Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 23 juin 2015 à 15h00
Approbation du protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume du maroc — Discussion générale

Annick Girardin, secrétaire d’état chargée du développement et de la francophonie :

Mesdames, messieurs les députés, vous avez soulevé dans cette discussion générale des questions importantes et légitimes auxquelles je veux répondre.

Ces questions sont importantes parce que le Maroc constitue un pôle de stabilité dans un monde arabe déchiré par les conflits. Ce pays a fait des choix courageux pour se moderniser ; il est donc essentiel de le soutenir dans cette voie. C’est aussi un partenaire de premier plan pour la France, tant par nos liens si profonds et si complexes, rappelés par Élisabeth Guigou, que dans notre lutte contre le terrorisme et les dérives radicales.

Elles sont légitimes parce que l’accord que nous examinons aujourd’hui traite de questions fondamentales pour notre démocratie, telles que la séparation des pouvoirs, l’accès des citoyens à la justice, l’égalité de tous devant la loi et la vocation universelle des droits de l’homme. Nous devons traiter ces sujets avec la gravité qui convient et il est important que je puisse prendre quelques instants pour éclaircir certains points.

Madame Guigou, monsieur Degallaix, vous m’avez interrogée sur la nature des informations qui seront transmises : les autorités se transmettront les informations que l’autorité judiciaire aura portées à leur connaissance à cette fin. C’est donc bien à l’autorité judiciaire, dont notre Constitution garantit l’indépendance et la vocation de gardienne des libertés individuelles, qu’il reviendra d’apprécier le contenu exact des informations transmises, dans le respect du secret de l’instruction.

S’agissant du flux important d’informations, il y a lieu de penser, ainsi que vous l’avez indiqué, madame Guigou, que celles-ci seront assez succinctes et strictement nécessaires au bon déroulement de la procédure : identité de l’auteur présumé, lieu, date et qualification des faits poursuivis.

Monsieur Degallaix, madame Duflot, vous avez évoqué les risques de dessaisissement dans l’hypothèse où, après avoir reçu des éléments d’information de l’autre partie, l’autorité judiciaire saisie décide qu’il est préférable que l’affaire soit jugée par les autorités judiciaires de l’autre pays. Elle procédera alors par la voie de la dénonciation officielle des faits, rappelée par M. Philippe Baumel : c’est l’acte par lequel une partie donne connaissance à une autre partie d’une infraction et lui demande de la juger. Cet acte ne dessaisit pas le juge saisi en premier, qui conserve la faculté de reprendre les poursuites à tout moment.

Madame Duflot, vous avez indiqué que ce texte donnerait une priorité au juge marocain : si le nouveau dispositif permet la saisine du juge de l’autre État, ce n’est qu’à l’initiative du juge initialement saisi – et encore ce dernier conserve-t-il in fine le droit de juger : il est important de le rappeler. Ces deux précisions devraient achever de vous convaincre.

Monsieur Asensi, madame Duflot, vous avez évoqué des risques de pression sur les juges : le texte est strictement conforme aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire consacrés par la Constitution. L’autorité judiciaire conservera donc, en toute hypothèse, le dernier mot sur les suites à donner. Je rappelle que, depuis juillet 2013, le pouvoir exécutif ne donne plus aucune instruction aux parquets dans les dossiers individuels, comme l’a fort bien rappelé Jean-Yves Le Bouillonnec.

Concernant le droit au recours, et contrairement à ce qui a été dit, ce texte ne porte pas atteinte au droit à un recours effectif des victimes de crimes et de délits commis au Maroc – bien au contraire ! Les procédures menées en France pour des faits commis à l’étranger nécessitent des demandes d’entraide, que ce texte favorisera.

Ce texte est le résultat non pas d’un chantage, mais bien d’une forte volonté politique et d’un attachement partagé à la relation franco-marocaine, monsieur Asensi. Cet accord crée bien sûr les conditions de la relance. Il n’y a donc ni vainqueur ni vaincu : après l’adoption de ce texte tout à l’heure – je l’espère ! –, il y aura in fine deux gagnants.

Par ailleurs, vous convergez tous – monsieur Chatel, madame Duflot, monsieur Maggi, monsieur Asensi – sur un point : le Maroc est engagé depuis quinze ans dans un processus important de modernisation politique et sociale. En 2014, rappelons-le, le Maroc se classe premier dans l’indice de démocratie arabe publié par l’Arab Reform Initiative. L’expérience d’autres pays de cette région doit nous conduire à encourager résolument ces avancées ; tel est le chemin que nous suivons tous aujourd’hui.

Monsieur Marleix, vous avez raison : la France souhaite, plus que jamais, rester le partenaire de référence du Maroc dans tous les domaines. Les moyens déployés sont donc à la hauteur de nos ambitions. Le réseau d’enseignement français au Maroc est notre plus grand réseau à l’étranger, avec plus de 32 000 élèves en 2014, et l’Institut français du Maroc est notre plus grand institut dans le monde, avec douze sites répartis sur tout le territoire.

Au terme de ce débat, je souhaite vous remercier, au nom du Gouvernement, pour la qualité de nos échanges. Ils ont été à la hauteur des enjeux : d’une part, la place de la justice, des victimes et des droits de l’homme dans notre société et dans les relations internationales ; d’autre part, la relation bilatérale avec un partenaire essentiel pour la France dans un contexte où nous faisons face aux mêmes défis et où notre partenariat nous offre des opportunités formidables d’y répondre.

Le texte soumis à votre approbation aujourd’hui répond à ces enjeux en créant les conditions d’une coopération judiciaire plus efficace entre nos deux pays, dans le plein respect de nos principes constitutionnels et de nos engagements internationaux.

J’espère, mesdames, messieurs les députés, que ces quelques mots supplémentaires vous auront apporté des réponses aux quelques inquiétudes qui seraient demeurées jusqu’à maintenant. Nous sommes nombreux à estimer que ce texte est gagnant pour toutes les parties, la France comme le Maroc, et j’espère que vous serez très nombreux à le voter.

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