Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, je tiens d’abord, au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, à saluer l’opportunité que nous avons, aujourd’hui, de débattre d’un projet de loi essentiel pour l’avenir de nos relations avec le Maroc, qui ont malheureusement été fragilisées pendant près d’un an.
Malgré les difficultés rencontrées par la France et le Maroc en 2014, chacun est conscient du lien unique qui existe entre nos deux pays. Premier partenaire de la France au Maghreb, le Maroc a toujours occupé une place particulière au sein de notre pays, que ce soit en matière de commerce, d’investissements ou de coopération culturelle. Plus qu’une simple relation diplomatique, la France et le Maroc entretiennent depuis longtemps une amitié sans équivalent, particulièrement précieuse dans un contexte international aussi compliqué.
La France et le Maroc ont toujours partagé des valeurs et des intérêts communs, sur lesquels ils ont pu bâtir une confiance mutuelle forte et pérenne. Le mélange de nos deux peuples reste certainement l’un des plus beaux exemples de l’engagement réciproque qui unit nos deux pays – un engagement qui n’a jamais failli. Ainsi, le Maroc compte près de 50 000 Français permanents et 20 000 résidents occasionnels sur son territoire et il est, encore aujourd’hui, l’une des destinations touristiques préférées des Français, notre pays étant le principal marché émetteur pour le royaume. En ce qui concerne la France, ce sont plus de 1,5 million de Marocains, dont 670 000 binationaux, qui sont installés sur notre territoire. Preuve de l’attractivité de notre pays : plus de 60 % des Marocains qui partent faire leurs études à l’étranger choisissent la France pour poursuivre leur cursus.
Mes chers collègues, au-delà des intérêts économiques et culturels que nous partageons depuis longtemps, nous avons récemment trouvé, dans le Maroc, un allié de poids contre le fléau de la radicalisation qui terrasse nos deux pays. Au fil des années, le Maroc est donc devenu un partenaire incontournable dans la lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel, au Proche et au Moyen-Orient. Si une telle coopération trouve toute son importance aujourd’hui, elle est loin d’être nouvelle. En effet, depuis près de soixante ans, nos deux pays ont pris l’habitude de coopérer en matière judiciaire avec efficacité et confiance.
Cette relation entre la France et le Maroc remonte à la signature, le 5 octobre 1957, d’une convention d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur et d’extradition. Pour la première fois, ce texte a permis l’ouverture d’une coopération judiciaire, en matières civile et pénale, entre nos deux pays. Souvent jugé incomplet, cet accord a finalement été remplacé par une nouvelle convention, signée le 18 avril 2008. Depuis cette date, la France et le Maroc bénéficient d’un véritable cadre conventionnel concernant l’entraide judiciaire et pénale. À cette occasion, les deux États se sont engagés à « s’accorder mutuellement l’aide judiciaire la plus large possible ».
Entrée en vigueur en 2011, cette convention avait pour principal objectif d’élargir le champ de l’entraide et de rendre plus fluides les échanges entre nos deux pays. Elle permettait surtout de promouvoir des techniques de coopération très modernes, afin de lutter plus efficacement contre la criminalité transnationale. Malgré cet accord, la France et le Maroc ont connu en 2014 un épisode diplomatique pour le moins regrettable, un épisode auquel nous ne pourrons mettre un terme qu’en adoptant le protocole additionnel à cette convention.
Le gel de tous les accords de coopération judiciaire avec la France, décidé unilatéralement par le ministère de la justice marocaine en février 2014, a porté un coup à la stabilité de nos relations diplomatiques. Cette crise est la conséquence de trois plaintes pour torture déposées à Paris, en février 2014, contre le patron de la Direction générale de la surveillance du territoire marocain, M. Abdellatif Hammouchi. La justice française avait alors demandé l’audition du patron du contre-espionnage marocain, ce qui avait été perçu comme un acte d’ingérence par les autorités marocaines. Récusant de telles accusations, le Maroc avait finalement pris la décision de suspendre toute coopération judiciaire, rendant nos relations diplomatiques quasiment impossibles. Ce choix a bien entendu été préjudiciable à nos deux pays. En effet, 230 dossiers sont restés en souffrance, les enquêtes pénales transnationales ont été entravées et les extraditions ou transfèrements de prisonniers ont été ralentis. Le gel des échanges d’informations aurait pu avoir des conséquences encore plus graves, notamment dans la lutte menée par la France et le Maroc contre le terrorisme.
En janvier 2015, Christiane Taubira et son homologue marocain, Mustapha Ramid, ont finalement choisi la voie de la réconciliation en permettant le rétablissement immédiat de la coopération judiciaire. Ce rapprochement devrait s’officialiser avec l’approbation du protocole additionnel présenté aujourd’hui devant notre assemblée. Signé le 6 février 2015 par les ministres de la justice des deux États, ce texte cherche à rendre plus efficace, et surtout plus durable, la coopération entre la France et le Maroc, dans le respect du droit interne et des engagements internationaux.
Ce protocole additionnel représente une opportunité unique de sortir d’une crise qui n’a que trop duré. Participer, en tant que parlementaire, à l’adoption d’un tel texte, constitue un message politique fort, de confiance et de soutien, adressé directement au peuple marocain. Gage de réconciliation entre nos deux pays, ce protocole introduit un nouvel article 23 bis au texte de la convention d’entraide judiciaire signée en 2008. Désormais, il est explicitement indiqué que le dispositif d’information et d’échange instauré entre nos deux États devra respecter l’ensemble des conventions internationales auxquelles ils ont souscrit, à l’image de celle des Nations unies contre la torture, adoptée en 1984, ou de celle relative à la lutte contre la criminalité transnationale organisée, adoptée en 2000.
Ce nouvel article pose également un principe d’information mutuelle immédiate pour des faits commis sur le territoire de l’autre partie. Ainsi, les autorités françaises auront l’obligation d’informer le Maroc en cas de procédure ouverte en France pour des faits commis au Maroc. Si ce principe ne semble pas de nature à bouleverser notre droit, des imprécisions de rédaction semblent demeurer. En effet, le terme « immédiateté » n’est pas précisé et semble très relatif. Par ailleurs, est-il possible de concilier une telle obligation d’information avec le respect du secret de l’instruction ? Une information sur la simple ouverture d’une procédure ne pourrait-elle suffire ?
En outre, des réserves peuvent légitimement être émises quant à l’instauration d’un ordre prioritaire pour déterminer les suites à donner à une procédure. D’après le texte, au vu des observations reçues, l’autorité judiciaire initialement saisie détermine les suites à donner. Ainsi, lorsqu’une affaire concerne des faits commis sur le territoire de l’autre pays par un de ses ressortissants, l’autorité judiciaire doit renvoyer en priorité l’affaire au pays concerné, ou la clôturer. Cette disposition interroge. Elle est d’ailleurs à l’origine des craintes émises par certaines organisations, comme Amnesty International, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, ou encore par des syndicats de magistrats. N’est-il pas à craindre que le juge français soit automatiquement poussé à se dessaisir d’affaires dont les faits ont été commis au Maroc au profit d’un juge marocain ?
Mes chers collègues, malgré ces questions, auxquelles, je l’espère, des réponses seront apportées au cours de ce débat, nous restons convaincus que l’approbation de cet accord est primordiale pour l’avenir des relations et de l’amitié franco-marocaine. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera donc bien évidemment ce projet de loi.