Intervention de Philippe Baumel

Séance en hémicycle du 23 juin 2015 à 15h00
Approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume du maroc — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel :

Nos relations diplomatiques et d’amitié avec le Maroc sont étroites et anciennes tant en matière économique, culturelle qu’éducative. Mais parce que les circonstances et l’actualité l’imposent, nous avons à faire face ensemble à un nouveau défi, celui de la lutte contre le terrorisme, avec son cortège de trafics en tout genre. Je pense notamment aux trafics d’êtres humains que l’on voit, malheureusement, se développer dans toute la Méditerranée.

La coopération franco-marocaine s’inscrit dans une volonté générale et commune de lutte contre la radicalisation, laquelle apparaît d’autant plus importante au vu des événements récents. Nous connaissons d’ailleurs tous la place essentielle qu’occupe le Maroc dans ce combat commun.

Le renforcement de notre coopération doit permettre de prévenir les risques d’instabilité politique dans la région du Sahel et, demain, de rechercher des solutions sur la question particulièrement sensible de la Libye. Rabat a joué un rôle fort en mars dernier en facilitant la réunion, pour la première fois, des deux parlements rivaux libyens en vue de former un gouvernement d’union nationale, et en les recevant par la suite à plusieurs reprises, facilitant ainsi l’action menée par le médiateur de l’ONU, M. Bernardino Leon, pour tenter de rapprocher les points de vue libyens.

Une telle collaboration doit être approfondie, particulièrement en matière judiciaire et pénale, ce qui est l’objectif de ce protocole additionnel. Mais si elle revêt, par la nature même du texte, un caractère exceptionnel, cette coopération ne doit pas être exorbitante : les droits et libertés constitutionnels tout comme nos engagements internationaux doivent être garantis et respectés.

Nous le savons tous, le protocole additionnel a soulevé de nombreuses interrogations tant du côté des ONG que des autorités administratives indépendantes. Pour s’approcher de la vérité de son contenu, mieux vaut se garder de certaines approches, certes enthousiastes, mais peut-être excessives.

Je m’attacherai à développer quatre questions. Tout d’abord, l’indépendance des juges et donc de la justice est-elle réellement garantie ? Le rapport remis par la présidente de la commission des affaires étrangères a permis de lever une partie des incertitudes sur ce point.

En premier lieu, s’agissant des informations dont le paragraphe 2 prévoit la transmission immédiate lorsque les faits ont été commis sur le territoire de l’autre partie par l’un de ses ressortissants, il appartiendra aux parquets généraux, en opportunité, de les porter à la connaissance des autorités centrales afin que les autorités centrales de l’autre partie soient également informées.

Il semble donc clairement établi qu’aucune directive ne sera donnée par le ministère de la justice aux autorités judiciaires.

En outre, lors de l’ouverture de procédures pénales auprès de l’autorité judiciaire par une personne n’en possédant pas la nationalité pour des faits commis sur le territoire de l’autre partie par l’un de ses ressortissants, le paragraphe 3 de l’article 2 du présent protocole prévoit la mise en place d’une procédure dite de « dénonciation officielle ».

Il ne s’agit pas d’un dessaisissement des juges français ou marocains au profit de leurs homologues, mais d’une simple délégation de poursuites. Ainsi, l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuite et les requérants ne sont pas privés de voies de recours réelles. L’accès à une justice effective reste garanti.

Deuxième question : le secret de l’instruction, principe fondamental de notre droit pénal, est-il respecté ? Seule l’information sur l’existence d’une procédure sera transmise et non le contenu précis et détaillé du dossier. Une telle information sommaire ne saurait constituer une violation du secret de l’enquête et de l’instruction.

Ma troisième question porte sur l’articulation de ce protocole avec nos engagements internationaux et la compétence quasi universelle des juges français.

Les articles 689 et suivants du code de procédure pénale permettent aux juridictions françaises de poursuivre et de juger les faits commis à l’étranger par une personne étrangère se trouvant sur le territoire français sur des victimes étrangères et ce, conformément aux conventions internationales ratifiées par la France.

Or le protocole additionnel ne revient en rien sur les obligations de la France en la matière et ne remet pas en cause la compétence quasi universelle du juge français.

Le protocole rappelle en effet que le dispositif de coopération et d’échange s’inscrit dans le cadre des engagements respectifs de la France et du Maroc pour contribuer à la bonne mise en oeuvre des conventions internationales qui les lient.

C’est le cas en particulier de la convention des Nations unies contre la torture adoptée à New York le 10 décembre 1984 et à laquelle chacun de nos deux pays est partie.

Le texte ne comporte aucun mécanisme obligatoire de subsidiarité, ni aucune clause de compétence ; par conséquent, il ne contrevient pas au droit en vigueur.

Enfin, l’application de ce protocole aux binationaux est le principal point sur lequel nous pourrions éventuellement exprimer des réserves. Il a toutefois été évoqué par plusieurs intervenants, et je n’y reviendrai pas, d’autant que mon temps de parole est écoulé. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter sans aucune retenue en faveur de l’approbation du protocole additionnel.

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