J’aurai l’occasion de m’exprimer globalement, dans quelques instants, sur ce projet de loi. En attendant, constatons que le nombre d’amendements, notamment rédactionnels, est exceptionnellement élevé pour un texte sorti de CMP, ce qui prouve, s’il en était besoin, que ce projet de loi aurait mérité une seconde lecture étant donné les enjeux.
En voici une nouvelle illustration avec cette disposition incroyable concernant les non-résidents. Un problème de clarté se posait, s’agissant de la différence entre les étrangers et les résidents habituels. Sortir du chapeau, en CMP, une disposition nouvelle posait un problème constitutionnel, comme l’a souligné le rapporteur du Sénat. Elle créait surtout un problème de fond sur un régime spécial et inédit. Je résumerai cela en citant Jean-Marie Delarue dans Le Monde : « Ne nous méprenons pas : ce n’est nullement l’immigrant érythréen ou syrien qui est visé. Mais celui qui est soupçonné d’être menaçant pour les intérêts français : l’homme politique, l’homme d’affaires ou encore le vrai ou faux riche touriste… Ceux-là pourront être surveillés, par autorisation directe du Premier ministre. La commission de contrôle ne pourra, après coup, protester que si c’est un Français ou un étranger résidant en France qui aura été écouté. »
Alors, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi cet amendement, monsieur le rapporteur ? On peut se poser la question : est-ce l’administration qui fait la loi ? En lisant le rapport de la CMP, vous suggérez que ce genre de collecte a pu se pratiquer par le passé. C’est encore plus inquiétant. Nous sommes tous d’accord pour donner un cadre légal au renseignement, mais en réalité, ce dont il est question ici, ce serait de donner cours à des pratiques très contestables et illégales. Et c’est finalement cela l’objet d’une grande partie de ce projet de loi.
Pour ma part, je ne cesse de me réjouir de la saisine transpartisane du Conseil constitutionnel qui est en cours. Je me réjouis aussi de cet amendement de suppression, sans que cela m’empêche d’être très inquiet en vous voyant charger la barque de la collecte de renseignement. Vous procédez avec une légèreté très inquiétante et finalement très similaire à ce que fait la NSA.
Madame la secrétaire d’État, ceux qui s’opposent à ce texte ne sont ni des amis des terroristes, ni des anti-Cazeneuve, ni des menteurs. Nous ne faisons qu’appliquer ce que disait Victor Hugo : « Le législateur, en élaborant la loi, ne doit jamais perdre de vue l’abus qu’on peut en faire ». Je sais que, par principe, vous ne croyez pas ce qui est écrit dans la presse. Eh bien l’opposition démocratique et parlementaire, par principe, se méfie de ce que proposent la majorité ou le Gouvernement, et quand je vois certaines dispositions introduites en CMP, je me dis que c’est une bonne chose.