Je ne peux qu'être favorable à l'amendement SPE344 qui propose de supprimer l'article voté par le Sénat, puisque j'y ai moi-même plaidé contre cette disposition. Pour commencer, il est vraisemblablement inconstitutionnel dans la mesure où il constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Il est également inopérant parce qu'il confie une compétence relative au droit de la concurrence à un régulateur – l'ARCEP – inadapté. Je considérais qu'il s'agissait d'un amendement d'appel et pensais, à travers le débat, y avoir répondu ; mais les sénateurs ont souhaité aller jusqu'au bout de leur geste et l'ont voté. Il faut le supprimer car il créerait un dispositif dépourvu de sens, qui fragiliserait la démarche communautaire qu'il convient d'adopter dans ce domaine. On ne peut réguler Google qu'à travers le droit de la concurrence, et la commissaire Margrethe Vestager a d'ailleurs commencé à agir en ce sens : le 25 mars dernier, elle a demandé à Google des explications, en particulier sur ses comparateurs de prix. Pointant les pratiques qui posaient problème au regard du droit de la concurrence – Google a notamment pu favoriser son propre comparateur de prix dans les résultats des recherches –, elle a envoyé un message très clair. Nous connaissons donc le bon point d'entrée – le droit de la concurrence –, le bon niveau d'action – le niveau communautaire, capable d'imposer des contraintes – et le bon acteur à cibler – Google. La rédaction sénatoriale ne permet rien de tel.
Plus largement, il est toujours délicat de déterminer le bon niveau de régulation et le bon vecteur législatif. On l'a constaté sur l'exemple des taxis, des transports et de la santé ; on le constate aujourd'hui sur celui des plateformes numériques ; on le verra demain en nous penchant sur la stratégie numérique française et sur le renseignement. La stratégie numérique sera présentée par le Premier ministre dans les prochains jours ; le projet de loi, sur lequel Mme Axelle Lemaire et moi-même avons beaucoup travaillé, s'inspirera largement des travaux menés par M.Benoît Thieulin et le Conseil national du numérique. Il portera beaucoup de dispositions de droit national, ainsi qu'un agenda européen car c'est à ce niveau qu'il faudra traiter tout ce qui relève du droit de la concurrence et de la régulation des plateformes. Même si la tentation est parfois grande de légiférer sur ces sujets au niveau national, y céder serait une erreur : en créant des régulations nationales, pays par pays, on se couperait de la possibilité d'instaurer un marché européen unique. Il nous faudra être collectivement vigilants sur ce point au moment du débat sur la loi numérique.
En revanche, le volet relatif à la consommation admet, lui, une approche nationale, par le biais de la protection des droits des consommateurs. C'est le choix qu'ont fait vos rapporteurs en déposant l'amendement SPE649. En accord avec la position que j'ai défendue au Sénat, il insiste sur le fait que la protection du consommateur permet a priori de toucher l'ensemble des acteurs, nationaux et internationaux, à partir du moment où ils opèrent en France et s'adressent à des consommateurs français. Néanmoins, je rejoins la remarque de méthode formulée par plusieurs d'entre vous : dans la mesure où une loi sur l'économie numérique doit intervenir d'ici à la fin de l'année, je recommanderais de retirer le SPE649 afin de le porter dans le cadre de ce travail qui fera l'objet de concertation et proposera un appareil juridique cohérent. L'approche de l'amendement, par le niveau national, et le vecteur choisi – le droit de la consommation – sont pertinents ; mais je préfère inscrire la disposition dans un ensemble législatif qui traitera le sujet dans sa globalité.
J'émets donc un avis favorable à l'amendement de suppression SPE344 et je demande le retrait de l'amendement SPE649.