastrophe aérienne du 24 mars, le Conseil a d'abord été marqué par une très grande émotion et par les remerciements adressés par la Chancelière et de nombreux membres du Gouvernement fédéral à la France, à ses services publics et à ses autorités. Ils ont particulièrement salué la réactivité des services de sécurité civile, les réactions de la population des Alpes-de-Haute-Provence et de Seyne-les-Alpes, ainsi que l'accueil réservé aux familles des victimes et aux autorités allemandes qui se sont rendues sur place. Mme l'ambassadeur d'Allemagne en France, qui a passé cinq jours sur les lieux du crash, a été particulièrement touchée par le fait que ces autorités ont été totalement associées à la conduite de l'enquête sans que la nationalité soit en aucune façon un obstacle.

La Chancelière et le Président de la République ont constaté que, depuis le début de l'année, la solidarité consécutive aux attentats de Paris du mois de janvier dernier et les démarches conjointes menées pour les accords de Minsk témoignaient, au-delà de la coopération et de l'amitié traditionnelle entre nos deux pays, d'un véritable esprit de fraternité.

M.Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, a présenté une communication relative à l'enquête. Des moyens considérables ont été mobilisés pour l'identification de toutes les victimes. Elle devrait être achevée, si tout se passe comme prévu, d'ici à la fin de la semaine.

Chacun des sujets abordés ensuite a fait l'objet d'une intervention conjointe des ministres français et allemands qui s'étaient réunis, chacun avec leur homologue, avant le Conseil lui-même.

Les deux ministres des affaires étrangères, M.Laurent Fabius et M.Frank-Walter Steinmeier, ne se trouvant pas à Berlin mais à Lausanne, où ils participaient ensemble aux négociations relatives au nucléaire iranien – ce qui constitue une manifestation supplémentaire de la cohésion franco-allemande –, les deux ministres de la défense, M.Jean-Yves Le Drian et Mme Ursula von der Leyen, ont rendu compte des actions communes menées en matière d'affaires étrangères et de défense. Ils ont évoqué, comme vous venez de le faire à juste titre, madame la présidente, l'engagement de la brigade franco-allemande pour former l'armée malienne, et la solidarité manifestée par les Allemands à l'égard des opérations menées par la France en Afrique. Vous avez également eu raison de parler de la préparation du Conseil européen du mois de juin prochain qui sera consacré aux questions de défense : elle fera l'objet d'une intense coordination entre nos deux pays. Nous soutiendrons ensemble des propositions pour renforcer l'appui aux armées de nos partenaires africains, en particulier grâce à l'initiative Train and equip – en anglais dans la terminologie européenne – qui vise à augmenter nos soutiens en matière de formation et d'équipement.

Par ailleurs deux décisions très concrètes ont été annoncées en matière de coopération bilatérale industrielle touchant au domaine extrêmement sensible du recueil d'informations. L'une concerne une nouvelle coopération en matière de capacités d'observation par satellite de nouvelle génération – systèmes CSO et SARah. L'autre est relative au lancement d'un travail commun mené avec l'Italie en vue de développer un programme de drones de surveillance (MALE). J'indique, en prenant toutes les précautions d'usage, que cet équipement, qui a vocation à servir à l'observation conformément aux doctrines en cours, pourrait, demain, si le Parlement donnait son accord, constituer un outil commun pour l'action.

La question du climat constitue une priorité pour nos deux pays qui mettront en oeuvre les décisions prises dans le cadre de l'Union de l'énergie, du paquet énergie-climat et de la politique de réduction des gaz à effet de serre. Ils coordonneront leurs efforts à chaque étape de l'adoption des législations nécessaires.

Aujourd'hui, l'urgence est à la préparation de la COP 21. M.Laurent Fabius l'a déjà dit devant votre commission : nous sommes convaincus que nous ne parviendrons à un accord à Paris, au mois de décembre prochain, que si les négociations entre les parties ont abouti avant l'ouverture de la conférence. Nous ne pouvons pas aller de conférence en conférence et reproduire ce qui s'est passé à Copenhague en décembre 2009 en pensant qu'il suffirait que les chefs d'État se réunissent durant quelques jours pour que des décisions soient prises. Les implications sont considérables pour le modèle énergétique, industriel et économique qui est le nôtre. Une solidarité internationale doit aussi se manifester, je pense au Fonds vert pour le climat, et se traduire par des engagements et la mise en place de mécanismes de vérification. Je rappelle que l'enjeu est de sauver la planète en empêchant que la température ne s'élève de plus de deux degrés Celsius d'ici à la fin du siècle. L'Allemagne s'est engagée à apporter tout son aide au processus de négociation en cours, notamment lors du Dialogue de Petersberg sur le climat qui se déroulera à Berlin, le 19 mai prochain, et lors du sommet du G7 qu'elle présidera, au mois de juin, à Elmau.

Une déclaration des ministres chargés de l'énergie et de l'environnement, Mme Ségolène Royal, M.Sigmar Gabriel et Mme Barbara Hendricks, a par ailleurs confirmé la convergence franco-allemande dans le domaine des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique ou du stockage de l'électricité.

Trois réunions relatives aux questions économiques et financières ont eu lieu préalablement au Conseil des ministres : l'une entre les ministres des finances, M.Michel Sapin et M. Wolfgang Schäuble, une autre entre les ministres de l'économie, M.Emmanuel Macron et M. Sigmar Gabriel, et une dernière entre notre ministre de la culture, Mme Fleur Pellerin, et M. Olaf Scholz, Plénipotentiaire de la République fédérale d'Allemagne représentant les Länder sur les sujets de culture et d'éducation, lesquels relèvent exclusivement de leur compétence.

Les deux Gouvernements se sont engagés à favoriser l'investissement en Europe et à contribuer à la mise en oeuvre du plan Juncker. Dans ce cadre, les ministres de l'économie ont énuméré huit domaines dans lesquels seront présentés des projets d'investissements communs susceptibles d'être accompagnés par ce plan. Les réseaux transfrontaliers concerneront notamment l'interconnexion électrique de deux pays. Les fonds communs viseront à promouvoir les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Un partenariat franco-allemand en matière de réseaux intelligents jouera également un grand rôle dans les stratégies d'économies d'énergie. Une région modèle pilote transfrontalière franco-allemande sera notamment active dans le domaine des réseaux numériques intelligents. Des programmes d'efficacité énergétique s'appliqueront aux bâtiments publics et aux logements privés. Une infrastructure transfrontalière de stations de recharge pour les batteries de véhicules électriques sera créée. Le capital-risque pour les entreprises innovantes sera développé. Un soutien sera apporté aux investissements dans les usines et les chaînes pilotes spécialisées, notamment dans le secteur du numérique – ce que les Allemands appellent « l'usine 4.0 » et les Français « l'usine du futur » –, l'enjeu étant de maintenir en Europe les industries de haut niveau.

Concernant le numérique, nos deux pays se sont accordés sur la défense d'un agenda numérique ambitieux, sur la construction d'une véritable Europe numérique, et sur la nécessité d'une régulation de la fiscalité et des plateformes. Ils souhaitent préserver les mécanismes de financement de la création, c'est-à-dire le droit d'auteur, et expriment une position commune concernant la neutralité technologique et la mise en place d'un taux réduit de TVA applicable aux livres numériques et à la presse en ligne. Pour la première fois, les deux Gouvernements ont annoncé ensemble qu'ils défendraient la même approche des industries culturelles et créatives à l'heure du numérique.

Les ministres du travail et de l'emploi et les ministres de l'éducation ont notamment travaillé sur les mobilités des apprentis, sur le développement de plateformes européennes pour l'emploi, comme la plateforme EURES, sur la garantie des droits, et sur la lutte contre le dumping social. La France et l'Allemagne souhaitent que les directives sur le détachement des travailleurs soient encore améliorées. Elles appellent à un renforcement de la responsabilité des entreprises dans ce domaine – ce débat mobilise les Allemands notamment concernant l'application du salaire minimal aux transporteurs routiers en provenance des pays d'Europe centrale et orientale. Pour que nos discussions avec la Commission aboutissent, il est particulièrement important que nous agissions ensemble.

En matière d'éducation, nos deux pays ont signé une convention relative à la reconnaissance des diplômes, des titres et des grades. Elle met à jour les mécanismes actuellement en vigueur et opère une généralisation qui permettra à tous les étudiants, quel que soit leur niveau de diplôme, de poursuivre leur scolarité d'un côté ou de l'autre du Rhin. L'apprentissage des deux langues et les échanges scolaires seront par ailleurs développés.

En matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, le Conseil des ministres a réaffirmé son soutien à la feuille de route adoptée par le Conseil européen du 12 février dernier, et le souhait que le système européen de dossiers passagers (PNR) soit rapidement adopté. Les ministres ont souligné que le drame survenu la semaine dernière dans les Alpes illustrait le besoin que ce système soit mis en place car il a fallu plusieurs heures pour connaître la simple nationalité des passagers présents dans l'avion – aujourd'hui, les compagnies n'enregistrent pas cette information. J'ajoute que les listes des passagers ne sont pas toujours conformes à celle des personnes qui se trouvent réellement dans l'appareil faute d'un contrôle au moment de l'embarquement.

L'espace Schengen constitue un espace de liberté de circulation pour les citoyens mais aussi un espace de contrôle commun des entrées et des sorties du territoire européen par nos services de police. Le Conseil des ministres considère que ce cadre doit permettre des contrôles systématiques des coordonnées des personnes. La France et l'Allemagne soutiennent une modification ciblée du Code frontières Schengen afin de faciliter des contrôles permanents. Elles appellent au renforcement de l'agence Frontex.

L'ancien Premier ministre français, M.Jean-Marc Ayrault, et la Ministre-Présidente de la Sarre, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer ont par ailleurs été chargés d'élaborer, d'ici au prochain Conseil des ministres franco-allemand, des projets bilatéraux pour promouvoir l'intégration au sein de nos sociétés.

Plus que jamais, ce Conseil des ministres franco-allemand a témoigné de la très grande solidité des relations fraternelles entre nos pays, nos peuples et nos Gouvernements. Il a aussi été marqué par l'urgence car l'Europe doit apporter très rapidement des réponses fortes aux risques et aux guerres qui l'entourent. Face à la situation en Ukraine, à celle qui prévaut en Irak ou au Syrie, au chaos qui menace la zone méditerranéenne avec la Libye – avec laquelle le récent attentat de Tunis ne semble pas dépourvu de lien puisqu'il semble établi que les deux terroristes y avaient suivi un entraînement –, et si l'on songe au Yémen, à l'Afrique sahélienne et à l'Afrique de l'Ouest, on mesure l'ampleur des tâches qui sont devant nous. Et nous ne pouvons pas compter sur d'autres ! Comme je le disais en début d'après-midi en répondant à Mme Nicole Ameline lors des questions au Gouvernement : même si la France intervient en premier, nous avons besoin que d'autres s'engagent avec nous. En la matière, le Conseil des ministres franco-allemand a été marqué par une conviction partagée par nos deux pays et par une volonté d'aller plus loin. C'est aussi comme cela qu'il faut lire les décisions prises en matière de coopérations industrielles dans le champ de la défense.

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En matière de défense et de sécurité, nos partenaires européens, notamment les grands pays de l'Union, n'ont pas le même engagement que nous sur certains théâtres. Ces actions représentent pour notre pays un coût considérable. L'idée que ces pays puissent se montrer solidaires sur le plan financier a-t-elle été évoquée ?

Concernant les sujets économiques et la question de l'investissement en faveur de la recherche et de l'innovation, vous avez présenté huit projets franco-allemands. Quels montants seront consacrés à ces dossiers ? Comment ces projets recoupent-ils les plans d'investissement en matière de recherche et d'innovation engagés par l'Union européenne ? J'espère qu'il est bien prévu que tout cela s'additionne, et que les efforts seront coordonnés. Comment les choses s'organiseront-elles en pratique ? Les entreprises de toutes tailles sont concernées ainsi que les centres de recherche : comment seront-ils mobilisés concrètement ? Je pense évidemment au territoire de Grenoble qui porte un grand intérêt aux réseaux intelligents, aux infrastructures de recharge pour les véhicules électriques, aux nanotechnologies et aux biotechnologies.

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Monsieur le secrétaire d'État, mercredi dernier, au Sénat, dans le cadre d'une audition conjointe par les commissions européennes des deux chambres, vous nous avez fait part de vos attentes concernant le Conseil des ministres franco-allemand du 31 mars. Toutes les questions que vous aviez évoquées ont-elles été abordées ? Êtes-vous satisfait des résultats obtenus ?

Concernant l'Afrique, j'ai cru comprendre que les ministres français des affaires étrangères et de la défense déploraient le manque d'engagement de l'Allemagne. La rencontre d'hier a-t-elle permis de progresser en la matière ?

Le ministre de l'économie a évoqué l'Europe à deux ou plusieurs vitesses, et la capacité européenne d'emprunt. Ces questions sont sensibles : parviendrez-vous à avancer dans ces domaines ?

Permettez enfin au frontalier que je suis de vous interroger sur le sort des 70 000 retraités vivant en France après avoir travaillé en Allemagne : ils demandent que leur pension ne soit plus imposée deux fois. Obtiendront-ils bientôt satisfaction ?

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Le réexamen de la stratégie européenne de sécurité est-elle à l'ordre du jour, notamment pour ce qui concerne la politique européenne de voisinage (PEV) que ce soit sur le flanc est ou sud de l'Union ? Ces sujets seront-ils abordés lors du Conseil européen du mois de juin ?

Nous souhaitons qu'un travail soit mené par Mme Federica Mogherini, la nouvelle Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, afin de rationaliser l'activité du service européen pour l'action extérieure (SEAE). Certes, des progrès ont été accomplis en matière de gestion de crise – notamment grâce à notre ambassadeur M. Pierre Vimont –, mais il reste encore du chemin à parcourir, notamment dans la perspective du partenariat entre l'Union et l'OTAN. Ce sujet fait-il partie de ceux qui seront traités au mois de juin ? En définitive, le résultat de l'initiative « former et équiper » dépend de toutes ces questions. Avançons-nous sur ces sujets ?

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Mes chers collègues, je vous informe que, dès le mois d'octobre dernier, j'ai invité Mme Federica Mogherini à venir s'exprimer devant notre commission. Nous avons aujourd'hui un petit espoir qu'elle puisse se libérer au début du mois de juin.

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Monsieur le secrétaire d'État, je lis dans le communiqué publié à l'issue de la réunion du Conseil des ministres franco-allemand que les deux Gouvernements « réaffirment leur attachement à la transparence des négociations commerciales » du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement avec les États-Unis. Pour qu'ils y soient attachés, encore faudrait-il que cette transparence existe ! Les parlementaires que nous sommes n'ont par exemple qu'un accès très partiel aux informations relatives à ces négociations qui, lorsqu'elles sont diffusées, ne donnent même pas lieu à une traduction en français, ce qui n'en facilite pas l'accès. La mention de la transparence dans le communiqué n'est-elle qu'une déclaration de principe ou des mesures concrètes seront-elles prises visant à en finir avec le sentiment que les négociations sont menées dans le dos du peuple ?

Le communiqué indique par ailleurs que la France et l'Allemagne « poursuivront leur étroite coopération afin de parvenir à un règlement pacifique durable de la crise ukrainienne ». Cela m'amène à vous interroger sur la proposition de la Commission européenne d'apporter à l'Ukraine une nouvelle assistance financière qui pourrait s'élever à 1,8 milliard d'euros. Sur quelle base légale serait-elle accordée ? Il semble que ce type d'aide ne soit prévu ni par le Fonds de solidarité de l'Union européenne ni par la politique européenne de voisinage ni par l'accord d'association très flou passé entre l'Union et l'Ukraine. Savons-nous clairement où finira l'argent en question ? À quelles conditions précises est soumise l'utilisation de cette aide européenne ? Il ne faudrait pas qu'elle serve par exemple à acheter des armes plutôt qu'à aider les civils des régions touchées par la guerre.

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Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi tout d'abord d'exprimer ma satisfaction sur deux points particuliers.

La signature de la convention relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes constitue un véritable pas en avant pour les jeunes de nos deux pays.

La mission confiée à M.Jean-Marc Ayrault et Mme Annegret Kramp-Karrenbauer afin qu'ils élaborent des projets bilatéraux pour promouvoir l'intégration au sein de nos sociétés est également une bonne chose. De nombreuses propositions ont déjà été faites par nos deux Parlements sur ce très vaste sujet : il serait judicieux de les consulter.

J'en viens, ensuite, à trois questions plus délicates.

Notre collègue André Schneider a eu raison de vous interroger sur l'avenant à la convention fiscale franco-allemande applicable aux 70 000 personnes résidant en France qui perçoivent une retraite allemande. J'avais compris que ce document devait être signé par M.Wolfgang Schäuble et M.Michel Sapin, les ministres des finances de nos deux pays, à l'occasion du Conseil des ministres de ce mardi. Je ne vois rien sur le sujet dans le communiqué. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes et nous préciser le calendrier prévu pour une signature, si elle n'a pas eu lieu, et pour la ratification qui suivra ?

Le communiqué indique que : « Les deux gouvernements renouvellent leur soutien au développement de l'Université franco-allemande (UFA) et affirment leur volonté d'en renforcer l'attractivité et de poursuivre la progression du nombre d'étudiants, de doctorants et de jeunes chercheurs d'ici à 2020. » Cette phrase est suffisamment vague pour qu'on puisse imaginer qu'elle évoque, ou pas, la question du financement de l'UFA. Or ce point est essentiel. Monsieur le ministre, vous avez dû rencontrer récemment la présidente et le vice-président de cette université qui sont à la recherche du million d'euros qui manque pour abonder le million promis par l'Allemagne. Ces montants ne permettraient que de maintenir le nombre de cursus existants. Depuis quatre ans, le budget de l'UFA est resté constant alors que le nombre de cursus et d'étudiants a augmenté – chaque année, cette université compte désormais 1 200 diplômés. Si la France ne dégage pas ces crédits, le nombre de cursus devra être réduit, ce qui entre en contradiction avec la « volonté » exprimée hier par le Conseil des ministres.

La question des conflits d'autorité parentale au sein des ex-couples franco-allemands fait l'objet d'un lourd et ancien contentieux. Le sujet est mis sous le tapis depuis plusieurs années, et je crains qu'il n'ait pas été abordé hier. Il est pourtant urgent d'en parler au niveau des ministres, et pas seulement à celui des services ou de quelque mission obscure de nos administrations sans que jamais le Parlement ne soit associé à ces discussions.

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Le sort des enfants des couples binationaux séparés, notamment franco-allemands, est une question particulièrement douloureuse. Lorsque j'étais garde des sceaux, je m'étais investie personnellement sur ce dossier avec mon homologue allemande : nous avions réussi à obtenir une évolution de la législation européenne afin que soit reconnue la compétence du seul tribunal de la résidence du couple au moment de la séparation – la double compétence qui prévalait auparavant posait d'incommensurables problèmes. Il faut encore aller au-delà de ce progrès juridique pour résoudre de nombreuses questions pratiques. Je me souviens que la médiation parlementaire menée par des députées européennes, Mme Pervenche Berès et Mme Evelyn Gebhardt, avait fait un formidable travail sur le sujet. Il faudrait à coup sûr relancer tout cela !

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Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite revenir sur l'implication européenne dans la lutte contre le terrorisme sur le terrain. Hier, dans cette même salle, en présentant avec M.Pierre Lellouche un compte rendu de notre déplacement au Niger, au Burkina Faso et au Mali dans le cadre du groupe de travail de notre commission sur la situation au Sahel, je concluais par ces mots : « Il faut impérativement associer les Européens à la sécurisation du Sahel. » À ce jour, les informations qui nous sont fournies sur le sujet, notamment par le Gouvernement, montrent que la réponse apportée est encore tout à fait insuffisante. Nous considérions aussi hier qu'il faudrait assurer la relève du bataillon néerlandais de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), qui constitue avec le bataillon tchadien la colonne vertébrale de cette force : un contingent européen devra absolument prendre sa place et apporter des compétences de pointe et des équipements vitaux. Aujourd'hui, l'armée française est bien seule au côté de la MINUSMA, laquelle compte plus de soldats venant d'Asie que d'Europe, ce qui à mon sens est un véritable scandale. J'ajoute que la non-réponse sur ce sujet est susceptible de nourrir un sentiment anti-européen, y compris chez nous.

Je précisais encore hier : « Il faudra garantir la pérennité de l'action des forces armées maliennes dans la durée ». Or le mandat de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali) ne sera pas prolongé au-delà de 2016. Dans ces conditions, comment voulez-vous que l'armée malienne prenne efficacement le relais dans les années qui viennent ? Il y a urgence.

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L'Europe n'est pas seulement une question d'argent et d'institutions : c'est aussi un enjeu de société. Il serait bon que l'on accélère le règlement des conflits familiaux au sein des couples franco-allemands séparés : ce sujet, régulièrement abordé par les médias, finit par causer du tort à l'idée européenne et à la relation franco-allemande. Il faut le régler définitivement.

Monsieur le secrétaire d'État, vous souhaitez une accélération du processus d'adoption du PNR. Permettez-moi d'utiliser des mots plus forts : il est scandaleux que le PNR ne soit pas encore en vigueur ! Vous avez eu raison de signaler que ce dispositif aurait eu son utilité dans le cadre de l'enquête sur le crash qui s'est produit la semaine dernière. Imaginez qu'un attentat terroriste ait lieu alors que nous ne disposons toujours pas de cet instrument ! Les choses traînent au Parlement européen depuis dix ans. Je rappelle que le PPE a toujours été favorable au PNR alors que le PSE y était hostile, même s'il a changé d'avis. En tout état de cause, alors que l'image même de l'Europe est engagée, nous sommes coupables de ne pas avancer beaucoup plus vite. On entend parler d'une solution pour la fin de l'année, mais, ce serait déjà bien tard et, de toute façon, aujourd'hui, je ne crois plus aux promesses. La France et l'Allemagne devraient faire preuve en la matière de beaucoup plus de volontarisme.

Concernant l'espace Schengen, vous avez évoqué des contrôles partiels…

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

J'ai parlé de contrôles systématiques.

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Les contrôles systématiques sont indispensables car, aujourd'hui, les frontières ne sont pas étanches. Je pense par exemple à celle entre la Grèce et la Turquie.

Vous voulez faire quelque chose pour Frontex. C'est bien sympathique, mais les crédits de l'agence ont été réduits alors qu'il faudrait les doubler, que dis-je, les tripler. Or les Gouvernements français et allemands se réunissent et ils ne prennent aucune décision pour donner une véritable impulsion en la matière : il faut se contenter d'une déclaration d'ordre générale qui ne débouche sur rien de concret.

Vous évoquez un accord concernant le livre numérique et le droit d'auteur. Quel est l'avis des autres pays européens sur le sujet ? Pourrons-nous aboutir au niveau de l'Union ?

La France s'est engagée à réduire son déficit de 4 milliards d'euros. Comment seront-ils financés ? Le Gouvernement prévoit-il d'augmenter les impôts, de diminuer les prestations sociales ou de faire des économies budgétaires ? Quelles seraient ces économies ? À l'approche des choix, il serait intéressant que le Parlement puisse débattre du sujet, comme le fait le Bundestag.

Je conclus par une remarque sur l'utilisation du français. J'ai lu, sous la plume de M. Jean Quatremer, excellent journaliste spécialisé dans les questions européennes, que M.Michel Sapin avait envoyé un courrier, au sujet des 4 milliards d'économies, à M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires… en anglais. Où va-t-on ? La commission des affaires européennes m'a chargé avec M.Christophe Caresche d'un rapport d'information portant sur l'influence française au sein des institutions européennes. Je trouve que l'on atteint un sommet avec l'exemple que j'ai cité. Pourriez-vous rappeler le principe selon lequel il convient que nos ressortissants utilisent la langue française au sein des institutions européennes ?

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Nous nous associons tous à la dernière remarque de M.Pierre Lequiller.

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Notre commission a reçu ce matin une délégation du Congrès des États-Unis. Les élus américains nous ont interrogés sur l'attitude des Français en matière de sanctions au cas où les accords de Minsk 2 ne seraient pas respectés. Mme la présidente a exprimé une position que je partage. Qu'en est-il du côté des Allemands ?

Le communiqué publié à l'issue du Conseil des ministres indique que « la France et l'Allemagne, agissant en coopération avec l'Italie, ont confirmé vouloir travailler ensemble en vue de développer une nouvelle génération de drones européens à l'horizon 2020-2025 ». Une répartition des tâches équitable entre les trois pays a-t-elle déjà eu lieu ? Ne risquons-nous pas d'être les « dindons de la farce », si je puis utiliser cette expression, dans un domaine où nous accusons aujourd'hui un certain retard ?

Concernant l'application au livre numérique d'un taux réduit de TVA, le communiqué précise que « les deux pays s'emploieront donc ensemble à ce que les modifications nécessaires soient apportées à la législation européenne ». De quelles modifications s'agit-il ? Sous quel délai doivent-elles intervenir ? On sait bien que l'enfer est parfois pavé de bonnes intentions.

Arte est sans doute l'une des plus belles chaînes de notre paysage audiovisuel. Comment sa diffusion évolue-t-elle ? Sera-t-elle limitée à la France et à l'Allemagne ?

Le PNR me semble relativement facile à mettre en oeuvre, ce qui n'a malheureusement pas encore été fait. Si la catastrophe de la semaine dernière avait été un attentat, nous en aurions eu bien besoin.

L'Allemagne et la France souhaitent également « que de nouvelles actions substantielles soient entreprises en matière de lutte contre le financement du terrorisme ». Monsieur le secrétaire d'État, que signifie précisément « actions substantielles » ?

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La question de la solidarité financière entre membres de l'Union a déjà été évoquée. Il s'agit d'une urgence politique, cela a aussi été dit. Nous sentons néanmoins qu'il y a derrière cette faiblesse un problème politique lié au tropisme ukrainien au sein de l'Europe comme de l'OTAN. Il faut que vous contribuiez à réorienter les priorités européennes pour tenir compte de la menace stratégique globale que représente le terrorisme. La France se donne-t-elle les moyens de soutenir nos amis britanniques dans cet effort ? Nous sentons un affaiblissement en la matière.

En espérant aller vers une unité politique européenne, peut-on imaginer qu'un redéploiement des aides de l'Union se fasse vers la région méditerranéenne de manière à stabiliser des pays qui sont aujourd'hui totalement désorganisés – la désorganisation nourrit le terrorisme, qui nourrit la désorganisation ? L'Europe a un rôle à jouer dans cette partie du monde : elle doit agir de manière forte, et être reconnue, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je crains que le manque de visibilité soit extrêmement préjudiciable à notre participation à la reconstruction de la région.

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Le communiqué relatif au Conseil des ministres évoque « une politique de sécurité et de défense commune plus forte et plus efficace dans un esprit de solidarité ». La France aura dépensé l'année dernière 1,2 milliard d'euros au titre des opérations extérieures (OPEX) : qu'en est-il de la « solidarité » de nos partenaires en la matière ? Sur le plan financier, nous attendons toujours qu'elle se manifeste : elle en reste au stade du voeu pieux.

De façon générale, nous trouvons bien dans le communiqué une mesure concrète concernant le passage en commun à un taux réduit de TVA sur le livre numérique, mais pour le reste, qu'en est-il ? Les deux pays « réaffirment leur attachement à la transparence des négociations commerciales », « soulignent l'importance d'un agenda ambitieux de lutte contre l'optimisation abusive et la concurrence fiscale dommageable », mettront en oeuvre « des projets concrets de coopération, dans le domaine des énergies renouvelables », « soutiennent un agenda numérique ambitieux ». Tout cela, c'est du vent : les mêmes phrases se retrouvent dans tous les sommets.

Comment les choses avancent-elles vraiment ? La question de l'harmonisation fiscale et sociale, dont on parle depuis le traité de Maastricht, a-t-elle été abordée ?

Par ailleurs, le communiqué ne comporte pas un seul mot sur l'aide au développement, qui constitue pourtant un élément important dans la lutte commune contre le terrorisme – à condition qu'elle ne soit pas uniquement le moyen pour les Allemands de pénétrer de nouveaux marchés.

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

Pour répondre à la dernière remarque de M. Bacquet, je précise que le communiqué diffusé à l'issue du Conseil des ministres ne reprend pas nécessairement dans le détail toutes les actions menées en commun dans d'autres instances ou lancées précédemment. Cela ne signifie pas que nous ne faisons pas avancer certains sujets dans divers cadres comme les Conseils des ministres de l'Union, le G7 ou le G20.

Monsieur Michel Destot, la France et l'Allemagne ont annoncé simultanément que leurs caisses des dépôts respectives – la Caisses des dépôts et consignations avec Bpifrance, et la KfW – mettraient 8 milliards d'euros à disposition des projets soutenus dans le cadre du plan Juncker. Ce matin encore j'ai rencontré M. Thierry Francq, le commissaire général adjoint à l'investissement, et j'ai récemment eu l'occasion de discuter avec M. Pierre-André Lemas et Nicolas Dufourq, respectivement directeurs généraux de la Caisse des dépôts et de Bpifrance : je peux vous dire que de très nombreux projets de grande qualité seront présentés pour être soutenus par le Fonds européen d'investissement stratégique (FEIS). Nous dialoguons actuellement avec les collectivités locales, qui peuvent être des métropoles – vous citiez celle de Grenoble que vous connaissez bien, monsieur le député –, et les entreprises, notamment grâce à Bpifrance, afin de nous assurer que tous les projets éligibles puissent bien être présentés. Il arrive aussi que nous les regroupions en plateformes françaises ou européennes par thème : certains portent par exemple sur l'efficacité énergétique et l'isolation de logements – je pense à un regroupement de copropriétés d'Île-de-France –, d'autres sont de nature industrielle, par exemple dans le domaine de l'énergie – stockage, installation de champs d'éoliennes… –, ou relèvent du secteur numérique ou de la santé. Tout est fait pour que la France bénéficie des financements du FEIS en complément de ce qui a été mis en place sur le plan national avec le programme d'investissements d'avenir.

Monsieur André Schneider, vous avez eu raison d'évoquer certains sujets majeurs qui ont été abordés hier même si je ne les ai pas cités dans ma présentation initiale faute de temps. J'ai par exemple traité personnellement avec mon homologue allemand, M.Michael Roth, de la question de la coopération transfrontalière. Nous avons décidé, comme l'indique le communiqué final, de convoquer à Metz, après celle de Sarrebruck en 2013, une deuxième conférence ministérielle sur la coopération transfrontalière franco-allemande, les 6 et 7 juillet prochains. Du côté français, nous avons notamment convié l'Alsace et la Lorraine ainsi que la Champagne-Ardenne, qui appartiendront demain ensemble à une grande région frontalière. Les représentants des trois Länder situés de l'autre côté de la frontière seront évidemment présents afin que tous les aspects de la coopération transfrontalière puissent être traités de façon très concrète.

De la même façon, le Conseil des ministres a abordé, en même temps que les grands enjeux stratégiques, les aspects concrets de la coopération franco-allemande qui ont des conséquences sur le quotidien de nos concitoyens. À ce titre, la signature de la convention relative à la double imposition des retraités, que plusieurs d'entre vous ont évoquée, constitue bien une avancée considérable. Ce problème pendant depuis de nombreuses années est maintenant réglé. D'autres sujets n'ont pas encore trouvé de solution mais continuent de faire l'objet de discussion entre nos deux pays. C'est le cas des conflits parentaux sur lesquels les ministres de la justice, Mme Christiane Taubira et M. Heiko Maas, travaillent. Ils ont abordé le sujet hier lors de leur rencontre préliminaire, mais il faut savoir que les systèmes juridiques relatifs au droit de la famille sont très différents en France et en Allemagne. J'ai bien conscience qu'il y a urgence – la signature de la convention sur les retraités résidents montre le travail mené produit ses fruits et que nous trouvons des solutions.

M.Guy-Michel Chauveau a insisté sur le nécessaire équilibre à conserver entre une politique de voisinage en direction de l'Est et du Sud, et Mme Nicole Ameline a rappelé l'importance de notre solidarité à l'égard de la Méditerranée. Il est vrai qu'il est impossible de séparer les enjeux de stabilité et de développement. En perpétrant un attentat au musée du Bardo, à Tunis, le 18 mars dernier, les terroristes ont visé des Européens, le tourisme, secteur d'activité vital pour le développement économique tunisien, mais aussi le pays qui a réussi sa transition démocratique. Alors que la situation en Ukraine a accaparé l'attention politique de l'Europe et que Kiev bénéficie de nombreuses aides, nous devons également soutenir les pays du sud de la Méditerranée et d'Afrique.

Madame Marion Maréchal-Le Pen, je profite de l'occasion pour vous confirmer que les aides à l'Ukraine sont distribuées sur la base légale, parfaitement connue, de la politique de voisinage, qui vaut aussi bien pour les pays qui se trouvent à l'est de l'Europe que pour ceux qui sont situés au sud. Leur attribution est fortement conditionnée par l'avancement des réformes en matière de stabilisation, de modernisation de l'administration, de lutte contre la corruption et de développement économique.

J'en reviens à notre mobilisation en faveur du sud de la Méditerranée. Elle doit notamment concerner la jeune démocratie tunisienne, où est né le Printemps arabe, et dans laquelle les forces politiques et la société civile sont parvenues à assurer la paix civile. Dimanche dernier, de nombreuses délégations et personnalités étrangères, en particulier européennes, étaient présentes à Tunis pour marquer leur solidarité après l'attentat du musée du Bardo : le Président de la République française, le président de votre assemblée, le Président de la République polonaise, le président du Conseil italien, des représentants de tous les pays qui comptent des ressortissants parmi les victimes, les ministres des affaires étrangères d'Espagne et d'autre pays… Le message du Président de la République tunisienne a été clair : il faut que l'Europe soit là ! Au-delà des marques de solidarité essentielles sur le plan moral et politique, les autorités tunisiennes ont indiqué que leur pays avait aussi besoin d'une solidarité économique. Une réorientation de la politique européenne de voisinage dans cette direction me paraît souhaitable.

Monsieur Chauveau, vous évoquiez aussi l'organisation du SEAE. Un nouveau secrétaire général, M.Alain Leroy, a pris ses fonctions au début du mois : il poursuivra la tâche accomplie de façon remarquable par M. Pierre Vimont. Avant d'être notre ambassadeur à Rome, M.Leroy avait été secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, poste grâce auquel il a acquis une expérience concrète en matière de coordination internationale sur le terrain de la diplomatie, de la sécurité et de la défense. Une prise de conscience générale a bien lieu aujourd'hui concernant la nécessité que l'Europe s'implique beaucoup plus dans sa politique de sécurité.

Cette évolution passera par un renforcement de la solidarité financière dans le financement des OPEX que plusieurs d'entre vous ont évoquée. La France souhaite que le mécanisme budgétaire européen « Athéna », qui permet de couvrir une partie de certains des coûts engagés lors des opérations militaires puisse jouer au-delà du plafond de 10 % actuellement en vigueur. Lors du Conseil européen de juin prochain consacré à l'Europe de la défense, nous voulons que l'on convienne qu'une action militaire menée par un ou des États membres sur la base d'un mandat des Nations unies pour servir des objectifs de sécurité et de stabilité européens doit donner lieu à la manifestation d'une solidarité financière beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. La France fait déjà beaucoup. Nos forces armées, dont nous ne saluerons jamais assez l'efficacité et l'engagement, sont présentes sur de nombreux théâtres d'opérations extérieurs en même temps qu'elles prennent maintenant part au maintien de la sécurité intérieure du pays. Mais la France ne peut pas tout faire !

Madame Maréchal-Le Pen, l'expression par la France et l'Allemagne de leur attachement « à la transparence des négociations commerciales » relative au partenariat transatlantique n'est pas seulement une formule rituelle. Nous avons d'ores et déjà demandé et obtenu que le mandat de négociation soit publié. Nous avons aussi souhaité que les États membres aient accès aux documents relatifs à la négociation et que les divers rounds donnent lieu à des comptes rendus notamment à destination des élus – parlements nationaux et Parlement européen. Le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur a mis en place un comité de politique commerciale auquel des députés sont conviés, et le ministre des affaires étrangères a pris l'engagement devant votre assemblée de rendre compte de l'avancée de négociations, dont rien ne justifie qu'elles soient menées de façon opaque. Je rappelle que plusieurs secteurs de l'économie française concernés ont à gagner à une ouverture plus importante du marché américain, et que l'ouverture du marché européen se fera sans que soient mises en cause un certain nombre de lignes rouges comme l'exception culturelle ou nos normes environnementales, sociales et sanitaires – nous n'accepterons ni le boeuf aux hormones, ni le poulet chloré, ni les OGM. Et nous n'accepterons pas davantage que la capacité de régulation de l'Union et de ses États membres soit remise en question dans ces négociations !

Nous estimons toutefois qu'elles doivent avancer plus rapidement que cela n'a été le cas jusqu'à présent car, je l'ai dit, plusieurs pans de notre économie peuvent en tirer bénéfice. Je pense aux évolutions en matière de reconnaissance des indications géographiques pour nos productions agricoles – plusieurs fédérations de producteurs agricoles demandent d'ailleurs un accès au marché américain –, à l'ouverture des marchés publics ou à la convergence réglementaire en matière de produits industriels.

Monsieur Pierre-Yves Le Borgn', vous vous êtes interrogé sur l'UFA. J'ai rencontré à plusieurs reprises, et jusqu'à la semaine dernière, la présidente et le vice-président de cette université franco-allemande qui est un remarquable succès. Nous avons tenu hier à affirmer notre plein soutien à son développement et nous travaillons afin de trouver les ressources nécessaires pour que davantage d'étudiants bénéficient de formations reconnues dans nos deux pays, qui offrent des débouchés professionnels de très grande qualité.

Monsieur François Loncle vous avez raison : la question des suites à donner à la mission de l'EUTM Mali se pose dès aujourd'hui. Nous pensons qu'il faudra prolonger une action indispensable à la stabilité du pays. De façon générale, il faut que les Européens se mobilisent plus largement et plus rapidement. Il est en effet regrettable qu'autant de temps et de discussions aient été nécessaires pour qu'une soixantaine de soldats issus des pays de l'Union soit mis à la disposition de la nouvelle mission européenne en Centrafrique. Sachant qu'il ne s'agit que de l'un des multiples endroits du monde où il est besoin que l'Europe s'engage, nous sommes tout de même très loin du compte ! Il faut que nous passions à une autre échelle. C'est l'objet des discussions préparatoires en cours avant la réunion du Conseil européen du mois de juin prochain. Si l'on veut que l'Europe assure les missions de stabilisation, de sécurisation et de paix qu'elle considère comme indispensables, il faudra que beaucoup plus d'États membres soient en mesure d'engager des moyens très supérieurs à ceux qui sont dégagés aujourd'hui. En la matière, les différences entre l'action de la France et celle de certains autres États membres est considérable. Certes, de nombreux facteurs ont pu jouer et entraver nos voisins, que ce soit en politique interne – je pense à un vote de la Chambre des communes qui s'opposait à l'intervention en Syrie après l'utilisation d'armes chimiques – ou externe – sur le même sujet, comment ne pas songer à la position de l'administration d'un pays qui n'appartient pas à l'Europe. Nous devons toutefois être capables aujourd'hui de surmonter les réticences qui persistent chez certains. Ce n'est pas le cas chez tous nos partenaires : le rôle de la France est souvent reconnu et de nombreux pays s'engagent à nos côtés. En répondant à Mme Ameline lors des questions au Gouvernement, j'ai cité la Suède, dont deux cents soldats se trouvent aujourd'hui au Mali, avec lequel elle n'a pourtant pas les mêmes liens historiques que la France. Si l'on rapporte ce nombre à l'effectif total de son armée, il s'agit d'un effort remarquable que ne consentent pas tous nos partenaires. Je songe aussi à l'engagement du Danemark dans l'opération aérienne en Irak. Certains États membres qui disposent en théorie de capacités bien plus importantes ne sont malheureusement pas vraiment au rendez-vous.

Monsieur Pierre Lequiller, le blocage de la directive relative au PNR au Parlement européen ne venait ni d'un seul groupe politique ni d'un seul côté de l'hémicycle. Un travail est aujourd'hui en cours sur la base du rapport du député européen Timothy Kirkhope. Globalement, les parlementaires européens semblent avoir pris conscience de la nécessité d'adopter cette réforme, même si l'on trouve encore des opposants au projet au sein de chaque groupe politique et parmi les élus de divers pays. À nous de plaider en sa faveur ! Il faut que nous aboutissions avant la fin de l'année.

Le communiqué diffusé hier insiste sur la nécessité de renforcer les moyens de Frontex. Le budget de l'agence a été augmenté, et il devra l'être encore afin de renforcer les outils de surveillance notamment en mer Méditerranée. Une politique d'immigration commune ne saurait toutefois reposer uniquement sur l'activité de Frontex : il faut aussi, par exemple, enregistrer l'identité des personnes qui entrent sur le territoire pour faire le partage entre ceux qui peuvent bénéficier du droit d'asile et ceux qu'il convient de reconduire, signer des accords avec les pays de transit ainsi qu'avec les pays de provenance… Le contrôle des frontières ne peut passer que par une politique d'ensemble.

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Monsieur le secrétaire d'État, nous vous sommes très reconnaissants de repousser votre départ pour le Sénat pour rester avec nous au-delà de l'horaire prévu, mais je suis malheureusement moi-même dans l'obligation de vous quitter. Je laisse la présidence de cette réunion à M. Michel Destot en vous remerciant pour la précision des informations que vous nous donnez : elles sont à la fois très complètes et très concrètes.

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

Monsieur Lequiller, nous nous sommes félicités que la recommandation de la Commission européenne sur la trajectoire budgétaire de la France corresponde à la programmation budgétaire qui était la nôtre. Pour l'année 2015, la Commission a toutefois demandé que nous engagions une diminution supplémentaire de 0,2 point de PIB de notre déficit structurel, ce qui correspond aux 4 milliards d'euros que vous évoquiez. Le ministre des finances présentera au Parlement les éléments de réduction de la dépense qu'il soumettra ensuite à la Commission. Le Président de la République et le Premier ministre ont été extrêmement clairs : la réponse donnée à Bruxelles ne passera pas par des augmentations d'impôts mais par des économies correspondant à 0,2 point de PIB.

Je puis vous assurer que tous les courriers dont j'ai pu avoir connaissance adressés par Michel Sapin à la Commission européenne sont bien rédigés en langue française. Une traduction a sans doute pu en être faite ensuite par nos propres services, ce qui nous permet de maîtriser la version anglaise des documents que Bruxelles utilise. Nous veillons à l'utilisation du français au sein de l'Union et des institutions européennes.

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J'appelais votre attention sur le recul de l'utilisation de notre langue dans toutes les institutions européennes. Le Gouvernement doit se montrer très vigilant en la matière.

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

Nous le sommes ! Tous les documents européens sont traduits en français qui est une langue de travail de l'Union. La francophonie reste une réalité forte de l'Europe, notamment en matière économique puisque le commissaire compétent est de nationalité française.

Monsieur François Rochebloine, le programme de drone européen vise d'abord à permettre aux Européens de ne plus dépendre de fournisseurs extérieurs à l'Union. Les drones utilisés aujourd'hui sont en effet principalement de fabrication américaine. Il faut que nous fassions en matière de drones ce que nous avons déjà fait dans le secteur de l'aéronautique. Avec nos partenaires allemands et italiens, nous avons décidé de rattraper un retard préjudiciable et de doter l'Europe d'une industrie indépendante en la matière. Cela donnera lieu à un partage des lieux de conception et de production qui se traduira évidemment par des retombées industrielles pour notre pays.

La modification de la législation fiscale européenne évoquée par le communiqué concerne la seule directive TVA qui, à ce jour, ne prévoit pas d'exception pour les biens culturels numériques comme le livre numérique et la presse en ligne. Nous discutons actuellement sur ce sujet avec nos partenaires et la Commission. Cette modification permettra que la Cour de justice ne s'oppose plus à l'application d'un taux réduit de TVA. Elle doit être adoptée à l'unanimité et, même si une majorité d'États membres soutient cette évolution, le partenariat avec l'Allemagne est une fois de plus précieux pour lever les dernières réticences.

Madame Ameline, je crois avoir déjà répondu à l'ensemble de vos questions.

Monsieur Jean-Paul Bacquet, certains des termes utilisés dans le communiqué ont pu vous paraître généraux ; ils font cependant toujours référence à une action à la fois précise et concrète. Derrière l'« agenda ambitieux de lutte contre l'optimisation abusive et la concurrence fiscale dommageable », il y a un paquet de législations très concrètes. Les premières mesures ont été présentées par le commissaire européen chargé de la fiscalité, qui se trouve être M. Moscovici : elles font suite aux positions que la France avait défendues dans le cadre du G20 et de l'OCDE pour lutter contre l'évasion fiscale organisée par les multinationales. Avec l'Allemagne, nous souhaitons que ces mesures nouvelles soient présentées avant le mois de juin prochain. M.Michel Sapin et M. Wolfgang Schäuble ont été hier particulièrement clairs sur notre doctrine en la matière : il n'est pas acceptable que des entreprises puissent jouer de certaines failles du système fiscal européen, du manque de transmission des informations ou d'une opacité comme celle qui prévalaient au Luxembourg lors de la mise en place des tax rulings pour ne pas payer leur part normale d'imposition, notamment leur impôt sur les sociétés, dans le pays où elles réalisent leur chiffre d'affaires et leur activité. Nous voulons que ce principe se traduise dans la législation européenne : il en va de la transparence de nos systèmes fiscaux, des ressources de nos finances publiques et de l'équité fiscale entre les entreprises elles-mêmes, ainsi qu'entre les entreprises et les ménages – si nous voulons baisser les prélèvements des uns et des autres, ce qui constitue l'un de nos objectifs, il faut que chacun en paie sa part. Les entreprises multinationales, européennes et transnationales ne doivent pas être en mesure d'échapper à l'impôt en utilisant le fait que notre système manque d'efficacité et de clarté.

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Monsieur le secrétaire d'État, je me permets de vous interroger à nouveau sur Arte, et sur la position de l'Allemagne quant aux éventuelles sanctions à prendre dans le cadre du conflit entre l'Ukraine et la Russie. La position de notre partenaire est-elle toujours identique à la nôtre ?

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

Le communiqué indique que la France et l'Allemagne encouragent Arte dans sa volonté de mieux distribuer ses programmes culturels en Europe. Il s'agit d'étendre sa diffusion à d'autres pays grâce à des canaux de transmission ou des émissions dans d'autres langues que le français et l'allemand. Un projet est notamment à l'étude qui concernerait la Pologne. Arte resterait évidemment une chaîne franco-allemande, mais d'autres territoires pourraient y avoir accès.

La France et l'Allemagne sont totalement sur la même ligne concernant Minsk. Il n'y a pas d'alternative à la mise en oeuvre des accords de Minsk. Je ne sais pas ce que les membres du Congrès américain ont pu vous dire ce matin, mais nous sommes absolument convaincus que la seule feuille de route qui empêchera une nouvelle escalade militaire consiste à suivre les engagements de l'accord de Minsk, qu'ils concernent le respect du cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes, les échanges de prisonniers, ou qu'ils relèvent de son volet politique – réforme institutionnelle ukrainienne ; élection de représentants des régions de l'est dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine ; récupération par cette dernière, à l'issue du processus surveillé par l'OSCE, du contrôle de sa frontière ; rétablissement de relations de voisinage normales avec la Russie. Tout cela est très difficile, les choses sont très fragiles, mais nous ne dévierons pas de ce chemin. Nous tenons informés tous nos partenaires notamment les Américains. Personne ne doit s'imaginer qu'une solution pourrait consister à armer une partie ou à soutenir l'une d'entre elles contre l'autre. L'Allemagne est totalement en accord avec nous sur cette feuille de route qui est la seule possible. Il n'existe pas de plan B.

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Les sanctions ne coûtent-elles pas plus cher à la France qu'à la Russie ?

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Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes

L'objectif est de faire respecter les accords de Minsk, pas d'imposer des sanctions. Leur reconduction ou leur maintien ne pourra avoir de signification que si ces accords ne sont pas respectés. S'ils sont respectés, à la fin de l'année, nous n'aurions plus de motif pour les maintenir. Les sanctions coûtent très cher à tout le monde : à la Russie qui subit déjà la baisse du coût du pétrole ; à l'Ukraine qui, en période de guerre et d'instabilité, se trouve dans une situation économique désastreuse ; à l'Europe, parce nos exportations vers la Russie et nos investissements dans ce pays en subissent les conséquences. Les sanctions ne sont qu'un outil pour faire respecter la feuille de route des négociations et les accords de Minsk.

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Monsieur le secrétaire d'État, nous vous remercions vivement, d'autant que vous avez accepté de prolonger votre audition d'une demi-heure par rapport à ce qui était prévu. Je propose que vous puissiez revenir vous exprimer devant nous avant le Conseil européen du mois de juin prochain. Nous l'avons constaté : les sujets sur lesquels nous pourrons vous interroger ne manqueront pas.

La séance est levée à dix-huit heures.