Intervention de Harlem Désir

Réunion du 1er avril 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Pour répondre à la dernière remarque de M. Bacquet, je précise que le communiqué diffusé à l'issue du Conseil des ministres ne reprend pas nécessairement dans le détail toutes les actions menées en commun dans d'autres instances ou lancées précédemment. Cela ne signifie pas que nous ne faisons pas avancer certains sujets dans divers cadres comme les Conseils des ministres de l'Union, le G7 ou le G20.

Monsieur Michel Destot, la France et l'Allemagne ont annoncé simultanément que leurs caisses des dépôts respectives – la Caisses des dépôts et consignations avec Bpifrance, et la KfW – mettraient 8 milliards d'euros à disposition des projets soutenus dans le cadre du plan Juncker. Ce matin encore j'ai rencontré M. Thierry Francq, le commissaire général adjoint à l'investissement, et j'ai récemment eu l'occasion de discuter avec M. Pierre-André Lemas et Nicolas Dufourq, respectivement directeurs généraux de la Caisse des dépôts et de Bpifrance : je peux vous dire que de très nombreux projets de grande qualité seront présentés pour être soutenus par le Fonds européen d'investissement stratégique (FEIS). Nous dialoguons actuellement avec les collectivités locales, qui peuvent être des métropoles – vous citiez celle de Grenoble que vous connaissez bien, monsieur le député –, et les entreprises, notamment grâce à Bpifrance, afin de nous assurer que tous les projets éligibles puissent bien être présentés. Il arrive aussi que nous les regroupions en plateformes françaises ou européennes par thème : certains portent par exemple sur l'efficacité énergétique et l'isolation de logements – je pense à un regroupement de copropriétés d'Île-de-France –, d'autres sont de nature industrielle, par exemple dans le domaine de l'énergie – stockage, installation de champs d'éoliennes… –, ou relèvent du secteur numérique ou de la santé. Tout est fait pour que la France bénéficie des financements du FEIS en complément de ce qui a été mis en place sur le plan national avec le programme d'investissements d'avenir.

Monsieur André Schneider, vous avez eu raison d'évoquer certains sujets majeurs qui ont été abordés hier même si je ne les ai pas cités dans ma présentation initiale faute de temps. J'ai par exemple traité personnellement avec mon homologue allemand, M.Michael Roth, de la question de la coopération transfrontalière. Nous avons décidé, comme l'indique le communiqué final, de convoquer à Metz, après celle de Sarrebruck en 2013, une deuxième conférence ministérielle sur la coopération transfrontalière franco-allemande, les 6 et 7 juillet prochains. Du côté français, nous avons notamment convié l'Alsace et la Lorraine ainsi que la Champagne-Ardenne, qui appartiendront demain ensemble à une grande région frontalière. Les représentants des trois Länder situés de l'autre côté de la frontière seront évidemment présents afin que tous les aspects de la coopération transfrontalière puissent être traités de façon très concrète.

De la même façon, le Conseil des ministres a abordé, en même temps que les grands enjeux stratégiques, les aspects concrets de la coopération franco-allemande qui ont des conséquences sur le quotidien de nos concitoyens. À ce titre, la signature de la convention relative à la double imposition des retraités, que plusieurs d'entre vous ont évoquée, constitue bien une avancée considérable. Ce problème pendant depuis de nombreuses années est maintenant réglé. D'autres sujets n'ont pas encore trouvé de solution mais continuent de faire l'objet de discussion entre nos deux pays. C'est le cas des conflits parentaux sur lesquels les ministres de la justice, Mme Christiane Taubira et M. Heiko Maas, travaillent. Ils ont abordé le sujet hier lors de leur rencontre préliminaire, mais il faut savoir que les systèmes juridiques relatifs au droit de la famille sont très différents en France et en Allemagne. J'ai bien conscience qu'il y a urgence – la signature de la convention sur les retraités résidents montre le travail mené produit ses fruits et que nous trouvons des solutions.

M.Guy-Michel Chauveau a insisté sur le nécessaire équilibre à conserver entre une politique de voisinage en direction de l'Est et du Sud, et Mme Nicole Ameline a rappelé l'importance de notre solidarité à l'égard de la Méditerranée. Il est vrai qu'il est impossible de séparer les enjeux de stabilité et de développement. En perpétrant un attentat au musée du Bardo, à Tunis, le 18 mars dernier, les terroristes ont visé des Européens, le tourisme, secteur d'activité vital pour le développement économique tunisien, mais aussi le pays qui a réussi sa transition démocratique. Alors que la situation en Ukraine a accaparé l'attention politique de l'Europe et que Kiev bénéficie de nombreuses aides, nous devons également soutenir les pays du sud de la Méditerranée et d'Afrique.

Madame Marion Maréchal-Le Pen, je profite de l'occasion pour vous confirmer que les aides à l'Ukraine sont distribuées sur la base légale, parfaitement connue, de la politique de voisinage, qui vaut aussi bien pour les pays qui se trouvent à l'est de l'Europe que pour ceux qui sont situés au sud. Leur attribution est fortement conditionnée par l'avancement des réformes en matière de stabilisation, de modernisation de l'administration, de lutte contre la corruption et de développement économique.

J'en reviens à notre mobilisation en faveur du sud de la Méditerranée. Elle doit notamment concerner la jeune démocratie tunisienne, où est né le Printemps arabe, et dans laquelle les forces politiques et la société civile sont parvenues à assurer la paix civile. Dimanche dernier, de nombreuses délégations et personnalités étrangères, en particulier européennes, étaient présentes à Tunis pour marquer leur solidarité après l'attentat du musée du Bardo : le Président de la République française, le président de votre assemblée, le Président de la République polonaise, le président du Conseil italien, des représentants de tous les pays qui comptent des ressortissants parmi les victimes, les ministres des affaires étrangères d'Espagne et d'autre pays… Le message du Président de la République tunisienne a été clair : il faut que l'Europe soit là ! Au-delà des marques de solidarité essentielles sur le plan moral et politique, les autorités tunisiennes ont indiqué que leur pays avait aussi besoin d'une solidarité économique. Une réorientation de la politique européenne de voisinage dans cette direction me paraît souhaitable.

Monsieur Chauveau, vous évoquiez aussi l'organisation du SEAE. Un nouveau secrétaire général, M.Alain Leroy, a pris ses fonctions au début du mois : il poursuivra la tâche accomplie de façon remarquable par M. Pierre Vimont. Avant d'être notre ambassadeur à Rome, M.Leroy avait été secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, poste grâce auquel il a acquis une expérience concrète en matière de coordination internationale sur le terrain de la diplomatie, de la sécurité et de la défense. Une prise de conscience générale a bien lieu aujourd'hui concernant la nécessité que l'Europe s'implique beaucoup plus dans sa politique de sécurité.

Cette évolution passera par un renforcement de la solidarité financière dans le financement des OPEX que plusieurs d'entre vous ont évoquée. La France souhaite que le mécanisme budgétaire européen « Athéna », qui permet de couvrir une partie de certains des coûts engagés lors des opérations militaires puisse jouer au-delà du plafond de 10 % actuellement en vigueur. Lors du Conseil européen de juin prochain consacré à l'Europe de la défense, nous voulons que l'on convienne qu'une action militaire menée par un ou des États membres sur la base d'un mandat des Nations unies pour servir des objectifs de sécurité et de stabilité européens doit donner lieu à la manifestation d'une solidarité financière beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. La France fait déjà beaucoup. Nos forces armées, dont nous ne saluerons jamais assez l'efficacité et l'engagement, sont présentes sur de nombreux théâtres d'opérations extérieurs en même temps qu'elles prennent maintenant part au maintien de la sécurité intérieure du pays. Mais la France ne peut pas tout faire !

Madame Maréchal-Le Pen, l'expression par la France et l'Allemagne de leur attachement « à la transparence des négociations commerciales » relative au partenariat transatlantique n'est pas seulement une formule rituelle. Nous avons d'ores et déjà demandé et obtenu que le mandat de négociation soit publié. Nous avons aussi souhaité que les États membres aient accès aux documents relatifs à la négociation et que les divers rounds donnent lieu à des comptes rendus notamment à destination des élus – parlements nationaux et Parlement européen. Le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur a mis en place un comité de politique commerciale auquel des députés sont conviés, et le ministre des affaires étrangères a pris l'engagement devant votre assemblée de rendre compte de l'avancée de négociations, dont rien ne justifie qu'elles soient menées de façon opaque. Je rappelle que plusieurs secteurs de l'économie française concernés ont à gagner à une ouverture plus importante du marché américain, et que l'ouverture du marché européen se fera sans que soient mises en cause un certain nombre de lignes rouges comme l'exception culturelle ou nos normes environnementales, sociales et sanitaires – nous n'accepterons ni le boeuf aux hormones, ni le poulet chloré, ni les OGM. Et nous n'accepterons pas davantage que la capacité de régulation de l'Union et de ses États membres soit remise en question dans ces négociations !

Nous estimons toutefois qu'elles doivent avancer plus rapidement que cela n'a été le cas jusqu'à présent car, je l'ai dit, plusieurs pans de notre économie peuvent en tirer bénéfice. Je pense aux évolutions en matière de reconnaissance des indications géographiques pour nos productions agricoles – plusieurs fédérations de producteurs agricoles demandent d'ailleurs un accès au marché américain –, à l'ouverture des marchés publics ou à la convergence réglementaire en matière de produits industriels.

Monsieur Pierre-Yves Le Borgn', vous vous êtes interrogé sur l'UFA. J'ai rencontré à plusieurs reprises, et jusqu'à la semaine dernière, la présidente et le vice-président de cette université franco-allemande qui est un remarquable succès. Nous avons tenu hier à affirmer notre plein soutien à son développement et nous travaillons afin de trouver les ressources nécessaires pour que davantage d'étudiants bénéficient de formations reconnues dans nos deux pays, qui offrent des débouchés professionnels de très grande qualité.

Monsieur François Loncle vous avez raison : la question des suites à donner à la mission de l'EUTM Mali se pose dès aujourd'hui. Nous pensons qu'il faudra prolonger une action indispensable à la stabilité du pays. De façon générale, il faut que les Européens se mobilisent plus largement et plus rapidement. Il est en effet regrettable qu'autant de temps et de discussions aient été nécessaires pour qu'une soixantaine de soldats issus des pays de l'Union soit mis à la disposition de la nouvelle mission européenne en Centrafrique. Sachant qu'il ne s'agit que de l'un des multiples endroits du monde où il est besoin que l'Europe s'engage, nous sommes tout de même très loin du compte ! Il faut que nous passions à une autre échelle. C'est l'objet des discussions préparatoires en cours avant la réunion du Conseil européen du mois de juin prochain. Si l'on veut que l'Europe assure les missions de stabilisation, de sécurisation et de paix qu'elle considère comme indispensables, il faudra que beaucoup plus d'États membres soient en mesure d'engager des moyens très supérieurs à ceux qui sont dégagés aujourd'hui. En la matière, les différences entre l'action de la France et celle de certains autres États membres est considérable. Certes, de nombreux facteurs ont pu jouer et entraver nos voisins, que ce soit en politique interne – je pense à un vote de la Chambre des communes qui s'opposait à l'intervention en Syrie après l'utilisation d'armes chimiques – ou externe – sur le même sujet, comment ne pas songer à la position de l'administration d'un pays qui n'appartient pas à l'Europe. Nous devons toutefois être capables aujourd'hui de surmonter les réticences qui persistent chez certains. Ce n'est pas le cas chez tous nos partenaires : le rôle de la France est souvent reconnu et de nombreux pays s'engagent à nos côtés. En répondant à Mme Ameline lors des questions au Gouvernement, j'ai cité la Suède, dont deux cents soldats se trouvent aujourd'hui au Mali, avec lequel elle n'a pourtant pas les mêmes liens historiques que la France. Si l'on rapporte ce nombre à l'effectif total de son armée, il s'agit d'un effort remarquable que ne consentent pas tous nos partenaires. Je songe aussi à l'engagement du Danemark dans l'opération aérienne en Irak. Certains États membres qui disposent en théorie de capacités bien plus importantes ne sont malheureusement pas vraiment au rendez-vous.

Monsieur Pierre Lequiller, le blocage de la directive relative au PNR au Parlement européen ne venait ni d'un seul groupe politique ni d'un seul côté de l'hémicycle. Un travail est aujourd'hui en cours sur la base du rapport du député européen Timothy Kirkhope. Globalement, les parlementaires européens semblent avoir pris conscience de la nécessité d'adopter cette réforme, même si l'on trouve encore des opposants au projet au sein de chaque groupe politique et parmi les élus de divers pays. À nous de plaider en sa faveur ! Il faut que nous aboutissions avant la fin de l'année.

Le communiqué diffusé hier insiste sur la nécessité de renforcer les moyens de Frontex. Le budget de l'agence a été augmenté, et il devra l'être encore afin de renforcer les outils de surveillance notamment en mer Méditerranée. Une politique d'immigration commune ne saurait toutefois reposer uniquement sur l'activité de Frontex : il faut aussi, par exemple, enregistrer l'identité des personnes qui entrent sur le territoire pour faire le partage entre ceux qui peuvent bénéficier du droit d'asile et ceux qu'il convient de reconduire, signer des accords avec les pays de transit ainsi qu'avec les pays de provenance… Le contrôle des frontières ne peut passer que par une politique d'ensemble.

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