À l’heure d’une actualité qui ne nous apprend malheureusement rien de véritablement nouveau et dont j’ai la conviction qu’elle n’a pas davantage de caractère fortuit, nous nous engageons aujourd’hui dans l’ultime étape de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, tel qu’il est issu de l’accord intervenu entre députés et sénateurs la semaine dernière au sein de la commission mixte paritaire.
C’est l’occasion de dresser le bilan du travail d’ampleur que nous avons mené ensemble au cours de ces derniers mois sur cette question d’importance qui n’a pas manqué de susciter l’intérêt, voire les passions, pour ne pas dire de francs excès. Ce débat, nous l’avons mené les uns et les autres avec conviction, dans une confrontation des points de vue parfois ardente, au sein de cet hémicycle, sous le regard sans aménité d’un certain nombre de nos concitoyens qui ont souhaité exprimer des inquiétudes que nous nous devions de prendre en compte.
Je veux ici saluer la marque que notre rapporteur Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, a su imprimer à ce texte en portant de manière constante, avec sincérité et force juridique, une vision mesurée et déterminée de ce que doit être la conciliation du respect des libertés publiques et de l’efficacité des services de renseignement dans un État de droit comme le nôtre.
Je veux aussi remercier le Premier ministre et les ministres pour leur écoute et l’attention qu’ils ont portée au travail des parlementaires, ici, à l’Assemblée nationale, ensuite au Sénat.
Qui pourrait nier que le texte soumis par le Gouvernement a été profondément consolidé lors de son passage dans les deux chambres s’agissant des garanties apportées aux citoyens ? Nous nous sommes interrogés lors de nos débats pour savoir si un pays comme la France avait une légitimité pour disposer de services de renseignement. Si, objectivement, très peu se posent encore cette question, il en demeure quelques-uns.
Nous nous sommes interrogés sur les moyens auxquels ils pouvaient avoir recours : devaient-ils pouvoir agir, de manière encadrée et contrôlée, sur tous les outils technologiques employés par ceux qui visent à attenter à la sécurité de la France et des Français ? Et nous avons porté une attention particulière aux conséquences de ces dispositions sur le respect de la vie privée.
À ces préoccupations, nous avons apporté des réponses, à chaque fois de manière claire et largement majoritaire.
Oui, la France est fondée à disposer de services de renseignement car il s’agit d’un indispensable outil de souveraineté dans un État de droit.
Oui, la France doit adapter les moyens dont elle autorise l’emploi à ses services car les technologies sont en constante évolution et sont malheureusement mises au service d’une menace de niveau très élevé.
Oui, une démocratie comme la France doit se donner par la loi les moyens d’encadrer par des règles et des contrôles stricts l’usage de ces outils, par nature incontestablement intrusifs dans la vie privée. Il s’agit d’une démarche de protection des libertés, en aucun cas d’une prise de liberté par rapport aux libertés.
Les articulations que nous sommes parvenus à trouver pour concilier ces préoccupations qui peuvent à première vue être considérées comme antagonistes ont recueilli le vote favorable de 690 parlementaires, députés et sénateurs, quand seulement 153 s’y sont opposés.
Dans ce contexte, la faiblesse des différences de fond constatées à l’issue de l’examen du texte par nos collègues sénateurs conférait à chacun des membres de la commission mixte paritaire le devoir de rechercher un accord. C’est dans cet esprit de responsabilité que nous l’avons trouvé.
Ainsi, sur la question de la durée de conservation des renseignements collectés, que notre assemblée avait tranchée en adoptant un amendement que j’avais proposé au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, la CMP a retenu le point de départ pour le calcul des délais choisi par le Sénat – le recueil des renseignements – plutôt que celui que nous avions voté – la première exploitation. Un accord clair a été trouvé sur les durées de conservation : 30 jours pour les correspondances interceptées, 120 jours pour la captation d’images ou de données informatiques et quatre ans pour les données de connexion. Ces durées retenues dans la version finale de la loi soumise aujourd’hui à notre vote constituent un progrès – est-il besoin de le rappeler ? – dans l’encadrement du recueil des renseignements.
S’agissant des finalités pour lesquelles les techniques de renseignement peuvent être mises en oeuvre, la CMP a rétabli la rédaction de notre assemblée, à savoir la défense des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France » alors que le Sénat avait supprimé le mot « majeurs ».
Je regrette, en revanche, que la notion d’atteinte à la paix publique, retenue par le Sénat, ait été préférée à celle d’atteinte à la sécurité nationale, que j’avais proposée et qui avait été retenue par l’Assemblée en première lecture. Il me semble toutefois que nos débats parlementaires ont été suffisamment éclairants pour que le juge qui serait saisi d’un éventuel abus de la justification de cette finalité soit en mesure de percevoir le caractère exceptionnel que le législateur a souhaité lui conférer.
Aux protections spécifiques déjà prévues pour les avocats, journalistes, magistrats et parlementaires, nous avons ajouté un principe de portée générale selon lequel « ces personnes ne pourront, en aucun cas, faire l’objet d’une surveillance à raison de leur profession ou mandat ».
Enfin, il n’a échappé à personne que cette loi suscitait des débats dans une partie de la société. Nous avons donc bien volontiers repris l’idée sénatoriale d’une évaluation dans les cinq prochaines années. Si le dispositif ne démontrait pas sa pertinence et son effectivité, comme certains le prétendent, elle aurait alors vocation à être purement et simplement supprimée.
Quelques mots maintenant sur un élément essentiel du texte qui justifie l’examen simultané d’une nouvelle proposition de loi organique : je veux parler de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Parmi les nombreux dispositifs de contrôle instaurés, la CNCTR, qui remplacera la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité créée par la loi du 10 juillet 1991 – avec des prérogatives et des moyens renforcés – sera une pièce maîtresse, tout comme le contrôle juridictionnel du Conseil d’État, qui constitue une des principales nouveautés des dispositions de cette loi.
Si un consensus s’est dégagé, lors de nos débats, sur le principe de la nomination de son président par le Président de la République parmi les membres qui seront issus du Conseil d’État et de la Cour de cassation, comme le proposait le Gouvernement, nous nous étions aussi mis d’accord sur le fait que cette nomination devait recueillir préalablement l’avis des commissions parlementaires compétentes dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 13 de notre Constitution.
En effet, la CNCTR remplira des missions importantes de surveillance et de contrôle de l’usage des différentes techniques de renseignement que cette loi autorisera. Nous avons considérablement renforcé ses pouvoirs et ses possibilités d’investigation lors des débats dans cet hémicycle et au Sénat. Nous avons précisé les modalités d’organisation de ses travaux et le rôle essentiel qu’y jouera celle ou celui qui aura la lourde tâche de la présider. Cette présidence, qui disposera d’une voix prépondérante en cas de partage des votes, ne doit donc faire l’objet d’aucune suspicion quant à son indépendance.
En prévoyant le recueil de l’avis des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, nous donnons une garantie supplémentaire à l’indépendance de la CNCTR, dont nous souhaitons la mise en place dans les délais les plus rapprochés possibles après la promulgation de la loi sur le renseignement. Pour qu’il en soit ainsi, l’adoption d’une loi organique est nécessaire.
Une proposition en ce sens a été adoptée par le Sénat le 9 juin dernier. Notre commission des lois l’a validée à son tour à l’unanimité la semaine passée. En l’approuvant dans les mêmes termes aujourd’hui, nous contribuerons à permettre l’installation de la CNCTR dans les meilleurs délais. Ce dispositif vient ainsi parachever un édifice que nous avons voulu complet, équilibré, efficace et respectueux des principes généraux de notre droit.
L’annonce par le Président de la République de son intention de saisir personnellement le Conseil constitutionnel constitue une garantie supplémentaire de notre volonté d’agir de manière totalement transparente et respectueuse de ce droit.
C’est dans cet esprit que le groupe socialiste républicain et citoyen votera le projet de loi sur le renseignement issu des travaux de la CMP, qui constitue un réel progrès pour notre droit, ainsi que la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la CNCTR.