Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 11 décembre 2012 à 15h00
Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d'aide au séjour irrégulier — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la présidente, monsieur le ministre, nous savons ce gouvernement attaché aux droits de l'homme et aux valeurs républicaines. Ce projet de loi vise à l'équilibre entre deux nécessités : d'une part, ne pas admettre l'entrée et le séjour irréguliers sur notre territoire ; d'autre part, garantir un traitement digne et des procédures équitables aux étrangers dont le droit au séjour est en cours de vérification, en se gardant de toute dérive xénophobe à fin électoraliste, comme cela fut le cas naguère. Toutefois, l'équilibre entre ces deux impératifs peut être encore amélioré. Tel est l'objectif des amendements du groupe RRDP.

La loi du 16 juin 2011, promulguée sous le quinquennat précédent, a porté de deux à cinq jours le délai d'intervention du juge des libertés et de la détention. Il importe de ramener ce délai à 48 heures.

Selon l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

Même si la « retenue » – expression assez euphémique – que ce projet de loi institue n'est pas exactement une « détention », l'étranger « retenu » subit une mesure privative de liberté. II faut donc qu'il puisse disposer d'un accès rapide au JLD, c'est-à-dire à un magistrat de l'autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle » aux termes de la Constitution.

En l'état actuel du droit, seul ce magistrat est en mesure de contrôler la légalité de la procédure engagée et, au besoin, de sanctionner l'irrégularité de celle-ci par une annulation et une remise en liberté immédiate.

Depuis la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, beaucoup d'étrangers ont été reconduits dans ce nouveau délai de cinq jours, sans avoir pu bénéficier d'un contrôle de légalité de la procédure dont ils ont fait l'objet. Il importe donc de revenir au délai de 48 heures et de garantir l'accès effectif au juge.

Le 28 novembre, la commission des lois a été saisie d'un amendement de notre collègue Matthias Fekl, qui visait précisément à ramener le délai d'intervention du JLD de cinq jours à 48 heures. Mais, comme vous le savez, cet amendement a été retiré, le Gouvernement s'étant engagé à traiter cette question dans un texte qui sera examiné par le Parlement en 2013.

Pour ma part, je juge préférable de maintenir un tel amendement, car c'est une restriction à la liberté fondamentale d'aller et venir qui est en jeu, et l'on ne peut donc attendre, pour modifier cette disposition de la loi de 2011, que soit achevé le travail de réforme du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou CESEDA.

Le législateur n'a pas vocation à temporiser, à procrastiner. Il n'a pas à s'autoriser l'indécision ou l'irrésolution quand il s'agit d'assurer le respect d'un droit fondamental.

Un autre de nos amendements concernait l'assistance d'un avocat, le texte initial ne comportant pas les mêmes garanties que celles qui sont accordées aux personnes en garde à vue. Cet amendement a été satisfait lors des travaux de la commission. Même s'il n'y a pas identité intégrale entre les droits du gardé à vue et ceux du retenu, un progrès significatif a été réalisé.

À propos de ce texte, il importe d'évoquer une question voisine très regrettable : l'interpellation en préfecture des étrangers en situation irrégulière. Souvent, les services convoquent ceux-ci à la préfecture en leur laissant croire qu'il s'agit de réexaminer leur situation administrative, alors que cette convocation vise à permettre leur interpellation au guichet, en vue d'un éloignement forcé.

Cette pratique piégeuse est autorisée et réglementée par une circulaire du 21 février 2006, signée conjointement par les ministres de l'intérieur et de la justice d'alors, M. Nicolas Sarkozy et M. Pascal Clément.

Cette circulaire relative aux « conditions d'interpellation d'un étranger en situation irrégulière » a été curieusement validée par le Conseil d'État dans son arrêt Ligue des droits de l'homme, rendu le 7 février 2007. Pourtant, la veille même, le 6 février 2007, la Cour de cassation avait condamné cette manoeuvre visant à abuser la personne convoquée pour pouvoir procéder à son éloignement forcé.

Selon la première chambre civile de la Cour de cassation, cette interpellation constitue une pratique « déloyale », contraire à l'article 5, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose : « Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf selon les voies légales. »

Ainsi, le 5 février 2012, dans l'affaire Conka cBelgique, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé incompatible avec l'article 5 que « l'administration décide consciemment de tromper des personnes, même en situation illégale, sur le but d'une convocation, pour mieux pouvoir les priver de leur liberté ».

Il est donc grand temps d'abroger la circulaire du 21 février 2006, circulaire indigne et contraire aux arrêts de la Cour européenne et de la Cour de cassation. À défaut de le faire aujourd'hui, nous comptons sur le Gouvernement pour l'abroger en 2013 dans le cadre de la refonte du CESEDA.

Enfin, l'article L. 622-1 du CESEDA définit le délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers des étrangers et le sanctionne d'un emprisonnement de cinq ans – excusez du peu ! – et d'une amende de 30 000 euros.

Toutefois, comme vous le savez, il existe deux immunités. Une immunité dite familiale a été instituée par la loi du 22 juillet 1996, la loi du 11 mai 1998 ayant étendu son champ d'application étendu. Selon ce dispositif, l'aide apportée par un parent, un conjoint de ce parent ou encore le conjoint de l'étranger ne peut donner lieu à des poursuites pénales.

En revanche, comme le souligne l'étude d'impact, cette immunité ne concerne pas les membres de la famille du conjoint. Seul le conjoint est visé ; ses ascendants et ses frères et soeurs ne le sont pas, bien qu'il puisse s'agir de personnes proches de l'étranger, comme un beau-père ou une belle-soeur.

Il importe de rationaliser le régime actuel des immunités familiales tel qu'il figure à l'article L. 622-4 du CESEDA. Le texte adopté par le Sénat et précisé par notre commission des lois étend donc le champ des immunités familiales aux membres de la famille du conjoint – ascendants, descendants, frères et soeurs.

L'immunité dite humanitaire a été consacrée par les lois du 26 novembre 2003 et du 16 juin 2011. Le texte aujourd'hui en vigueur exempte de poursuites pénales « toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la personne de l'étranger, sauf s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ».

Il convient, en effet, de distinguer les agissements des passeurs des actes de solidarité des organismes sociaux, des associations humanitaires et, au-delà, de tous ceux qui ont pour seul but celui d'aider des personnes en proie au dénuement. Bref, ceux qui apportent une assistance sans aucune contrepartie et accomplissent des actes de solidarité envers des personnes en grande difficulté.

La rédaction proposée par la commission des lois marque donc une double avancée. D'une part, elle ne limite plus le régime de l'immunité humanitaire aux seules situations d'urgence ; d'autre part, elle fait en sorte que toutes les actions secourable et désintéressée puissent effectivement entrer dans le champ de l'immunité humanitaire, au-delà des seules aides énumérées par l'article L. 22-4 du CESEDA.

Le Sénat y a ajouté les prestations de soins médicaux, tout en maintenant le principe de l'énumération des aides apportées. Pour éviter les inconvénients pouvant résulter, le cas échéant, d'une énumération limitative des prestations concernées, notre commission des lois a complété le texte voté par le Sénat, en y ajoutant la référence à « toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique ».

Cette extension du champ de l'immunité humanitaire est une avancée très nécessaire. En effet, il faut en finir avec ce qu'on appelle souvent le « délit de solidarité », avec les sanctions dont sont passibles ceux qui aident les personnes en détresse, sans aucune contrepartie directe ou indirecte.

La solidarité ne peut être un délit. En réalité, le degré de civilisation d'une société se mesure à l'assistance ou à la protection qu'elle accorde aux plus faibles et aux plus vulnérables, parmi lesquels figurent naturellement les migrants.

L'altruisme, la compassion, l'empathie ne peuvent être considérés comme des infractions, et il n'est jamais acceptable que la loi pénale contredise la loi morale, surtout, si celle-ci remonte à trois millénaires, c'est-à-dire à l'Ancien Testament.

Le ministre de l'intérieur, étant aussi ministre des cultes, connaît obligatoirement la prescription du Lévitique : « Si un étranger vient séjourner avec vous, dans votre pays, ne le maltraitez pas. Il sera comme un de vos compatriotes et tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d'Égypte. »

L'hospitalité, la charité, la solidarité sont inscrites dans la tradition judéo-chrétienne et, au-delà, dans la tradition laïque et humaniste. D'ailleurs, qu'on veuille bien s'en souvenir : le troisième terme de la devise républicaine, rappelé à l'article 2 de la Constitution, est la fraternité. La fraternité ; pas l'intolérance à autrui, ni la xénophobie, surtout utilisée à des fins électoralistes.

Le très regrettable débat sur « l'identité nationale », organisé par le pouvoir précédent en 2009, a instillé l'idée que les immigrés, voire les Français issus de l'immigration, mettraient en péril l'identité de notre pays. Pourtant, plusieurs étrangers ou fils d'étrangers ont apporté beaucoup à la France, à sa tradition, à son histoire, en servant leur nouvelle patrie de manière exemplaire :

Né à Cahors d'un père italien, Léon Gambetta n'a pu acquérir la nationalité française qu'à vingt et un ans, en 1859. Onze ans agrès, en 1870, à l'âge de trente-deux ans, il est ministre de l'intérieur et organise la défense de la patrie.

En février 1944, les vingt-trois résistants de l'Affiche rouge sont fusillés au Mont Valérien. Ils s'appelaient Manouchian – Arménien –, Rajman – Polonais – ou Boczov – Hongrois –, et ils sont morts pour la France.

Au soir du 24 août 1944, le détachement de la 2e DB commandé par le capitaine Dronne entre le premier dans Paris pour la libérer : 80 % de ses membres sont des républicains espagnols.

Ces hommes, venus d'ailleurs, ont contribué à faire la France et à écrire son histoire, l'histoire d'une République qui peut, qui doit redevenir main tendue et espoir partagé. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

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