Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, droit au séjour, immigration irrégulière : le présent projet de loi fait partie de ces textes dont le seul intitulé peut suffire à déchaîner les passions et à exacerber les clivages au sein de cette assemblée.
Or, au moment où nous abordons un sujet aussi important que la politique d'immigration, c'est bien d'honnêteté intellectuelle et de responsabilité politique que nous devons tous faire preuve. Nous pouvions souhaiter que nos débats soient animés, non par des prises de position partisanes, mais par une réflexion aboutie. Avant d'aborder les différentes dispositions de ce projet de loi, et puisque nous sommes encore en début de législature, je souhaite rappeler ce que doit être, pour le groupe UDI, une politique d'immigration juste, responsable et efficace.
En premier lieu, avec un peu plus de 180 000 titres de long séjour délivrés chaque année, la France, de par ses traditions et ses engagements internationaux, est une terre d'accueil. Notre politique d'immigration ne doit pas pour autant se limiter à une simple gestion quantitative des flux migratoires. Elle implique de comprendre l'origine de ces flux, de les anticiper et de trouver, tant au niveau national qu'européen, des réponses concrètes et adaptées.
En outre, nous considérons, comme d'autres, qu'immigration doit aller de pair avec intégration – ce sont en quelque sorte « les deux ailes du même avion », pour reprendre une expression autrefois utilisée par Jacques Chirac. En la matière, le Gouvernement se doit de démontrer sa volonté de lier le plus étroitement possible ces deux pans de la politique migratoire. En effet, ainsi que le montre une récente étude de l'OCDE, la France, avec un taux de pauvreté des étrangers de plus de 21 %, a encore beaucoup à faire en termes d'intégration de ses immigrés.
Il est bien évident que nous partageons les principes républicains, rappelés par M. le ministre, que sont l'application rigoureuse des objectifs de lutte contre l'immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires, tout en veillant à garantir, en toutes circonstances, la dignité humaine. Notre politique d'immigration se doit d'être ferme et concentrée sur la lutte contre l'immigration clandestine car, vous le savez, monsieur le ministre, une immigration non maîtrisée, c'est autant d'exclusion, de précarité et de pauvreté.
C'est pourquoi, tout au long de cette législature, nous serons très vigilants à ce que les trafiquants d'êtres humains – les passeurs, comme on dit pudiquement – ne soient pas les premiers à bénéficier d'une politique laxiste en matière de régularisation des étrangers sans titres, ce trafic étant, semble-t-il la deuxième source de revenus pour le crime organisé.
Quant à la lutte contre l'immigration clandestine, on peut, comme le font certains, la comparer au tonneau des Danaïdes. Je considère qu'en la matière, les forces de l'ordre font ce qu'elles peuvent face à un flux de plus en plus important. Il est frappant de voir combien la Grèce, n'ayant plus de moyens à consacrer à tenter d'endiguer ce phénomène, constitue une brèche en Europe. Comment, monsieur le ministre, le Gouvernement agit-il face à cette faiblesse – temporaire, espérons-le – de l'un de nos partenaires européens ? La vieille Europe accueille annuellement plus de 500 000 migrants, dont 70 % feraient appel aux trafiquants. Combien d'entre eux – 20 %, peut-être 30 % – ont réellement besoin de protection ? Combien sont en réalité des réfugiés économiques ?
Enfin, porteurs de la tradition centriste, nous sommes profondément européens, attachés à la création d'une politique véritablement commune en matière d'immigration. Cette politique est indispensable si nous voulons répondre aux grands enjeux de demain car, dès lors que les frontières intérieures ont été abolies au sein de l'Union, il est illusoire de penser qu'une gestion à la seule échelle nationale des flux migratoires pourrait aboutir.
Nous avons assisté, ces dernières années, à une montée en puissance de l'Union européenne en matière de politique migratoire. À l'image de la directive « retour », adoptée par les institutions communautaires dans la foulée du pacte européen pour l'immigration et l'asile, puis transposée en droit français à la fin de la précédente législature par la loi du 16 juin 2011, nous avons assisté et contribué ces dernières années à la naissance d'une véritable stratégie commune, tant dans l'organisation de l'immigration légale que dans la lutte contre les réseaux clandestins.
Il nous appartient désormais – il vous appartient, monsieur le ministre – de poursuivre cette entreprise d'harmonisation du droit national et du droit européen, afin de pallier le manque de cohérence dont souffre notre politique nationale en matière de droit au séjour.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, l'évolution du droit communautaire nous impose de modifier notre législation en matière de droit au séjour. Plus que d'une simple mise en conformité, il s'agit de combler un vide juridique créé par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, confirmée par trois arrêts de la Cour de cassation rendus le 5 juillet dernier.
La garde à vue, prévue en droit français par l'article L. 621-1 du CESEDA, était jusqu'à présent la procédure la plus couramment utilisée pour réprimer le délit de séjour irrégulier. Elle permettait à l'administration de disposer du temps nécessaire pour prendre une décision d'éloignement et de placement en rétention.
En décembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur la compatibilité des législations nationales avec la directive « Retour ». La directive s'oppose ce qu'une réglementation nationale conduise à un emprisonnement au cours de la procédure de retour. Par ailleurs, l'objectif de cette directive étant précisément de réaliser l'éloignement de l'étranger en situation irrégulière, toute procédure y faisant échec ne peut logiquement être admise par la Cour de justice.
La Cour de cassation a ensuite clarifié la jurisprudence européenne et levé tous les doutes pesant sur son interprétation : la directive « Retour » s'oppose à ce qu'une réglementation nationale prévoie une peine d'emprisonnement pour un étranger qui n'aurait pas été soumis aux mesures d'éloignement prévues par la directive et dont la durée maximale de rétention n'aurait pas expiré.
Ainsi, la directive « Retour », telle qu'elle a été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, exige une mise en conformité du droit français. Le premier objet de ce texte répond donc bien à une nécessité tant juridique qu'opérationnelle, comme l'a rappelé tout à l'heure M. le rapporteur à l'un de nos collègues.
En premier lieu, le projet de loi supprime le délit de séjour irrégulier. Une politique migratoire étant vaine si elle ne s'accompagne pas de procédures opérantes et objectives, vous avez choisi de créer une nouvelle procédure de retenue administrative, située à mi-chemin entre la garde à vue et la vérification d'identité.
Les services de police ou de gendarmerie doivent en effet être en mesure de retenir un étranger pour faire le point sur sa situation et, le cas échéant, décider de le placer en rétention administrative en vue de son éloignement. La procédure de vérification d'une durée de quatre heures prévue par notre code pénal ne répond pas aux objectifs et aux nécessités de la vérification du droit de séjour d'une personne. Le groupe UDI ne peut donc qu'être favorable à la création d'une nouvelle procédure de retenue pour vérification du droit au séjour.
Ensuite, parce que notre travail de législateur ne se résume pas à un simple exercice de traduction de la jurisprudence européenne, nous devons entourer cette nouvelle procédure de garanties suffisantes, pour à la fois assurer l'efficacité de cette procédure et donner aux autorités tous les moyens dont elles pourront avoir besoin, tout en garantissant aux étrangers concernés la préservation de leurs droits fondamentaux.
Concernant la durée de cette procédure, un important débat a déjà eu lieu aussi bien au Sénat qu'en commission. Nous considérons que la durée de seize heures prévue par le texte, supérieure à la procédure de vérification d'identité et inférieure à celle de la garde à vue, est satisfaisante. Nous sommes opposés à la proposition qui est faite de limiter cette durée à dix heures, avec une éventuelle prolongation de six heures par l'officier de police judiciaire.
En second lieu, ce texte vise, pour ce qui est du délit de solidarité, à étendre les immunités pénales en matière d'aide au séjour irrégulier des étrangers. Cette question difficile permet d'ouvrir devant la représentation nationale un débat utile sur la question cruciale de la lutte contre les filières d'immigration clandestine.
Introduit pour la première fois dans notre droit en 1938, le délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger a fait l'objet de nombreuses modifications, notamment pour satisfaire aux exigences du droit international et communautaire.
Ce serait faire un bien mauvais procès aux gouvernements précédents que de les suspecter d'avoir voulu incriminer d'une quelconque manière l'aide apportée à titre humanitaire à un étranger en situation irrégulière.
Cette disposition était et demeure nécessaire, car la lutte contre l'immigration irrégulière relève d'une impérieuse nécessité, tant les agissements des « passeurs » sur notre territoire sont en parfaite contradiction avec les valeurs les plus fondamentales de notre République.
Dès 1996, notre droit a prévu une clause dite d'exemption humanitaire, destinée à protéger les membres des familles d'étrangers en situation irrégulière des poursuites pour aide au séjour irrégulier et les associations à but non lucratif à vocation humanitaire. Plus récemment, le précédent Gouvernement a permis d'élargir le champ de l'immunité pénale.
Vous proposez, à travers ce projet de loi, d'élargir encore ces exemptions, d'une part, aux membres de la famille du conjoint de l'étranger et, d'autre part, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.
Nous souscrivons à cette idée, mais nous demeurerons extrêmement vigilants : la lutte contre les filières d'immigration clandestine et les réseaux de passeurs doit, à notre sens, demeurer une priorité. Il faut donc éviter à tout prix de fragiliser l'assise juridique permettant d'engager des poursuites et la modification de telles dispositions mérite toute notre attention.
Mes chers collègues, fort de ces exigences, le groupe UDI votera pour le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier.