Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Renseignement — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Je considère, par exemple, que la surveillance de nos présidents de la République relève d’une forme d’ingérence étrangère. Si l’on applique ce projet de loi à la lettre, cela signifie-t-il que nos services pourront mettre le gouvernement des États-Unis sous surveillance ?

L’extension des finalités du renseignement à la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France va encore une fois largement au-delà de ce que prévoyait la loi de 1991. Souhaite-t-on pouvoir écouter demain un militant de l’association Greenpeace quand il dévoile un rapport sur les failles des EPR, ou un journaliste de reflets.info quand il révèle le commerce d’entreprises françaises avec des régimes totalitaires ?

Le motif de prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique suscite également l’interrogation, par son caractère large et disproportionné. La notion de paix publique recouvre un nombre important de situations, ce qui a suscité de nombreuses craintes. L’Assemblée, en première lecture, avait préféré la notion de sécurité publique. Il est dommage que le texte ait été étendu, d’autant que l’usage de techniques très attentatoires, comme la sonorisation ou la captation de données informatiques, sera permis pour l’ensemble de ces finalités.

En effet, ce texte permet également aux services d’accéder à de nouvelles techniques, pour de nouveaux motifs. Si de nouvelles techniques ont été autorisées, elles n’ont parfois pas été correctement limitées. Ainsi, Jean-Marie Delarue, actuel président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, l’a bien souligné à propos de la sonorisation des appartements : « est-ce que c’est 20, est-ce que c’est 200, est-ce que c’est 2 000, est-ce que c’est 20 000 par an ? » Il faut que le Gouvernement soit un peu précis sur ses intentions. Selon lui, « Une société où il y a 200 appartements sonorisés, on peut penser que c’est pour les criminels et les terroristes. Une société où il y en a 200 000, c’est La vie des autres ». Un film qui relate le quotidien de la police politique est-allemande…

Parmi ces techniques, deux innovations ont été fortement critiquées : il s’agit du suivi renforcé et des algorithmes. Le suivi renforcé permettra la collecte systématique de données sur une personne, sans possibilité pour elle d’échapper à cette surveillance, dès lors qu’internet et l’informatique sont devenus d’usage quotidien et recueillent un nombre très important d’informations personnelles.

Concernant les algorithmes, le flou a été entretenu et les débats au Parlement n’ont pas permis de savoir comment ils fonctionneront, et avec quelle technologie. Qui stockera les informations collectées ? Selon quelles modalités, et avec quel contrôle ? Là aussi, il est regrettable que la loi n’ait pas été plus claire.

Le Gouvernement a, à plusieurs reprises, affirmé qu’il ne souhaitait pas organiser une surveillance de masse. Soit. Il n’en demeure pas moins que ces algorithmes représentent des possibilités de recueil technique de données et de métadonnées de très grande ampleur, si ce n’est de masse. Cette technique ne permet pas un avis préalable individualisé de la part de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. De surcroît, la levée d’identité sur les données collectées pourra être une porte d’entrée vers d’autres techniques spéciales de recueil de renseignement.

Concernant les parlementaires, avocats, magistrats et journalistes, si nos travaux ont permis d’avancer sur le sujet, il n’est pas prévu que ces dispositifs administratifs soient assortis de garanties équivalentes à celles qui sont prévues pour les professions protégées par le code de procédure pénale lorsqu’ils sont mis en oeuvre dans un cadre judiciaire.

En outre, aucune protection n’est prévue pour le secret médical. C’est pourtant un élément essentiel dans la vie privée des individus, qui nécessite une protection particulière. L’atteinte à cet élément intime fondamental n’est ainsi ni proportionnée, ni contrôlée par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous regrettons que notre assemblée ait refusé cette garantie, qui avait pourtant reçu un avis de sagesse du Gouvernement et du rapporteur.

Ce texte étend également les durées de conservation des données, notamment des données de connexion. Mais les données qui sont considérées comme telles ne sont pas précisément définies. Ces données de connexion permettent déjà une information très importante quand elles peuvent être rattachées à une personne : localisation, contacts, sites fréquentés. On sait bien, depuis les révélations d’Edward Snowden, que les métadonnées donnent autant d’informations que le contenu lui-même. Mais plutôt que rester sur ce concept déjà très large, le texte parle des informations et documents, ce qui accroît le flou.

Enfin, le texte prévoit un recours devant le Conseil d’État, sur saisine de la CNCTR. Ce recours est une avancée importante du texte. Mais il prévoit que les exigences du contradictoire pourront être adaptées, sans préciser l’étendue de ces adaptations. Le requérant n’aura accès ni à l’ensemble des pièces du dossier, ni aux données de la jurisprudence, ni aux arguments de l’administration, contrairement à cette dernière. Toute la procédure se déroulera pour lui à l’aveugle.

Internet est devenu un objet central et quotidien dans la vie de nos concitoyens, bien plus encore que d’autres moyens de correspondance comme le téléphone ou le courrier postal.

Pendant tous les débats, notre groupe a voulu être constructif et a porté de nombreux amendements. Une quinzaine d’entre eux a été adoptée, mais nos préoccupations principales n’ont pas été entendues. Elles ont pourtant été largement exprimées par nombre d’organisations internationales, d’autorités administratives indépendantes, d’ONG, d’associations, de médias, de magistrats, d’acteurs de l’économie numérique, de hauts responsables européens et de citoyens.

Ce sont ces mêmes préoccupations qui amènent aujourd’hui le groupe écologiste, très majoritairement, à rejeter ce texte. Nous souhaitons également que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer à son sujet, et c’est pourquoi nous soutenons le principe d’une saisine parlementaire du Conseil en parallèle de la saisine présidentielle.

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