Notre société a connu, en vingt ans, des bouleversements technologiques majeurs. Or, depuis la loi du 10 juillet 1991 qui avait légalisé les écoutes téléphoniques, notre législation n’a été modifiée qu’à la marge, sans répondre à l’évolution spectaculaire des menaces qui pèsent sur nous.
En effet, dans le même temps, les criminels, les terroristes, les services de renseignement étrangers et les agences privées ont acquis des moyens de communication et des technologies sans commune mesure avec ce que la législation actuelle prévoit pour les contrecarrer. Certes, nos services se sont adaptés, à travers l’accroissement des moyens qui leur étaient dévolus d’une part, et grâce à une évolution de la jurisprudence de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité d’autre part.
Toutefois, le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. C’est pourquoi la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire adapté était absolument nécessaire, afin d’autoriser, sans la moindre ambiguïté juridique, des méthodes et des pratiques déjà utilisées par les services.
Ce texte était attendu depuis longtemps : il renforcera les capacités des services de renseignement et permettra également d’asseoir leur légitimité. En préparation depuis de nombreux mois, il a pris tout son sens à la lumière des terribles attentats qui ont ébranlé notre pays en janvier dernier.
Nous devons en effet prendre des mesures ambitieuses afin de faire face à la recrudescence de la menace terroriste, une menace diffuse, extérieure autant qu’intérieure, qui prend de nouveaux visages et qui, désormais, se nourrit des ressources du numérique, la cyberattaque dont TV5 Monde a fait l’objet en avril dernier en est la preuve. Mais ce texte n’a pas pour seul objet de lutter contre le terrorisme. Il a également vocation à donner à nos services les moyens de protéger la souveraineté nationale contre les tentatives d’ingérence et d’espionnage à l’encontre de nos atouts scientifiques et économiques et de prévenir le pillage des entreprises françaises.
Nous tenons à souligner le travail de qualité accompli sur ce texte lors des débats qui se sont déroulés, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. L’accord obtenu en commission mixte paritaire est la preuve que, lorsque l’intérêt supérieur de la nation est en jeu, la majorité et l’opposition savent faire bloc, afin d’avancer ensemble. Pour autant, nous ne légiférons pas pour six mois, ni pour deux ans, ni uniquement en réaction aux attentats de janvier.
C’est pourquoi nous devons rester prudents et vigilants : lorsque ces dispositions seront inscrites dans notre droit, elles y demeureront par-delà les alternances politiques. Notre travail de législateur consiste donc à trouver le juste équilibre entre la nécessité de garantir à nos concitoyens une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats, tout en s’assurant que les moyens déployés préservent leurs libertés individuelles et ne conduisent pas à la mise en place d’un système abusivement intrusif.
La protection des libertés et des données personnelles est devenue un sujet d’autant plus sensible que les techniques ont évolué et se sont faites invasives. À ce titre, nous saluons l’inscription dans ce texte, à l’initiative notamment du groupe UDI, de la protection des données personnelles comme partie intégrante du respect de la vie privée. Mais la seule édiction de principes ne suffit pas. Le recours aux techniques de renseignement doit être encadré, entouré des garanties nécessaires et s’accompagner de contrôles efficients, tant en amont qu’en aval.
Sur la question du contrôle, le groupe UDI a fait deux propositions principales : d’une part, assurer l’accès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou de tout autre organisme indépendant, à tous les fichiers de la police, et d’autre part centraliser les données collectées en un même lieu, afin de vérifier qu’elles soient bien conformes à l’autorisation accordée par le Premier ministre. Si nous n’avons pas été entendus sur ce point, force est de reconnaître que l’efficacité du contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été renforcée, par l’Assemblée nationale et également par le Sénat.
Grâce à l’adoption d’un amendement de l’UDI, la nouvelle commission disposera d’un accès permanent aux autorisations, relevés, registres, données collectées, transcriptions et extractions. Elle contrôlera, en outre, les dispositifs de traçabilité des renseignements collectés mis en place par chaque service, ainsi que tous les locaux dans lesquels s’exerce la centralisation des renseignements collectés. Ces garanties sont de nature, nous le croyons, à permettre à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement d’être réellement en mesure de contrôler l’activité des services. Nous soutenons également la proposition de loi organique de nos collègues sénateurs relative à la nomination du président de la CNCTR. Au vu de l’importance de cette fonction pour la garantie des droits et libertés, il nous paraît en effet nécessaire que cette nomination soit soumise à l’avis préalable des commissions des lois des deux assemblées.
Je tiens aussi à aborder la question des fameuses boîtes noires, également appelées algorithmes. Leur installation chez les fournisseurs d’accès à internet figure parmi les techniques ayant suscité un vif émoi et fait craindre une surveillance de masse. Le but de ces algorithmes est pour les agents de repérer un élément particulier dans les connexions, qui les mettra sur la piste de crimes ou de délits à caractère terroriste en préparation. Similaire aux mesures mises en oeuvre aux États-Unis, un tel dispositif pourrait se révéler particulièrement intrusif. C’est pourquoi nous nous félicitons des avancées qui ont été apportées au cours de nos débats et que le Sénat a par la suite renforcées.
Ainsi, l’autorisation du Premier ministre vaudra pour une durée de deux mois renouvelables et le champ technique de la mise en oeuvre de la mesure sera limité aux éléments strictement nécessaires à la détection d’une menace terroriste. En outre, la procédure d’urgence ne sera pas applicable à ce dispositif et, point important, le Parlement sera à nouveau consulté si le Gouvernement veut prolonger l’algorithme au-delà de l’année 2018. Nous nous félicitons également que la mise en oeuvre des techniques de renseignement, lorsqu’elles concernent les magistrats, les avocats, les parlementaires ou les journalistes, soit mieux encadrée, ainsi que le préconisait le groupe UDI.
Alors que nous nous apprêtons à adopter définitivement ce texte, quelques réserves subsistent cependant.