Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 23 juin 2015 à 15h00
Deuxième dividende numérique et modernisation de la télévision numérique terrestre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, cette proposition de loi entend libérer une bande de fréquences actuellement utilisées par la TNT au profit de la téléphonie mobile, partant du constat indéniable qu’aujourd’hui, le taux de croissance annuel du trafic mobile est de plus de 60 % par an.

L’arrivée de l’internet mobile et l’essor des smartphones et des tablettes conduisent en effet à une explosion des données échangées. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer ici lors d’un débat sur la presse, les frontières entre ce qui est lu, écrit et écouté sont de plus en plus ténues. Il est désormais courant – et même banal – de regarder, sur un téléphone ou une tablette, une émission en replay depuis le site internet d’une télévision hertzienne, depuis celui d’un média numérique ou encore depuis un site internet d’hébergement de vidéos. On assiste à une petite révolution des modes de diffusion et de consommation des vidéos, qu’il s’agisse de reportages, de documentaires, de séries ou de films.

C’est aussi une révolution dans le mode d’accès à l’information. Les succès de Dailymotion, YouTube et iTunes, l’arrivée de Netflix en France ou encore l’essor des pure players n’en sont qu’un exemple. Il en résulte une augmentation fulgurante du trafic mobile qui, d’après les projections, n’est pas près de s’arrêter.

Aussi, libérer des basses fréquences pour répondre aux besoins des opérateurs de télécommunications se révèle nécessaire pour répondre au développement actuel et attendu des réseaux mobiles à très haut débit.

C’est donc l’objet de cette proposition de loi, en cohérence avec un mouvement international et européen qui, comme l’a indiqué l’orateur précédent, se dessine autour de la bande 700 mégahertz. Plusieurs pays européens ont déjà décidé d’affecter cette bande aux services mobiles : l’Allemagne, la Suède, le Danemark ou encore la Finlande, pour ne citer que ces quelques exemples. Qu’autant de pays parviennent à agir en cohérence est suffisamment rare pour que l’on puisse le souligner et apprécier que la France participe à cet élan en anticipant les besoins.

Toutefois, il faudra être très regardant sur les conséquences de l’attribution de ces nouvelles fréquences sur la téléphonie et sur la reconfiguration de ce secteur. Il faudra notamment s’assurer que l’attribution de fréquences aux opérateurs mobiles se fasse en tenant bien compte des impératifs d’aménagement numérique du territoire.

Ce point a fait l’objet d’un examen particulier en commission et l’amendement déposé par Mme Erhel nous rassure, mais il s’agit d’un tel enjeu que je me permets d’insister à nouveau : il est essentiel que l’aménagement du territoire constitue un critère prégnant dans l’attribution des futures fréquences.

Cette vigilance devra aussi s’exercer sur d’autres points, en raison de leurs effets induits sur la TNT. Certes, certains effets escomptés seront positifs : je pense en particulier à l’amélioration de la qualité de l’image pour les téléspectateurs. En effet, pour libérer ces fréquences, la TNT va devoir passer de huit à six multiplex et la norme de compression MPEG-4 sera généralisée, ce qui permettra de moderniser la TNT grâce à la généralisation de la haute définition. C’est donc une meilleure qualité des images qui est attendue, au profit du public.

Ce texte dresse également le cadre permettant de poursuivre dans cette voie de la modernisation de la plateforme hertzienne avec, par exemple, la possibilité d’expérimenter l’ultra haute définition.

Cependant, cette modernisation s’accompagne de risques qu’il faut anticiper pour que la réforme se réalise dans de bonnes conditions. La crainte de « l’écran noir », qu’a notamment soulevée M. Bloche, a été très largement mise en avant. La vaste campagne de communication et les différents dispositifs d’aide adoptés en commission suite à des amendements du Gouvernement et de notre rapporteur devraient permettre d’éviter ce scénario, afin que cette évolution n’affecte la réception des chaînes de la TNT dans aucun foyer. C’est une préoccupation qui doit être prise au sérieux dans l’intérêt du public – notamment les personnes âgées ou handicapées et celles qui connaissent des difficultés financières ou qui vivent dans des territoires « enclavés ». En clair, aucune personne, aucun téléspectateur ne doit être « privé d’écran » suite à ces évolutions.

La proposition de notre collègue Patrick Bloche de « panneau déroulant » est une piste, qu’il conviendrait d’ailleurs d’ajouter à celles déjà envisagées en matière de communication.

Autres éléments à prendre en compte : la peur de la perte d’audience et la question des coûts pour les diffuseurs et la chaîne.

Si globalement cette évolution est supposée générer une baisse des coûts de diffusion, des cas particuliers peuvent apparaître. Il convient de mieux les prendre en compte. Je pense à France 3, par exemple, qui devra faire face à un surcoût important pour le remplacement des encodeurs utilisés pour les décrochages locaux et régionaux auxquels les écologistes sont particulièrement attachés.

En ce qui concerne la perte d’audience, les garanties données quant aux postes secondaires sont rassurantes, mais ce point mérite un suivi spécifique du fait des migrations technologiques qui pourraient avoir lieu.

Autres questions délicates : la rupture anticipée des contrats de diffusion ou encore l’impact pour les collectivités territoriales qui, dans les zones géographiques non couvertes par les opérateurs de multiplex, organisent elles-mêmes une rediffusion locale.

Dans le contexte financier actuel et compte tenu des diminutions des dotations de l’État, il est important que les collectivités concernées reçoivent bel et bien une compensation financière.

Et il faudra aussi s’assurer que les professionnels du spectacle vivant et les producteurs de spectacles culturels ou d’événements sportifs ne soient pas touchés, car aujourd’hui ils utilisent pour leurs manifestations les fréquences de la bande 700 restées libres. Vous avez, madame la ministre, soulevé cette question. Des garanties doivent effectivement leur être apportées pour qu’ils puissent continuer à utiliser des fréquences gratuitement et sans avoir besoin d’autorisation individuelle.

Ce qui m’amène à aborder un autre enjeu essentiel, largement sous-estimé ici : le soutien à la création.

Le financement de la création audiovisuelle et cinématographique repose largement sur les contributions de la TNT – plus de 1,2 milliard d’euros en 2012.

Comme l’indique le CSA, il n’existe aujourd’hui aucun modèle alternatif de soutien à la création. Or, compte tenu de l’évolution des modes de consommation et de l’utilisation des fréquences par les opérateurs de téléphonie pour diffuser sons et vidéos, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de maintenir le modèle existant sans l’élargir aux autres plateformes à très haut débit. Il serait en effet logique que le financement de la création s’appuie sur les chaînes de télévision mais aussi sur les opérateurs de téléphonie.

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