Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Renseignement — Présentation commune

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, nous arrivons à la fin de l’examen de ce texte de loi. Après les interventions du rapporteur de la commission mixte paritaire et du ministre de l’intérieur, il reste peu d’éléments à ajouter. Je concentrerai donc mon propos d’une part sur l’esprit même de ce texte et d’autre part sur les dispositions relatives au contrôle juridictionnel et à la responsabilité du ministère de la justice, s’agissant notamment du renseignement pénitentiaire, qui fut un sujet de débat.

Ce texte de loi répond à la nécessité à la fois de mettre en oeuvre des techniques de recueil du renseignement et de protéger nos libertés, qui sont garanties non seulement par la loi fondamentale, ainsi que M. le ministre de l’intérieur vient de le rappeler, mais aussi par notre code civil et par nos engagements internationaux, en particulier conventionnels.

Ces garanties, qui portent sur la protection de notre vie privée et familiale et de l’inviolabilité de notre domicile et de notre correspondance, doivent être préservées. Nous savons parfaitement que les techniques de recueil du renseignement sont potentiellement attentatoires à ces libertés. Le Gouvernement a donc eu le souci de donner aux services de renseignement les capacités opérationnelles nécessaires pour recueillir les informations leur permettant d’assurer la sécurité des Français tout en fixant des conditions en matière de contrôle administratif et juridictionnel telles que les citoyens n’ayant aucune raison d’être soumis à une telle surveillance voient l’effectivité de leurs droits garantie.

Évidemment, ce texte a fait débat, ce qui me paraît tout à fait sain, car il concerne des sujets essentiels. Il a tout d’abord été examiné dans des circonstances particulières, même si, cela a été dit à plusieurs reprises, ce n’était pas un texte de circonstance, puisque son élaboration avait commencé deux années auparavant. Nous ne pouvons cependant faire fi des circonstances particulières du début de l’année en cours. Il touche ensuite à nos libertés fondamentales. Il est donc sain que les citoyens se préoccupent des conditions dans lesquelles leur sécurité est assurée par la puissance publique et leurs libertés protégées.

Nous savons bien que le recueil du renseignement relève d’un domaine dérogatoire au droit commun et que les conditions de contrôle administratif et juridictionnel doivent, en restant dans le droit commun, apporter toutes les garanties nécessaires.

Le débat a donc eu lieu, la société civile s’est impliquée, les associations de défense des droits de l’homme et les organisations professionnelles se sont exprimées. Certes, comme le texte évoluait, il y avait parfois un décalage dans les débats, mais c’est dans la nature des choses : le texte du Gouvernement a d’abord été transmis au Conseil d’État, puis à la commission des lois de l’Assemblée nationale, avant d’être examiné en séance publique. Cela étant dit, il est bon, dans notre démocratie, que les uns et les autres puissent s’exprimer sur un texte de cette teneur. Le Conseil d’État a examiné le texte, la Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est exprimée et nous avons eu des débats riches tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Le Gouvernement a souhaité que le contrôle soit effectif, et c’est le cas, dans la mesure où tout citoyen pourra, le rapporteur l’a rappelé, saisir le Conseil d’État, notre plus haute juridiction administrative, qui, au demeurant, a démontré par sa jurisprudence qu’elle était garante des libertés individuelles. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement peut également le saisir, dès qu’un tiers de ses membres, soit trois personnes, le jugent nécessaire.

Nous avons veillé en outre à renforcer les contrôles sur les techniques les plus intrusives : en cas d’avis négatif de la commission de contrôle, le Conseil d’État sera automatiquement saisi et les investigations seront suspendues dans l’attente de sa décision.

Nous n’avons pas voulu négliger les nécessités d’urgence. Nous permettons donc que la procédure de référé puisse être enclenchée auprès du Conseil d’État. Pour la première fois, des magistrats du Conseil d’État seront habilités secret défense, ce qui leur donnera un accès direct aux documents classifiés et leur permettra de former leur jugement sur la base d’éléments non pas transmis mais qu’ils auront constatés directement eux-mêmes.

Le contrôle parlementaire sera également effectif au travers de la délégation parlementaire au renseignement et du rapport annuel qui sera présenté devant chacune des chambres du Parlement.

Certains professionnels sont protégés du fait des secrets que leur activité les conduit à détenir ; les journalistes du fait du secret des sources, les avocats pour les besoins des droits de la défense, les magistrats du fait des dispositions législatives sur le secret de l’enquête, de l’instruction et du délibéré, et les parlementaires. Toutes ces professions et fonctions qui relèvent de la vie et de la vitalité de la démocratie sont protégées dans ce texte. Comme vient de le rappeler le ministre de l’intérieur, et c’est la raison pour laquelle je ne m’y attarderai pas, aucune technique de recueil du renseignement ne sera mise en oeuvre sans que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne se soit réunie dans sa formation plénière, et les procédures d’urgence ne pourront être mises en oeuvre que s’il est établi par des indices sérieux que la personne agit sur ordre d’une autorité étrangère ou appartient à une organisation terroriste ou criminelle.

Le Président de la République a décidé de saisir le Conseil constitutionnel : c’est la traduction de la consigne forte qu’il a donnée afin que ce texte soit conçu dans le respect de l’État de droit et de nos principes démocratiques. Que notre haute cour constitutionnelle statue sur cette loi avant sa promulgation constitue à cet égard la meilleure garantie qui soit.

J’en viens à présent aux points qui concernent spécifiquement le ministère de la justice.

Le Parlement, dans ses débats, a convenu que les missions constitutionnelles dévolues au ministère de la justice en qualité de garant des libertés et des droits fondamentaux pouvaient être préservées sans que cela porte atteinte à l’efficacité opérationnelle de la surveillance nécessaire, notamment au sein des établissements pénitentiaires, où elle est déjà exercée.

J’aimerais d’ailleurs lever le malentendu qu’il y a pu avoir sur ce sujet : certains ont pensé que le débat portait sur l’opportunité ou non d’exercer une surveillance au sein des établissements pénitentiaires, alors que ces derniers font déjà l’objet d’une surveillance réelle, puisqu’ils font bien partie de notre territoire. La question était plutôt de savoir qui devait opérer une telle surveillance.

Nous avons proposé avec détermination, monsieur le ministre Urvoas – pardon, monsieur le président de la commission des lois ! Certaines personnes sont visionnaires, il s’agissait peut-être là d’un oracle…

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