Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 11 décembre 2012 à 15h00
Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d'aide au séjour irrégulier — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, le texte dont nous discutons aujourd'hui vise à mettre en conformité le droit français avec le droit européen et plus précisément avec la directive « Retour ». M. le ministre de l'intérieur a même dit que son objectif principal était de combler un vide juridique.

J'ai tendance à croire que, dès que l'on traite d'immigration, c'est aussi de la France que l'on parle et de la manière dont on voit son présent et son avenir, sans oublier le contrat social qui nous lie ; la polémique qui s'est engagée au début de cette discussion en est la preuve.

La directive « Retour », qui a suscité de fortes critiques dans le monde associatif et politique lors de sa rédaction, permet néanmoins de faire avancer le droit français vers un plus grand respect des droits humains et des libertés fondamentales. Il est vrai que, dans ces domaines, le législateur européen est plus libéral et bien souvent plus attaché au respect des droits.

Les préconisations de la Cour de justice de l'Union européenne, puis les arrêts El Dridi et Achughbabian du 6 décembre dernier indiquent qu'il ne peut y avoir de délit pour séjour irrégulier et qu'il est donc impossible de garder à vue des personnes pour ce seul motif. Les arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 abondent d'ailleurs dans le même sens. Cela explique que nous débattions aujourd'hui de ce texte.

Il faut dire que, en la matière, on revient de loin – de dix années marquées par une obsession envers l'immigré et par une vision sécuritaire de cette question. Le délit de solidarité, qui renvoie à l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est une mesure choquante. Puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 euros, il permet en effet de poursuivre toute personne « qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France ». En vigueur depuis 1945, l'article en question a été modifié au fil du temps. En 1998, une immunité a été ajoutée pour protéger la famille des étrangers sans papiers, mais en 2003 les peines encourues ont été aggravées dans le cas où le délit est commis en bande organisée.

Tourner la page d'un tel dispositif est donc une bonne chose. Il était urgent et nécessaire de cesser les incriminations pour solidarité. Nous accueillons avec satisfaction l'abrogation du délit de solidarité, et cela d'autant plus que nous pensons, au groupe écologiste, que la solidarité qui, par exemple, se déploie encore à Sangatte dix ans après la fermeture du centre, comme dans de nombreux autres territoires de notre République, démontre que la solidarité occupe une place importante dans le coeur des Français ; elle a fait de notre pays une terre d'accueil et d'asile. Cette solidarité est une force ; elle ne saurait être punissable.

Nous proposerons, dans le débat, des amendements visant à reconnaître et encadrer cette solidarité.

Le premier tend à maintenir une lutte inflexible contre les réseaux mafieux ou les employeurs malintentionnés et les marchands de sommeil qui exploitent les immigrés en situation de grande précarité et de fragilité. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs dans le même esprit que le programme de lutte contre le travail illégal lancé par le Gouvernement le 28 novembre dernier.

Deux autres amendements visent à renforcer la notion de solidarité en adjoignant à l'intégrité physique l'intégrité morale des individus.

Enfin, un dernier amendement tend à réduire les incriminations pour mariages gris, qui ont eu l'effet inverse à l'effet escompté. En effet, la réforme du 16 juin 2011 a rendu plus compliqué pour les couples de se marier, tout en entraînant des chantages aux papiers.

Si la fin du délit de solidarité est à saluer, il n'en reste pas moins des sujets d'inquiétude. Je voudrais vous faire part plus précisément, monsieur le ministre, d'une interrogation. L'appel d'offres concernant les contrats de mission avec les associations présentes dans les centres de rétention a été publié hier. Il comprend une clause notifiant une « pénalité de 500 euros qui serait appliquée pour chaque manquement aux obligations contractuelles », telles que « le non-respect du principe de réserve et de l'obligation de discrétion ».

Je souhaiterais que vous pussiez nous rassurer : il faut que les associations disposent à l'avenir des moyens suffisants pour intervenir dans les centres de rétention. La présence de ces associations est une garantie essentielle des droits des personnes retenues. Il ne peut d'ailleurs y avoir d'obligation de réserve pour des associations de défense des droits humains et des libertés.

Les inquiétudes résident également dans le fait que ce projet ne rompt pas franchement avec la conception tendant à soumettre l'immigration à un régime pénal d'exception. Les avancées du projet n'effacent pas, en effet, la continuité dont il porte encore la marque par rapport aux politiques publiques mises en place depuis de longues années par la droite pour traquer et expulser les étrangers.

Or les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne puis de la Cour de cassation auraient pu nous conduire à esquisser une réforme bien plus ambitieuse ; elle aurait pu nous conduire à réformer le CESEDA afin de faire entrer les immigrés dans le droit commun. C'eût été davantage de travail, certes, mais c'eût été aussi un plus grand dessein.

Une réforme raisonnable pourrait viser à supprimer dans le code d'entrée et de séjour des étrangers le délit de séjour sur le territoire français. Une grande réforme a été annoncée par le ministre de l'intérieur pour 2013 ; il peut compter sur le soutien du groupe écologiste pour sortir l'immigration d'un statut d'exception.

La garde à vue pour toute personne ayant commis un délit, notamment celui de ne pas se plier à une décision d'éloignement, aurait été appropriée et respectueuse du droit communautaire, ainsi que le rappellent la Commission nationale consultative des droits de l'homme et le Syndicat de la magistrature, lequel souligne d'ailleurs l'inutilité de cette nouvelle retenue pour vérification du droit au séjour. Je salue donc les apports des sénateurs et des sénatrices qui ont travaillé à ce que le délit d'entrée irrégulière ne soit pas conçu de manière trop large dans le temps et ne vienne pas ainsi, une fois de plus, s'opposer au droit de l'Union.

Je voudrais aussi attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que, même si l'étude d'impact présentée par le Gouvernement indique que la réforme proposée est conforme à la jurisprudence, un risque n'en existe pas moins en la matière. La Cour de cassation a en effet indiqué qu'il est possible de contrôler des personnes seulement si « des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger », formulation que vous avez conservée pour ce projet de loi.

La retenue pour vérification du droit au séjour que nous mettons en place ne manquera pas toutefois de créer du contentieux quant à d'éventuels contrôles au faciès ou des ruptures d'égalité devant la loi. Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement visant à ce que la délivrance – déjà discutée ici et que le Gouvernement a écartée, un peu rapidement à notre sens – d'un récépissé lors des contrôles d'identité fasse l'objet d'une expérimentation dans le cours de l'année. Ce procédé a déjà fait ses preuves pour ce qui est d'améliorer les relations entre la police et les citoyens, comme nous le montre notamment l'exemple espagnol ; sa mise en place permettrait, à terme, un respect réel des critères soulevés par la Cour de cassation.

Les propositions formulées le 6 décembre par le ministre de l'intérieur dans le cadre du projet de code de déontologie pour les forces de police – notamment celles qui concernent le vouvoiement – me paraissent aller dans le bon sens, mais elles sont encore insuffisantes pour régler le problème. Il me semble en effet que le dispositif proposé n'empêche en rien des pratiques comme les coups de filet et les arrestations collectives qui ont lieu dans les foyers de migrants ou d'autres lieux réunissant d'éventuels sans-papiers. Il faut mettre un terme ces pratiques.

La durée maximale de retenue choisie par le Gouvernement – 16 heures – fait l'objet du soutien, semble-t-il, des sénateurs et des députés de la majorité. D'autres options ont pourtant été discutées, comme celle de 10 heures plus 6 heures, que vous avez écartée.

Je réitère ici l'attachement du groupe écologiste à ce que tout type de retenue soit limité au strict minimum, ce qui ne semble hélas pas le cas.

Peut-être pourrons-nous revenir sur cette disposition dans quelques mois, dotés d'outils d'analyse et de bilan sur le délai dont ont réellement besoin les officiers de police judiciaire pour remplir leur tâche de vérification des titres de séjour ? L'informatisation croissante du système devrait permettre de limiter encore les besoins en temps. J'ai confiance dans le Gouvernement pour répercuter ces gains de temps sur les délais de rétention, pour le plus grand bien des retenus comme des officiers de police.

Vous l'avez compris, le groupe écologiste votera contre cet article.

J'en viens maintenant aux garanties visant à préserver les droits des retenus. Je salue le travail parlementaire, qui a permis des ajustements notables, allant dans le bon sens. Je pense notamment au droit d'être examiné par un médecin, aux conditions du recours au port des menottes, à l'extension du choix par les retenus des personnes à prévenir.

Je m'arrêterai plus longuement sur les faiblesses du dispositif soumis à la discussion. En tout premier lieu, nous devrons prêter attention à la capacité d'intervention du procureur de la République, dont la charge de travail est lourde. L'ouverture de nouveaux droits doit être accompagnée d'ajustements proportionnés, sous peine de voir ces droits rester sans effet. Je dois avouer que le dispositif proposé aujourd'hui me laisse interrogatif.

Mesure phare des réformes de 2011 visant à éviter le contrôle des juges, le recul de l'intervention du juge judiciaire du deuxième au cinquième jour de la rétention est un point de forte divergence. En 2011, l'opposition d'alors avait fustigé cette disposition. Je ne vous cacherai pas que la tentation a été grande de rechercher les amendements que le groupe SRC avait déposés pour dénoncer ce passage de deux à cinq jours…

Le Gouvernement a refusé jusqu'à présent de rééquilibrer les pouvoirs du juge par rapport à ceux de l'administration. Pourtant, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme est allée dans le même sens que les associations, les avocats et les magistrats en réclamant elle aussi, dans son avis du 22 novembre 2012, une intervention du juge au deuxième jour de rétention.

La CNCDH a rappelé que le juge judiciaire est garant notamment du contrôle de ce que font la police et l'administration durant l'interpellation et la garde à vue dans son ancienne, comme dans sa future organisation.

Rétablir l'intervention du juge des libertés et de la détention au deuxième jour est primordial car cette garde à vue « bis » offre moins de garanties encore que la précédente. L'intervention du procureur dans la nouvelle procédure de retenue est donc d'autant plus nécessaire que l'intervention du JLD n'intervient, comme vous le prévoyez, qu'après cinq jours de rétention.

J'aimerais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous rassurer sur les capacités de prise en charge de cette nouvelle procédure par le procureur de la République. En effet, les chiffres sont inquiétants : en 2010, 8,4 % des étrangers placés en rétention étaient éloignés avant la fin du deuxième jour – avant, donc, l'intervention du JLD. Depuis la réforme de 2011, ce sont 25 % des personnes retenues qui sont éloignées au cours des cinq premiers jours, sans que le juge puisse vérifier la légalité de la procédure.

Enfin, je me permets de souligner que, comme l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'Homme dans l'arrêt France Moulin du 23 novembre 2010, le procureur de la République n'est pas une autorité indépendante. Sous cet angle également, l'effectivité du contrôle de la procédure m'inquiète.

D'autres questions se posent également quant à l'intervention de l'avocat et au droit à l'interprète. Sur ces points-là, j'aimerais que nous puissions trouver ensemble des compromis qui ne soient ni trop coûteux ni trop exigeants, et qui fassent avancer la réalité des droits et des libertés fondamentales. Les amendements du Gouvernement sont fort bienvenus et constituent des avancées.

Je soutiens également l'amendement concernant le « droit de garder le silence ». Ce sont le travail parlementaire et la bonne entente avec le Gouvernement qui permettent de garantir le respect des libertés fondamentales ainsi que la conformité au droit de l'Union européenne.

Le groupe écologiste a déposé un sous-amendement à l'amendement présenté par le Gouvernement, demandant à ce que l'avocat soit en mesure de proposer des observations annexées au procès-verbal. La retenue pour vérification du droit au séjour doit en effet accorder à l'étranger des droits comparables à ceux des personnes gardées à vue. J'espère qu'il recueillera un avis favorable.

Enfin, nous avons déposé un amendement supprimant la notion de « langue dont il est raisonnable de supposer [que l'étranger] la comprend », dont la formulation est bien floue. Elle crée des difficultés d'interprétation, mais également de mise en oeuvre. Nous risquons ainsi de placer les agents dans une situation difficile. Même de bonne foi, ceux-ci pourront se tromper ; ils seront alors poursuivis pour discrimination ou agissements discrétionnaires. Évitons-leur de subir ce type d'incrimination et assurons-nous du respect réel du droit des retenus : ouvrons un vrai droit à l'interprète !

Le texte présenté par le Gouvernement représente une avancée. J'aurais voulu qu'il soit en rupture plus franche avec les politiques mises en place par la droite lors des précédentes législatures. Le travail parlementaire a toute sa place : le projet de loi peut et doit être amélioré.

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