Je me réjouis du relatif consensus autour du rejet de la rédaction du Sénat, clairement dirigée contre Google. À propos de l'obligation de mettre à la disposition de l'utilisateur un moyen de consulter d'autres moteurs de recherche, Lionel Tardy a convoqué l'image d'un boucher obligé de faire la promotion de ses concurrents ; un ministre, celle de Renault prié d'afficher sur ses pare-brise une publicité pour Peugeot et Citroën. Non seulement une telle mesure apparaît incohérente, mais de plus elle revient, comme souvent dans le domaine du numérique, à exiger une dégradation du service apporté. Certes, l'acteur en question est un perturbateur, mais – comme dans le cas des VTC et d'Uber –, sa prestation rencontre un réel succès.
L'amendement SPE649 de nos rapporteurs, porté par Christophe Castaner, me surprend à plusieurs titres. Alors que l'article concerne les moteurs de recherche – cités à chacun des alinéas –, l'amendement se concentre sur le code de la consommation, la fourniture, l'échange ou le partage des biens ou des services. Il nous est ensuite soumis sans concertation préalable avec l'écosystème numérique ; or sans consulter les acteurs économiques sur les enjeux du commerce en ligne, sans en connaître les tenants et les aboutissants, nous aurons du mal à nous montrer efficaces.
Plus généralement, la stratégie numérique de la France, votée par le Parlement, ne saurait s'apparenter à un tableau impressionniste, chaque projet de loi ajoutant une petite touche à une sous-thématique. Ce n'est pas ainsi que l'on fait une stratégie. Même si je partage les objectifs de cet amendement et le souci des rapporteurs, c'est une erreur de les amener ainsi, sans concertation et sans définition d'une stratégie globale autour du numérique. Cette attitude nous fait perdre en crédibilité ; l'autodénigrement dont notre pays fait preuve est à bien des égards injuste, mais la manière dont nous, les politiques, traitons ces sujets nous conduit souvent à manquer notre objectif. Ainsi, dès que la loi anti-Amazon votée il y a deux ans a interdit la gratuité de la livraison et les 5 % de réduction, Amazon a fixé le prix de la livraison à 0,01 euro, rendant le texte sur lequel nous avions si longtemps planché immédiatement caduc. Il nous faut changer le mode de pensée sur les sujets liés au numérique. Je propose de supprimer cet article issu du Sénat et de ne pas adopter l'amendement des rapporteurs : la loi sur le numérique, annoncée pour la fin de l'année 2015, permettra de construire un projet global cohérent.