Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 11 décembre 2012 à 21h30
Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d'aide au séjour irrégulier — Discussion générale

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Monsieur le député, quand on accuse le Gouvernement de la République d'ouvrir les portes en grand, de favoriser l'immigration irrégulière et d'accroître le nombre des étrangers, on tient, malheureusement, le même discours que ceux qui veulent prospérer en exploitant le thème de l'étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je le regrette d'autant plus que, quand on a gouverné, on sait à quelles difficultés on est confronté. Vous savez bien qu'au cours des dix dernières années, il y a eu autant de régularisations que d'expulsions ; 180 000 à 200 000 étrangers sont entrés en France en situation régulière chaque année. Vous n'avez donc pas de leçon à nous donner sur ce sujet. Vous avez été confrontés à ces réalités et vous auriez dû appliquer le droit européen en responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ce texte est équilibré. Contrairement à ce que vous dites, il ne s'agit pas d'un texte partisan. Bien entendu, l'Assemblée nationale a également son mot à dire, mais je tiens à souligner qu'au Sénat, l'UMP et l'UDI ont voté ce texte avec le groupe socialiste et les radicaux de gauche, précisément parce que chacun était conscient qu'il fallait combler un vide juridique et que le projet de loi garantit des droits tout en permettant à la France de mener une politique équilibrée en matière d'immigration. Aussi, je regrette que, parce que nous sommes à l'Assemblée nationale, vous jugiez nécessaire de vous opposer au Gouvernement sur la question de l'immigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Ciotti a critiqué, lui aussi, notre politique. J'ai rappelé l'inaction du gouvernement précédent, car, je viens de le souligner, les décisions de la Cour de justice datent de 2011. Au fond, la Cour de cassation n'a fait que cueillir le fruit que la majorité précédente n'avait pas été capable d'empêcher de pourrir. Au reste, nous avons vu également, lors de la législature précédente, combien la réforme de l'autre garde à vue n'avait pas été préparée.

Je l'ai dit, il n'y aura pas de régularisation massive. Ce n'est pas possible dans l'état actuel de notre économie, de notre société. La circulaire que j'ai signée et à laquelle M. Poisson faisait allusion est exigeante. Elle permet de ne régulariser que celles et ceux qui, arrivés depuis au moins cinq ans en France, témoignent, en outre, d'un ancrage profond dans notre territoire : ceux qui ont au moins un enfant scolarisé depuis trois ans, ceux qui travaillent déjà et vont pouvoir cotiser et créer des richesses pour notre pays.

Fermeté et justice dans le même geste : telles sont les caractéristiques de la politique du Gouvernement. On voudrait nous enfermer en permanence dans ce débat entre une droite qui aurait le sens des responsabilités, mènerait une politique ferme en matière d'immigration, serait capable d'anticiper les mouvements de la société, et une gauche qui serait laxiste. Eh bien, nous faisons la démonstration qu'on peut à la fois être respectueux du droit, lutter contre l'arbitraire, être en phase avec les valeurs d'accueil et de générosité de la France et mener une politique en définissant des règles, des principes et en faisant preuve de la fermeté qui est aujourd'hui nécessaire. Voilà la politique que je mène. Cela vous gêne, car vous ne trouvez pas d'espace. Vous êtes donc obligés d'aller plus loin et de sortir de l'épure dans laquelle vous vous trouviez quand vous étiez au pouvoir. Ce faisant, vous n'assumez pas votre responsabilité, celle d'une opposition qui a gouverné pendant dix ans et qui n'a pas été capable de régler ce problème au fond, notamment, je le répète, en anticipant les décisions de la Cour de justice et de la Cour de cassation, et je le regrette. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur Richard, je partage votre souci d'une immigration maîtrisée, régulée. Cela suppose une lutte sans relâche contre les réseaux et les filières qui exploitent la misère humaine. Comme vous, je pense que la procédure nouvelle, la retenue, que crée ce projet de loi permet de concilier efficacement la nécessité de l'action des forces de l'ordre et le respect des libertés fondamentales.

La fin du délit de solidarité, par la création d'une nouvelle exemption, était nécessaire, non parce que les juges poursuivaient sans relâche les associations humanitaires, mais parce que l'absence de cette immunité constituait une anomalie. C'est une mesure symbolique, même si, comme l'a souligné M. Goldberg, un certain nombre de condamnations ont été prononcées. Mais pour ceux, associations, citoyens, individus, élus, qui travaillent, sont engagés dans cette solidarité, il était important que cette mesure d'apaisement soit prise. Encore une fois, elle correspond aux valeurs de notre pays.

Je veux rassurer M. Coronado et M. Robiliard : en aucun cas, les prestations d'assistance juridique dans les centres de rétention ne doivent être diminuées. C'est à la demande expresse des associations gestionnaires de l'assistance juridique que nous avons publié un marché d'une durée de dix mois. Cette phase transitoire, que j'ai souhaitée, doit nous permettre de réfléchir au visage futur de la rétention : quelles garanties pendant cette période, quelles alternatives, quelles modalités pratiques pour l'assignation à résidence ? Ce débat aura également lieu dans le cadre des évolutions de la rétention au plan européen. Certes, la situation financière de l'État est difficile et nous tenons compte de la baisse de fréquentation des centres pour calculer le coût de l'assistance juridique.

S'agissant des obligations qui figurent dans ce marché, comme d'ailleurs dans tout marché public, je souhaite être très clair : en aucun cas, elles ne peuvent être lues comme étant de nature à priver les associations de leur liberté d'expression et de leur devoir d'alerte, qu'elles utilisent bien évidemment. Je serai personnellement, si je puis dire les choses ainsi, garant de cette liberté d'expression et de ce droit d'alerte. En conclusion sur ce point, j'ajouterai une précision technique : il s'agit d'un marché négocié, autorisé par le code des marchés publics. La discussion avec les candidats, qui commence aujourd'hui, s'inscrit dans le cadre général d'un dialogue avec des associations dont je salue le rôle – même si, parfois, nous avons des désaccords –, dialogue dont nous avons repris le fil, cassé par nos prédécesseurs. Je confirme la confiance que j'ai en la qualité du travail fait par et avec les associations de défense des droits des étrangers. Chacun est, au fond, dans son rôle, même si, évidemment, pour ce qui nous concerne, nous avons à mener cette politique.

Monsieur Coronado, vous avez insisté sur les garanties dont bénéficie la personne retenue. Elles reprennent toutes celles de la garde à vue, à l'exception de celles rendues impossibles par la durée plus courte de la retenue ou qui paraissent excessives au regard de son objet. Il convient en effet de rappeler que la retenue vise à assurer une simple vérification de titre, alors que la garde à vue visait à rassembler des éléments de preuve, démarche bien différente.

Sur l'accès au juge des libertés et de la détention – auquel M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Barbara Romagnan, Mme Laurence Dumont ont fait allusion –, un parlementaire se verra confier une mission. Il est indispensable que le Parlement joue pleinement son rôle, monsieur le président de la commission des lois – je suis heureux de vous retrouver, car vous nous avez manqué cet après-midi. (Sourires.) La procédure est complexe et le temps de la réflexion n'est pas un temps perdu. La mission qui sera menée par ce parlementaire nous permettra, après le débat sur l'immigration économique et étudiante souhaité par le Président de la République et avant un nouveau texte de loi, de déblayer le terrain – si vous me permettez cette expression – et de trouver des solutions à des problèmes complexes.

Sur l'accès à un avocat, je suis heureux des avancées proposées par le Gouvernement, qui satisfont beaucoup d'entre vous.

S'agissant de l'interpellation aux guichets, que l'un d'entre vous a évioquée, ainsi que je l'ai dit à l'occasion d'une réunion des préfets il y a une semaine, lorsqu'un étranger vient en confiance en préfecture pour faire examiner sa situation, il ne saurait être question de l'interpeller aux guichets, au seul motif qu'il est en situation irrégulière. Cette déclaration vaut, sur ce point, abrogation de la circulaire de 2006 et je le rappellerai si nécessaire dans le cadre d'une circulaire plus large. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.) Il me paraît important de le souligner, monsieur Roger-Gérard Schwartzenberg.

Monsieur Dolez, je ne partage pas votre avis sur un point : je pense que la vérification d'identité d'une durée de quatre heures ne constituait pas un cadre opérationnel pertinent. Une nouvelle procédure était nécessaire. La durée de seize heures me semble satisfaisante : elle correspond à l'importance des diligences et procédures à effectuer et répond, ainsi que cela a été dit, aux attentes des policiers et des gendarmes.

Monsieur Capet, fort de l'expérience qui est la vôtre, à Sangatte et ailleurs, vous savez qu'il importe de mener une politique équilibrée. Il faut à la fois être ferme dans la lutte contre les filières qui exploitent la misère et permettre à l'aide humanitaire de se déployer. C'est pourquoi nous proposons d'abroger le délit de solidarité. M. Goldberg y est revenu. Je salue, encore une fois, son engagement, comme celui de Sandrine Mazetier, qui a eu des mots forts, et je la remercie de son soutien, engagé et sincère. Je vous remercie tous deux de votre confiance.

L'un des membres du groupe Rassemblement-UMP, M. Dino Cinieri, a souligné avec raison que la retenue d'une durée de seize heures constituait une mesure nécessaire ; je le remercie de ce constat. Elle est indispensable pour rendre aux mesures d'éloignement leur efficacité, après la décision de la Cour de cassation. S'agissant de la circulaire du 28 novembre, applicable au 3 décembre, je ne l'ai pas soumise au Parlement précisément parce que c'est une circulaire, un texte qui guide les préfets dans l'usage de leur pouvoir discrétionnaire.

Monsieur Poisson, je salue le ton qui a été le vôtre. J'ai compris votre référence au judéo-christianisme s'agissant de la tradition d'accueil de notre société, même si j'ai cru un moment que vous alliez me parler d'un autre sujet, qui ne relève pas directement de mes fonctions. Vous n'en étiez pas loin, je l'ai bien compris… (Sourires.) Nous n'avons pas de désaccord sur le fait que le délai de seize heures répond aux attentes des forces de police et de gendarmerie. S'agissant de l'immunité pour l'aide au séjour irrégulier, vous avez raison de prêter attention au risque d'une exemption trop large qui favoriserait les filières, mais la rédaction à laquelle nous avons abouti en commission doit permettre d'éviter cet écueil, tout en abrogeant une mesure qui était une anomalie de notre droit pénal.

M. Bompard n'est plus là ; je passe.

Madame Chapdelaine, vous avez cité l'arrêt « Popov » de la Cour européenne des droits de l'homme, par lequel la France a été condamnée, en 2011, pour placement d'enfants en rétention dans des conditions difficiles. Vous l'avez souligné, la circulaire du 6 juillet 2012 – c'était un engagement du Président de la République et j'ai veillé à ce qu'il soit tenu – privilégie pour les familles avec enfants l'assignation à résidence. Il est toujours essentiel de veiller à se conformer au droit européen. J'ai rappelé que cela concernait une cinquantaine de familles, mais, au nom même de nos principes, cette rétention n'était pas supportable. J'ai fait un certain nombre de propositions concernant Mayotte – Mme Dumont a évoqué la situation de cette île – qui doivent également permettre de mettre en oeuvre notre droit.

J'aurai l'occasion, lors de l'examen des articles, de donner telle ou telle précision. En conclusion, je veux redire qu'au-delà des discussions qui peuvent nous opposer, je constate avec plaisir le soutien de la majorité…

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