Intervention de Philippe Baumel

Réunion du 24 juin 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel, rapporteur :

L'accord de partenariat économique d'étape entre la Côte d'Ivoire, la Communauté européenne et ses États membres dont nous sommes saisis a été signé le 26 novembre 2008. Un retour en arrière historique est nécessaire pour présenter le contexte particulier dans lequel il s'inscrit, qui l'a directement motivé.

Les relations de l'Union européenne avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ont été régies depuis les années 1960 par des conventions traitant l'ensemble des domaines : convention de Yaoundé de 1963, actualisée en 1969 ; convention de Lomé à partir de 1975, d'une durée de cinq ans, régulièrement reconduite et actualisée, en 1979, 1984 et 1990.

Ces conventions avaient pour ambition de tracer le cadre général de la coopération entre l'Union européenne et les pays ACP, en mettant en place des relations contractuelles basées sur un principe de dialogue et de partenariat. Le commerce et l'aide au développement étaient au premier rang des sujets. En matière commerciale, elles fixaient notamment comme objectifs la promotion des échanges entre les parties moyennant l'élimination progressive des droits de douane, le renforcement de leurs relations économiques, l'indépendance économique des États associés et le développement du commerce international.

En lieu et place du système de préférences commerciales réciproques entre la Communauté et les pays ACP instauré par la convention de Yaoundé, celle de Lomé instituait des concessions commerciales unilatérales de la part de la Communauté, pour tenir compte de leurs niveaux de développement respectifs et, en particulier, de la nécessité d'assurer des avantages supplémentaires à leurs échanges commerciaux. Ce système a fonctionné jusqu'en 2000, date à laquelle la convention de Lomé est arrivée à échéance, et a été remplacée par l'accord de Cotonou.

Entre-temps, était entré en vigueur, en 1994, l'accord créant l'OMC qui institue un système de libre-échange et exclue tout avantage discriminatoire. Les conventions entre l'Europe et les pays ACP étaient en conséquence incompatibles avec ces principes. En outre, la clause de la nation la plus favorisée, qui étend immédiatement tout avantage commercial consenti par un membre de l'OMC à un autre membre à tous les autres, ne souffre d'exceptions qu'au profit des pays en développement ou des Pays les moins avancés, mais dans leur ensemble, et non au seul bénéfice d'une partie d'entre eux, comme le sont les ACP. C'est pourquoi l'accord de Cotonou, adopté en 2000, a précisé que la coopération économique et commerciale serait mise en oeuvre en parfaite conformité avec les dispositions de l'accord instituant l'OMC. Il a été convenu de conclure de nouveaux accords commerciaux compatibles, les Accords de partenariat économique, qui devraient toutefois être introduits progressivement, compte tenu de la période transitoire nécessaire eu égard au changement important que cela représentait pour les bénéficiaires. Une dérogation fut demandée à l'OMC en ce sens, qui a été accordée jusqu'au 31 décembre 2007.

Les négociations, qui ont débuté en septembre 2002 sur une base régionale, entre la Commission et six régions africaines, ont achoppé sur de nombreuses difficultés. L'attitude de la Commission, tant sur la forme que sur le fond, a été mise en cause non seulement par les pays ACP, par les organisations de la société civile, mais aussi par certains pays européens, au premier rang desquels la France qui n'a cessé d'appeler à retrouver une relation de confiance avec les pays ACP, à mieux prendre en compte les problématiques de développement dans la négociation - et à cet égard, le fait que ce soit la DG-Commerce qui les ait pilotées a joué indéniablement -, à prendre en compte des questions cruciales pour les pays africains, comme la sécurité alimentaire et les productions vivrières. La France a également plaidé pour une plus grande souplesse en matière de libéralisation des échanges commerciaux et de prise en compte des intérêts spécifiques des PMA.

Fin 2007, aucun APE n'était sur le point d'être conclu en Afrique. Faute d'accord, les pays ACP se verraient appliquer le régime commercial commun : pour les PMA, le régime « Tout sauf les armes » (TSA), qui leur permet de bénéficier d'un accès libre au marché européen, sans droit de douane ni contingentement des marchandises ; pour les autres pays ACP, non PMA, le Système de préférences généralisées (SPG), ayant pour conséquence la réintroduction de droits de douane à l'entrée de leurs produits sur le marché européen. Une solution devait être trouvée.

La Commission a fait pression pour que les pays concernés concluent avec elle, soit de manière bilatérale, soit de manière régionale, des APE d'étape, ou intérimaires, le temps que les APE globaux soient finalisés. Un règlement a été adopté en ce sens fin 2007 pour accorder de manière transitoire le bénéfice du maintien de l'accès au marché européen dans les mêmes conditions aux pays qui s'engageraient sur une APE d'étape. Une vingtaine de pays africains, dont la Côte d'Ivoire ainsi que la région d'Afrique de l'est, ont finalement paraphé de tels accords.

Cet accord entre l'UE et la Côte d'Ivoire, objet du projet de loi soumis à la Commission des affaires étrangères, est composé de sept titres, de 81 articles, auxquels sont joints deux annexes, deux appendices et un protocole. Les objectifs n'appellent pas de commentaire particulier : il s'agit essentiellement de permettre à la partie ivoirienne de bénéficier de l'accès au marché amélioré offert par la Communauté dans le cadre des négociations de l'APE. Un partenariat pour le développement est institué au titre II, qui définit une coopération spécifique, mise en oeuvre selon les règles et procédures classiques du FED, et destinée à accompagner la Côte d'Ivoire dans la réalisation des objectifs. Des mesures de coopération financière et non financière sont prévues, qui portent sur la mise en place de règles liées au commerce, sur le renforcement et la mise à niveau de la compétitivité des secteurs productifs ivoiriens, sur la réduction des droits de douane ou encore la coopération entre les parties au sein des organisations internationales. Les quatre chapitres du titre III fixent les règles concernant le régime commercial des marchandises : droits de douane et mesures non tarifaires ; instruments de défense commerciale ; régime douanier et facilitation du commerce ; obstacles techniques au commerce. En matière de droits de douane, il est prévu que les produits originaires de la Côte d'Ivoire sont importés dans la partie CE libres de droits, sauf pour une liste de produits, donnée en annexe. Des dispositions particulières sont prévues pour protéger certains secteurs considérés comme sensibles par l'UE, comme le riz ou la banane, de même que la possibilité de mécanismes de sauvegarde. Il est également prévu que les droits de douane de la Côte d'Ivoire pour les produits qu'elle importe de l'UE seront réduits ou éliminés conformément à un calendrier de démantèlement tarifaire annexé. Quatre groupes de produits sont définis pour lesquels les libéralisations interviennent dans les cinq ans de la mise en oeuvre de l'accord (groupe A), entre cinq et dix ans (groupe B), puis entre dix et quinze ans (groupe C). Le dernier groupe (D) est celui des produits qui ne seront pas libéralisés. La durée maximale de libéralisation des droits de douane sera donc de quinze ans. La clause de la nation la plus favorisée est introduite, de même que l'interdiction de restrictions quantitatives ou l'égalité de traitement entre produits nationaux et importés en matière de taxes. Des instruments de défense commerciale peuvent être actionnés en cas d'importations brutalement accrues qui peuvent causer des dommages à l'industrie nationale, introduire des perturbations dans un secteur économique ou sur les marchés agricoles. Les mesures prises doivent être temporaires. L'UE peut également en prendre au profit de ses régions ultrapériphériques. Le chapitre trois présente les axes de la coopération sur les questions douanières et de facilitation du commerce. Le chapitre quatre définit la coopération entre les parties pour faciliter le commerce et lever les obstacles qui peuvent surgir.

Le titre IV de l'accord renvoie aux négociations pour l'APE global pour traiter de la libéralisation des services et des investissements. En matière de prévention et de règlement des différends, le titre V institue notamment une procédure d'arbitrage lorsque les consultations et médiations n'ont pas donné de résultats. Le titre VI liste les exceptions générales et précise que l'accord ne saurait empêcher une partie de prendre les mesures nécessaires à la sécurité, à l'ordre public, à la santé, à la protection du patrimoine et des ressources naturelles. Le titre VII institue notamment un Comité APE chargé de l'application de l'accord dans tous ses domaines. Il est convenu qu'en attendant l'entrée en vigueur de l'accord, les parties l'appliqueront à titre transitoire, soit par ratification, soit conformément à leurs lois respectives. Il est confirmé enfin que l'accord sera remplacé par un APE global conclu au niveau régional avec la partie CE à sa date d'entrée en vigueur.

Depuis la conclusion de cet accord d'étape, le contexte a changé : les négociations régionales se sont poursuivies et ont abouti, après des concessions faites de part et d'autre. En outre, compte tenu des retards pris dans les négociations, la Commission a proposé en mai 2013 la modification du règlement de 2007 qui fixait les règles concernant les pays en négociation avec elle : initialement, le maintien de l'accès au marché européen dans les mêmes conditions était octroyé à la condition que les pays prennent les mesures nécessaires à la ratification et à la mise en oeuvre « dans un délai raisonnable. ». La modification a fixé le 1er octobre comme date-butoir. À cette échéance, les pays qui n'auraient pas ratifié les APE intérimaires, ou qui n'auraient pas conclu d'APE régional, perdraient les bénéfices octroyés. C'est pourquoi, après des années de négociations, l'accord régional a finalement été finalisé au niveau technique entre janvier et février 2014, puis validé par les chefs d'État et de gouvernement de l'Afrique de l'ouest, lors du 45e sommet de la CEDEAO, à Accra le 10 juillet 2014. Quatre des seize États partie ne l'ont toutefois pas encore signé côté africain : le Togo, la Gambie, la Mauritanie et le Nigeria. De leur côté, les 28 États membres de l'Union l'ont signé le 12 décembre 2014.

L'évolution de ce contexte régional pourrait laisser penser que la ratification de l'accord d'étape UE-Côte d'Ivoire - qui lui a permis de ne pas perdre le bénéfice du régime commercial APE établi par le règlement de décembre 2007 - n'a aujourd'hui plus de raison d'être dès lors que l'APE global a vocation à s'y substituer. Cela est vrai mais on ne peut toutefois exclure l'éventualité de retards dans la mise en oeuvre de l'APE régional. C'est la raison pour laquelle cet APE d'étape garde sa pertinence. Je vous invite en conséquence à adopter ce projet de loi pour en autoriser la ratification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion