Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Séance en hémicycle du 11 décembre 2012 à 21h30
Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d'aide au séjour irrégulier — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2002, pas moins de cinq lois sont venues modifier en profondeur le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Quel a été le résultat de cet acharnement législatif ? En premier lieu, une série de contentieux et de condamnations de la France par la Cour de justice de l'Union européenne. En second lieu, un accroissement des difficultés pour les agents chargés de faire appliquer la loi. Enfin et surtout, pour l'usager, pour l'État de droit et pour nos valeurs, des reculs significatifs, un manque de lisibilité, de confiance et de cohérence.

En d'autres termes, en désirant simplifier les procédures de retenue et d'accueil, le gouvernement précédent s'est montré volontairement simpliste. Non, chers collègues, la retenue n'est pas une garde à vue. Non, il ne faut pas confondre fermeté et excès de zèle. Non, aider et assister celui qui ne peut ou ne sait se défendre seul n'est pas un délit ! Ce n'est pas en étant simpliste que l'on simplifie une procédure.

Dès les premiers jours de notre mandat, nous avons donc entamé une réflexion pour réviser en profondeur les politiques d'accueil et d'exercice du droit des demandeurs d'asile et des étrangers en France, s'agissant notamment de leur accueil et des conditions de vérification du droit au séjour. Les travaux menés lorsque nous étions dans l'opposition et les luttes auxquelles nous avons participé trouveront leur prolongement dans cette loi.

Ainsi, ce projet de loi a pour objet de résoudre aussi définitivement que possible les dysfonctionnements et manquements de ces dernières années. Les dysfonctionnements étaient liés à la multiplicité des lois et circulaires, ainsi qu'au déficit de moyens et de capacités d'hébergement ; surtout, les manquements étaient liés à des choix politiques discutés et discutables. La pénalisation de la solidarité, les limitations imposées à l'exercice des droits des étrangers en font partie, de même que le vide juridique relatif à la présence de mineurs accompagnant leurs parents.

Je souhaite insister plus particulièrement sur ce dernier point, pour nous permettre de mesurer la nécessité d'une procédure claire et cohérente. Ce vide a conduit au placement d'enfants en centre de rétention, entraînant ainsi des conséquences graves et vraisemblablement non mesurées par le gouvernement précédent. Permettez-moi d'illustrer mes propos en citant cet extrait de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 janvier 2012 : « Les conditions dans lesquelles les enfants ont été détenus, dans un milieu d'adultes, confrontés à une forte présence policière [...], ajoutées à la détresse des parents, étaient manifestement inadaptées à leur âge. Les deux enfants se trouvaient dans une situation de particulière vulnérabilité, accentuée par la situation d'enfermement. Ces conditions de vie ne pouvaient qu'engendrer pour eux une situation de stress et d'angoisse, et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme. La Cour considère donc que les autorités n'ont pas assuré aux enfants un traitement compatible avec les dispositions de la convention relative aux droits de l'enfant et que celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la convention. Il y a eu violation de cet article à l'égard des enfants. »

Quelles solutions s'offrent alors à nous ? Soit nous considérons qu'un enfant peut être détenu en centre de rétention, soit nous choisissons la dignité et l'humanité. La séparation d'une famille est traumatisante, et c'est avec autant de délicatesse que de fermeté que notre procédure doit s'appliquer. Ainsi, monsieur le ministre, par la circulaire du 6 juillet dernier, vous avez veillé – soyez en remercié – à ce que la procédure d'assignation à résidence soit préférée au placement en rétention pour les familles parentes d'enfants mineurs. Vous nous avez redonné nos lettres de noblesse : merci !

Cependant, si l'urgence a commandé une réponse immédiate, il est nécessaire d'inscrire certains principes et certaines procédures dans la durée, donc dans la loi. L'expression de ces valeurs est présente dans nos différents amendements et, en ce cas précis, à l'article 2. Pour nous, la personne retenue doit en effet pouvoir assurer, le cas échéant, la prise en charge des enfants, qu'ils soient présents ou non lors de la procédure. De plus, il est nécessaire de réaffirmer le rôle de l'officier de police judiciaire et sa mission de protection. Dans l'intérêt de l'enfant, si la personne retenue ne peut ou ne veut prendre contact, la République doit garantir la sécurité morale et physique de l'enfant.

Un enfant ne saurait être ni une quantité négligeable ni le dommage collatéral d'une procédure inadaptée. C'est en associant cohérence, lisibilité, clarté et esprit républicain que nous veillerons à l'application de la loi.

Cette vision d'ensemble ainsi que les capacités et moyens légaux mis à disposition de toutes les parties – avocats, interprètes, hébergement, circulaires claires – permettront enfin de sortir d'un schéma strictement répressif.

Si la loi existe, elle doit s'appliquer au bénéfice de celui qui en use et de celui qui l'applique. Si la loi est en cohérence avec nos valeurs, celui qui l'exerce doit pouvoir le faire en toute confiance. C'est être en cohérence avec ce que nous sommes que de transformer nos paroles en actes, d'honorer nos valeurs, de respecter les fondements de la République et de rappeler que la solidarité n'est pas un crime. La garantie des libertés et des droits fondamentaux ne s'apparente ni à de l'angélisme ni à du laxisme : c'est un choix de société, c'est un choix de gouvernance. Merci à tous de nous permettre de le respecter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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