Intervention de René Dosière

Séance en hémicycle du 16 juin 2015 à 21h30
Octroi de mer — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Madame la présidente, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, permettez-moi d’abord d’adresser mes pensées amicales à notre collègue Dominique Baert, qui était rapporteur de notre commission sur ce projet de loi, et qui été sérieusement blessé il y a peu, lors d’un accident de la circulation. Je lui souhaite – et c’est aussi le cas, je le suppose, de toute l’Assemblée – un prompt rétablissement.

Les collectivités de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de La Réunion et de Mayotte ont en commun une taxe originale, l’octroi de mer, dont l’origine remonte au XVIIe siècle et qui, depuis 1992, frappe tant les livraisons de biens que leur importation. Cette taxe leur permet à la fois de se procurer des ressources fiscales importantes – près de 1,15 milliard d’euros en 2014 – et de protéger les productions locales, en taxant moins lourdement ces livraisons de biens que les importations. Il s’agit donc d’un outil important pour le développement économique de ces collectivités, soumises à des contraintes géographiques, économiques et sociales particulières, que nous devons toujours nous efforcer de bien prendre en compte lorsque nous légiférons sur ces territoires.

Ce projet de loi vise à préserver l’octroi de mer, que nos obligations européennes nous obligent à avoir réformé avant la fin du mois. En effet, la décision rendue par le Conseil de l’Union européenne le 17 décembre 2014 n’a prorogé le régime actuel de l’octroi de mer que jusqu’au 30 juin 2015. Il fallait donc légiférer sans attendre pour éviter tout vide juridique.

C’est dans cet esprit d’efficacité et de consensus qu’ont travaillé les deux assemblées sur ce texte, puisque, après l’adoption du texte par le Sénat le 7 mai, et moyennant quelques aménagements, l’Assemblée a adopté, le 1er juin, un texte presque entièrement conforme. Je reviendrai tout à l’heure sur les précisions ponctuelles que nous avons apportées.

Le point le plus important de ce projet de loi est qu’il permet, dans la foulée de la décision européenne du 17 décembre, de proroger l’octroi de mer jusqu’en 2020. S’agissant d’une taxe qui représente entre 30 % et 50 % des ressources fiscales des régions et communes dans les territoires où elle est perçue, il s’agit d’une très bonne nouvelle pour ces collectivités.

Sans revenir sur l’histoire et les principales caractéristiques de la taxe, déjà décrites par Dominique Baert dans son rapport en première lecture, je rappellerai quelques points importants.

Depuis sa première reconnaissance par le Conseil des Communautés européennes en 1989, le régime d’octroi de mer a dû être régulièrement adapté pour être prorogé, car il doit rester compatible avec les règles applicables aux échanges intracommunautaires. Cela n’est jamais acquis d’avance, car un système qui permet de soumettre à des taux de taxation plus élevés certains biens lorsqu’ils sont importés que lorsqu’ils sont fabriqués localement déroge quelque peu au traditionnel principe de « non-discrimination » prévu par l’article 110 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La dernière fois que nous avons procédé à une telle adaptation, c’était avec la loi du 2 juillet 2004, pour tenir compte d’une décision rendue par le Conseil de l’Union européenne le 10 février 2004. Nous faisons de même aujourd’hui, à la suite de la décision du 17 décembre 2014.

Les principaux changements prévus par le projet de loi sont les suivants. En premier lieu, les entreprises locales dont le chiffre d’affaires est inférieur à 300 000 euros par an – environ 3 500 entreprises – ne seront plus assujetties à l’octroi de mer et seront ainsi dispensées de leurs actuelles obligations déclaratives et comptables. En revanche, celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 300 000 et 550 000 euros par an – environ 650 entreprises – seront désormais redevables de l’octroi de mer, alors qu’elles étaient jusqu’à présent exonérées de plein droit. Mais le bilan ne sera pas forcément négatif pour elles, puisque les entreprises redevables pourront plus largement déduire du montant d’octroi de mer qu’elles doivent payer le montant de la taxe qu’elles ont supportée sur leurs propres achats, en amont de la production.

Par ailleurs, les assemblées territoriales pourront exonérer d’octroi de mer l’importation et la livraison des biens à consommer sur place dans les avions et les bateaux, ainsi que de carburants à usage professionnel. Cette possibilité est aussi étendue à l’importation de biens destinés aux entreprises, à des établissements sanitaires, scientifiques, de recherche ou d’enseignement, ainsi qu’à des organismes exerçant, sans but lucratif, certaines activités d’intérêt général.

Enfin, les taux d’octroi de mer seront désormais soumis à un plafond législatif, conformément à l’article 72-2 de la Constitution. Ce plafond est fixé à 60 % de la valeur en douane ou du prix hors taxe des produits, et à 90 % de cette valeur s’il s’agit d’alcool ou de tabac. Ces taux, qui sont majorés de moitié à Mayotte pour tenir compte de la situation insulaire, étaient de dix points moins élevés dans le texte du Gouvernement que dans la version sénatoriale. Celle-ci laissera donc un peu plus de liberté aux assemblées territoriales.

Les autres changements décidés lors de l’examen au Sénat, en dehors des modifications « d’esthétique textuelle » – pour reprendre une formule de notre collègue Baert –, ont consisté à permettre aux assemblées territoriales d’exonérer les importations de biens destinés aux centres de santé et aux établissements ou services sociaux et médico-sociaux et d’exonérer les établissements de recherche et d’enseignement, ainsi que les autres personnes morales intervenant dans ce domaine, comme les associations.

Le régime de territorialité particulier auquel sont soumis les échanges de biens entre les Antilles et la Guyane a été aménagé. Certains biens seront taxés dans la collectivité de destination : il s’agit essentiellement d’alcools, de peintures et vernis, du papier hygiénique et de certaines barres de fer ou d’acier. Ces aménagements ont été discutés avec les élus locaux et sont destinés à remédier aux déséquilibres commerciaux que l’on peut constater actuellement dans les échanges entre ces collectivités.

Une commission, composée de représentants des collectivités de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, a été créée pour analyser l’évolution des échanges de biens entre ces collectivités et, le cas échéant, proposer d’adapter les modalités locales de taxation de certains produits.

Enfin, dernier changement notable, les sénateurs ont prévu que Parlement sera destinataire du rapport transmis par le Gouvernement à la Commission européenne avant la fin de l’année 2017, pour évaluer les effets économiques du nouveau régime d’octroi de mer.

On peut se féliciter que le Sénat n’ait pas remis en cause l’équilibre du projet de loi, qui fait globalement l’objet d’un consensus. Dans le même esprit, l’Assemblée nationale n’a apporté que des changements ponctuels lorsqu’elle a examiné le texte transmis par le Sénat le 1er juin, à l’exception de deux modifications plus substantielles.

En premier lieu, à l’initiative de notre collègue Serge Letchimy, l’Assemblée nationale a décidé d’élargir l’objet de la commission d’élus antillais et guyanais. Le texte permettra d’avoir une approche économique globale de ces questions, en faisant de cette commission le lieu d’une concertation sur la mise en oeuvre de l’octroi de mer dans ces trois collectivités, ainsi que d’une évaluation de l’ensemble des échanges de biens sur leurs marchés respectifs. Tout en souscrivant à cette approche plus large, la commission mixte paritaire du 11 juin a souhaité, sur initiative conjointe des rapporteurs des deux assemblées, améliorer la rédaction du texte en définissant l’objet général de cette commission, dont les missions demeurent inchangées.

En second lieu, à l’initiative du Gouvernement, notre assemblée a complété la liste des biens de type papier de toilette, mouchoirs et serviettes, dont l’importation en Guyane depuis les Antilles, ou aux Antilles depuis la Guyane, sera taxée dans la collectivité d’arrivée, et non plus dans celle de départ. Il s’agissait ainsi de répondre aux préoccupations exprimées par certains de nos collègues élus dans ces collectivités. Chantal Berthelot avait ainsi présenté un amendement pour inclure dans la liste tous les mouchoirs, serviettes à démaquiller et essuie-mains. Il a ainsi été décidé d’ajouter au papier hygiénique, déjà mentionné dans le texte du Sénat, le papier essuie-main, qu’il se présente ou rouleau ou non, ainsi que les articles en papier ou en tissu destinés à un usage chirurgical, médical ou hygiénique, sans être conditionnés pour la vente au détail. Cette adaptation très pertinente satisfait nos collègues élus dans les trois collectivités concernées.

Enfin, à l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a souhaité préciser que les assemblées territoriales, lorsqu’elles décideront d’exonérer d’octroi de mer l’importation de biens destinés à des personnes exerçant des activités économiques indépendantes – producteurs, commerçants, prestataires de services et professions libérales –, devront délibérer non seulement par secteur économique, mais aussi par position tarifaire, afin que les biens soient correctement identifiés.

Pour conclure, mes chers collègues, tous les changements proposés par ce texte sont globalement consensuels et vont dans le bon sens. Ils tiennent compte de nos engagements européens, qui nous imposent d’avoir adapté le régime législatif de l’octroi de mer d’ici le 30 juin prochain.

Le système de l’octroi de mer n’est sans doute pas parfait, mais c’est un outil fiscal souple. Or, depuis l’analyse par Charles Péguy de la philosophie de André Bergson, on sait que « ce sont les méthodes souples, les logiques souples qui exercent les astreintes impeccables ». J’espère que cet objectif, que nous pouvons tous partager, nous permettra de maintenir l’approche consensuelle qui a prévalu jusqu’ici et d’adopter sans réserve le texte établi le 11 juin par la commission mixte paritaire.

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