Madame la présidente, monsieur le rapporteur – cher René Dosière –, mesdames et messieurs les députés, avant de commencer cette discussion générale, je souhaiterais avoir une pensée particulière pour le rapporteur Dominique Baert, absent aujourd’hui, à qui je souhaite un prompt rétablissement.
Nous voici aujourd’hui au bout du processus législatif de ce projet de loi relatif à la modification de la loi sur l’octroi de mer. C’est un texte attendu et important pour les territoires ultramarins. Attendu, car il entérine la prolongation jusqu’en 2020 de ce dispositif essentiel pour le développement économique des productions locales et pour l’emploi outre-mer. Important, ensuite, car l’octroi de mer constitue une ressource indispensable pour le financement des collectivités territoriales : en 2014, elle s’est élevée à 1,146 milliard d’euros, soit environ 40 % des ressources fiscales des collectivités locales ultramarines. Ce texte assure donc une visibilité et une lisibilité tant aux entreprises qu’aux collectivités locales.
La commission mixte paritaire qui s’est réunie la semaine dernière a adopté, sans réserve, le texte soumis aujourd’hui à votre approbation. Je tiens à saluer le travail accompli par le Parlement, et notamment celui effectué à l’Assemblée nationale, pour enrichir le texte dans le bon sens malgré les importantes contraintes de temps qui pesaient sur son examen.
Je ne peux que me féliciter que ce projet de loi puisse être voté avant la date butoir du 30 juin 2015, qui marque la fin de la prorogation de l’ancien dispositif car, comme le Gouvernement l’a toujours soutenu et comme je m’y suis totalement investie, il fallait qu’il n’y ait pas de rupture juridique dans la transition entre les deux dispositifs. C’était l’une des principales préoccupations des acteurs socio-économiques et des élus locaux ; c’est un engagement qui a été tenu.
Héritier d’un impôt existant sous l’Ancien Régime, l’octroi de mer a su évoluer à travers le temps, notamment dans le cadre du droit communautaire. Outil indispensable de protection pour les productions locales face à un environnement régional très concurrentiel, l’octroi de mer a trouvé toute sa place dans les économies ultramarines. Son efficacité pour faire face aux handicaps structurels, à l’insularité, à l’éloignement des économies ultramarines de la France hexagonale, à l’étroitesse des marchés ou encore à la difficulté de faire émerger des productions locales nouvelles n’est plus à démontrer.
En effet, le montant de l’aide annuelle directe aux entreprises de production procurée par l’octroi de mer peut être évalué dans une fourchette allant de 170 à 250 millions d’euros et son impact sur les effectifs salariés de l’industrie peut être estimé à 15 % pour les années 2000 à 2008.
La prolongation du dispositif permettra de consolider davantage les filières productives locales, dont les parts de marché sont en constante progression depuis 2005, et cela, même si, dans le même temps, les importations de produits équivalents n’ont pas diminué.
S’il ne faut donc en aucun cas relâcher nos efforts dans le domaine du développement, de l’innovation et du soutien à la croissance, cette réalité démontre, s’il en était encore besoin, que le bénéfice du différentiel de taxation permet de soutenir activement la création d’emplois. Sur ce point, je note avec attention que les bénéfices du différentiel de taxation se répartissent de manière équilibrée entre les salaires, les profits et les investissements, ce qui est assez rare pour être souligné.
Le texte qui est soumis à votre approbation met également fin à de nombreux mois de discussions avec la Commission européenne.
Débutées il y a plus de deux ans, je ne peux que constater que celles-ci ont été fructueuses puisque les demandes de la France ont été entendues et les spécificités propres aux territoires ultramarins comprises, préservant ainsi les grands équilibres dans le cadre de cette réforme co-construite entre les autorités françaises et les autorités européennes. Le projet de loi clarifie et modernise la mise en oeuvre de cette taxe.
Ainsi, partant de l’évaluation de l’ancien dispositif, nous avons fait le choix de procéder à l’abaissement du seuil d’assujettissement afin de répondre aux demandes de simplification que de nombreuses entreprises, de taille moyenne notamment, appelaient de leurs voeux. Cet abaissement du seuil d’assujettissement de 550 000 euros à 300 000 euros, largement concerté avec les élus à l’hiver 2013, permet, en fonction des géographies, de mettre hors du champ de l’octroi de mer 75 % à 87 % des entreprises productrices. Pour les autres opérateurs, ceux compris dans la fourchette de 300 000 euros à 550 000 euros et qui étaient auparavant assujettis mais exonérés, les mêmes obligations déclaratives perdurent, mais ils ne seront plus automatiquement exonérés. Néanmoins, ils auront deux ans pour déduire la taxe ayant en amont grevé leurs investissements. Je tiens à rappeler que le nombre d’entreprises concernées par cet abaissement du seuil d’assujettissement ne représente que quelques dizaines par territoire : il n’y a donc pas de bouleversement majeur sur ce point comme pourraient le laisser entendre certains.
Au-delà de l’abaissement du seuil d’assujettissement, plusieurs autres dispositions sont à souligner. Je veux bien sûr parler de l’encadrement, à la demande expresse du Conseil d’État, des taux que les conseils régionaux et, à Mayotte, le conseil départemental sont autorisés à fixer. Le champ des exonérations que les collectivités territoriales peuvent accorder est également étendu, notamment aux établissements de santé, de recherche, d’enseignement et aux organismes caritatifs ou philanthropiques. Lors de l’examen du texte, le Sénat avait fait le choix d’élargir le champ des bénéficiaires de ces exonérations aux personnes morales exerçant des activités scientifiques de recherche et d’enseignement, ainsi qu’aux établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette volonté n’a pas été contrariée, ni au cours de l’examen par votre assemblée, ni lors des travaux de la commission mixte paritaire. En effet, ces avancées consolident largement les marges données aux collectivités régionales pour construire de réelles stratégies de développement économique et de soutien aux filières productives sur leurs territoires.
À l’occasion des débats à l’Assemblée nationale, les modalités d’exonération offertes aux conseils régionaux ont fait l’objet de précisions. En effet, s’il est important que les collectivités territoriales puissent décider de la mise en oeuvre d’exonérations par secteur d’activité, il est également souhaitable qu’elles disposent dans l’exercice de ce pouvoir d’un maximum de souplesse, ce qui implique qu’elles puissent aussi délibérer par nomenclature douanière. Cette précision permettra d’affiner au maximum, lorsque ce sera rendu nécessaire, le champ des exonérations décidées par les conseils régionaux.
S’agissant des échanges et des flux commerciaux entre le Marché unique antillais et la Guyane, je constate que le dialogue constructif que nous avons mis en oeuvre a permis d’aboutir à une situation que l’ensemble des acteurs reconnaît comme équilibrée. Cela n’a pas été chose simple, mais tout au long de l’examen du texte au Parlement, je me suis attachée à poursuivre le dialogue. C’est ainsi que nous avons introduit une liste, rappelée par M. le rapporteur, de dix produit que l’on peut qualifier de « produits préservés » et qui feront l’objet, dans le cadre des relations commerciales entre le Marché unique antillais et la Guyane, d’une application du droit commun. Je ne peux que me féliciter des échanges que nous avons eus, parfois nourris, je dois le reconnaître, quelquefois même très spécialisés, et souligner le sens du compromis et des responsabilités qui a présidé à ces discussions.
Une commission de concertation sur la mise en oeuvre de l’octroi de mer et d’évaluation de l’ensemble des échanges de biens sur les marchés de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique va voir le jour. Elle sera chargée d’analyser les flux d’échanges entre la Guyane et le Marché unique antillais, de proposer des évolutions des règles d’échanges et de taxation, et, si nécessaire, la modification de la liste de produits préservés définis dans ce projet de loi, notamment sur la base d’un état statistique des flux d’échanges entre la Guyane et le Marché unique antillais. Le décret d’application précisant les missions et la composition de cette commission est en cours d’élaboration, la finalisation de ces écritures se faisant en lien étroit avec l’ensemble des parties concernées.
Reste la question de la conformité de notre régime d’octroi de mer à l’encadrement communautaire des aides d’État. Vous savez, mesdames, messieurs les députés, qu’une décision a été rendu par les autorités européennes en décembre, mais que celle-ci doit encore être validée. J’ai donc notifié ce régime à la Commission en mars dernier. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, que j’ai rencontrée hier, m’a indiqué que cette notification pourrait difficilement aboutir dans les délais impartis. Je le regrette puisque cette procédure a tout de même commencé il y a deux ans et demi. Néanmoins, elle a tenu à nous rassurer : le nouveau dispositif d’octroi de mer sera pleinement opérationnel au 1er juillet prochain. En effet, la commissaire s’est engagée envers la France à ce que l’ensemble des éléments permettant d’attester la pleine conformité du régime d’octroi de mer au droit communautaire nous soit communiqué par écrit dans les délais impartis, c’est-à-dire avant le 1er juillet prochain. Notre dispositif d’octroi de mer restera donc placé sous le règlement général d’exemption par catégorie – RGEC –, règlement de droit commun pour les régimes d’aides d’État. La commissaire s’est également engagée à prendre en compte les spécificités de nos régimes d’aides en rehaussant de quinze points les seuils applicables aux cumuls d’aide afin de sécuriser pleinement les opérateurs économiques.
Ces avancées pragmatiques nous permettent de consolider l’ancrage de nos régimes d’aides d’État au sein du RGEC, avec une prise en compte appropriée de nos spécificités concernant tant les secteurs exclus que les seuils d’aide pour l’ensemble de nos régimes d’aide au fonctionnement. Une telle approche nous permet d’assurer la continuité des régimes d’aides, évitant une rupture juridique qui aurait fragilisé notre tissu économique. Il fallait que je le précise parce que je sais que les opérateurs économiques sont préoccupés par la teneur de nos échanges avec la Commission.
Mesdames, messieurs les députés, je tiens à vous remercier pour votre investissement dans ces travaux et pour le soutien que vous m’avez apporté tout au long de l’élaboration du texte, et que vous m’apporterez encore aujourd’hui en l’adoptant.