Intervention de Thierry Mariani

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 15h00
Réforme de l'asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, depuis plus de deux siècles, la France accueille les personnes persécutées dans leur pays d’origine. Ainsi, la Constitution de 1793 proclamait déjà que « le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » et qu’il « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». En 1946, cinq ans avant la signature de la convention de Genève, la Chambre des députés a inscrit dans le préambule de la Constitution que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».

Le droit d’asile est donc profondément ancré dans notre histoire, dans notre culture, dans notre civilisation – quelles que soient nos idées politiques et notre position dans cet hémicycle, madame Crozon. Fidèle aux valeurs qui fondent notre République, la France a toujours su accueillir les personnes persécutées dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, c’est l’honneur de notre pays d’accueillir les chrétiens d’Orient, irakiens ou syriens, victimes de la barbarie de l’État islamique. L’exercice du droit d’asile est donc un principe fondamental à valeur constitutionnelle, une tradition en vertu de laquelle notre République accueille sur son sol tous ceux et celles qui, dans leur pays d’origine, sont victimes de violences. De surcroît obligation juridique liée au droit communautaire et aux engagements internationaux de la France, le droit d’asile n’a absolument pas vocation à être remis en cause. Nous sommes tous viscéralement attachés à ce principe et nous souhaitons tous en assurer la pérennité.

Vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, qu’une réforme du droit d’asile est indispensable si l’on veut rendre à celui-ci le rôle fondamental qui est le sien. Je souscris à votre appel. Une réforme est en effet nécessaire, mais je suis désolé de devoir ajouter : pas celle-ci ! Certes, notre système d’asile est à la dérive et s’est transformé en ticket d’entrée en France pour les clandestins. Mais le plan annoncé mercredi dernier, prévoyant la création de 10 500 places d’hébergement, est une nouvelle illustration de l’absence de volonté de réformer en profondeur le droit d’asile.

Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés a chiffré à plus de 100 000 le nombre de migrants et réfugiés arrivés en Europe via la Méditerranée depuis le début de l’année, et plus de 1 800 hommes, femmes et enfants sont morts ou ont disparu en tentant cette traversée. L’afflux massif de migrants à nos frontières et les situations humaines dramatiques qui en découlent doivent amener le Gouvernement à réfléchir à une réforme structurelle et non à procéder à des rapiéçages. La création de ces nouvelles places d’hébergement va créer un nouvel appel d’air à destination des passeurs alors même qu’il faudrait leur envoyer un message de fermeté, et à mon avis cela doit se faire au niveau de l’Europe. Je le dis d’autant plus que j’étais ces trois derniers jours au Conseil de l’Europe en tant que président, depuis un an et demi, de la commission chargée des migrations, des apatrides et des réfugiés, et que la plupart des pays rencontrent le même problème que la France en ce qui concerne les réfugiés politiques – je pense aux pays qui s’efforcent de respecter des principes auxquels nous sommes tous attachés.

Nous nous retrouvons donc aujourd’hui pour débattre en nouvelle lecture de ce texte, et je ne peux que constater l’aveuglement idéologique de votre majorité. Les solutions proposées ne permettront pas de sauver durablement notre politique d’accueil des demandeurs d’asile. Je crains qu’une fois de plus, nous ne nous retrouvions, dans quelques années, pour débattre du même sujet. J’ai souvenir d’avoir déjà discuté avec M. le président de la commission des lois ou avec Mme la rapporteure de plusieurs textes semblables à celui-ci dans cet hémicycle. Je crains donc que celui-ci ne soit pas le dernier.

Le texte adopté par le Sénat reprenait, contre l’avis du Gouvernement, un grand nombre de nos propositions et aurait permis d’atteindre un juste équilibre. Du fait de l’obstination des partis de gauche à ne pas vouloir renforcer les mesures d’éloignement des 40 000 déboutés du droit d’asile, la commission mixte paritaire n’a pas pu, hélas, aboutir. La semaine passée, la commission des lois de notre assemblée a détricoté, une à une, les avancées sénatoriales. En conséquence, le projet de loi soumis aujourd’hui à notre examen passe totalement à côté des véritables réformes et risque d’aggraver les dysfonctionnements existants.

Je dois vous dire, monsieur le secrétaire d’État, l’immense inquiétude que la politique du Gouvernement nous inspire. Aucune mise en garde ne vous a malheureusement fait prendre la mesure de la gravité de la situation : ni celle de la Cour des comptes qui, dans son relevé d’observation de février dernier, indique clairement que la politique actuelle est au bord de l’embolie ; ni celle des trois corps d’inspection qui, dans un rapport d’avril 2013, pointaient avec force les dysfonctionnements existants ; ni celle des parlementaires alors qu’Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la mission « Asile, immigration et intégration » depuis trois ans, tire la sonnette d’alarme sur l’insoutenabilité financière de cette politique ; ni celle du comité d’évaluation et de contrôle ; ni même celle des Français, qui souhaitent que le droit d’asile retrouve sa véritable vocation et qu’il soit mis réellement fin aux abus.

Tout au long des débats à l’Assemblée nationale puis au Sénat, le ministre a rappelé que le système était à bout de souffle et qu’une réforme s’imposait. Nous partageons ce constat, mais nous regrettons que celui-ci ne s’accompagne d’aucune mesure concrète pour remédier au problème de manière durable.

Nous connaissons tous les causes de cette dérive. Le système implose tout d’abord sous l’effet de l’augmentation constante des demandes : en 2014, 65 000 demandes d’asile ont été enregistrées dans l’hexagone, soit une augmentation de 82 % depuis 2007. Cette hausse s’explique surtout par un détournement de la procédure de l’asile de la part d’étrangers qui y voient un moyen comme un autre de se maintenir clandestinement en France, sans droit ni titre. En effet, force est de reconnaître que le droit d’asile est aujourd’hui détourné : certains immigrés l’invoquent alors qu’ils sont en réalité poussés à migrer pour des raisons économiques. En conséquence, les délais d’examen augmentent : le chiffre officiel est de seize mois en moyenne, mais en réalité, si l’on prend en compte les délais cachés, la durée moyenne est estimée à dix-neuf mois et demi, selon le rapport de la mission conjointe des inspections générales. Le stock de dossiers en attente d’examen s’élève, quant à lui, à plus de 30 000.

La longueur des délais conduit incontestablement à un détournement de la procédure à des fins d’immigration. Le cercle vicieux se met en place : en renforçant l’attractivité de notre système d’asile, et donc son engorgement, l’allongement des délais s’auto-entretient. Il est vrai que ce cercle vicieux ne date pas de votre gouvernement : je me souviens très bien de la réforme faite sous Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, où le constat était déjà quasiment le même. À chaque fois, on dénonce dans les lois successives les délais qui s’allongent et l’on fait globalement le même constat, et je crains que cela ne continue. Loin de régler le problème, votre projet de loi va avoir pour effet de rallonger les délais de traitement. Un exemple parmi d’autres : votre majorité a allongé le délai à l’issue duquel le demandeur d’asile doit présenter sa demande après son arrivée, le portant à 120 jours au lieu des 90 prévus initialement.

La Cour des comptes évalue le coût des demandeurs d’asile à près de 1 milliard d’euros en 2013, soit une hausse de presque 60 % en cinq ans. Puisque chacun est au moins d’accord sur le diagnostic, à savoir que les procédures sont trop longues, pourquoi ajouter 30 jours ? Pourquoi quelqu’un qui n’aurait toujours pas présenté de demande d’asile au bout de 90 jours le ferait-il dans les 30 jours suivants ? Tous ceux qui sont de bonne foi dans cet hémicycle savent bien que, très souvent, les dossiers sont déposés plus près du quatre-vingt-dixième jour que du premier.

Plus grave encore, la Cour des comptes évalue le coût induit par les personnes déboutées du droit d’asile à 1 milliard d’euros ! Autrement dit, le montant dépensé pour les déboutés est équivalent à celui consacré aux demandeurs d’asile. Pourtant, il s’agit de personnes en situation irrégulière qui se maintiennent illégalement sur le territoire. Je le dis avec force : les déboutés du droit d’asile doivent, après rejet de leur demande, retourner dans leur pays d’origine. C’est la règle républicaine, une règle qui devrait nous rassembler tous.

Je regrette que la commission des lois soit revenue sur l’ensemble des dispositions adoptées au Sénat qui visaient à faciliter l’éloignement des personnes s’étant vu définitivement refuser l’asile, disposition proposée en première lecture par mon collègue Éric Ciotti. Il existe actuellement de réelles difficultés pour exécuter les OQTF des demandeurs d’asile déboutés : seulement 1 % d’entre eux quitte effectivement à ce titre le territoire, la grande majorité des autres restant en France. Ce n’est pas tolérable ! Dans son tweet, Éric Ciotti dit, hélas, la vérité : la procédure des demandeurs d’asile est, depuis un certain nombre d’années, la principale fabrique de sans-papiers, parce qu’elle présente des failles.

Vous avez repoussé avec une certaine arrogance notre proposition que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA ou la CNDA vaille obligation de quitter le territoire français. Cette obstination est regrettable car cela aurait permis de simplifier les procédures, d’accélérer les délais de traitement et d’alléger un peu le travail de la justice. Rien ne dissuadera donc les migrants qui arrivent sur notre territoire, pas même l’obligation de le quitter en cas de rejet de leur demande puisque, dans la grande majorité des cas, l’OQTF n’est pas effective.

Des dizaines de milliers de candidats à l’immigration clandestine, qui ne sont pas de vrais réfugiés politiques, détournent ainsi les procédures pour se maintenir illégalement en France, ce qui suscite l’écoeurement de la part de nos concitoyens, à juste titre !

Au final, le texte que nous examinons est totalement silencieux sur la question de l’éloignement des demandeurs d’asile déboutés. Pourtant, tant que la question de l’organisation systématique et rapide de leur retour ne sera pas réglée, le système ne pourra pas fonctionner correctement et fera le jeu des filières.

Par ailleurs, faut-il rappeler l’explosion des coûts de la politique publique d’asile en termes d’hébergement ? En effet, les centres d’accueil des demandeurs d’asile étant pleins à craquer, ceux-ci sont admis dans des structures d’hébergement d’urgence. Il s’agit en principe – comme son nom l’indique – d’un dispositif d’urgence, mais dans les faits, on le sait tous, c’est devenu la norme. Par conséquent, les dépenses consacrées à l’hébergement d’urgence sous la forme de nuitées hôtelières se sont accrues. L’une des solutions aurait été de résoudre la question de la présence indue des déboutés dans les centres : dans certains départements, on compte 34 % de déboutés en présence indue en CADA. Le Sénat avait prévu une restriction de l’accès à l’hébergement pour les étrangers déboutés de leur demande d’asile. Hélas, la commission des lois est revenue également sur cette mesure !

De toute évidence, rien n’est fait pour lutter contre l’immigration illégale, laquelle nuit à l’exercice effectif du droit d’asile. Pour continuer à accueillir dignement les demandeurs d’asile, nous devons nous prémunir de ces abus et surtout des demandes frauduleuses. Sans une politique ferme en matière d’asile, votre majorité continue d’adresser un signal d’encouragement aux filières clandestines.

Ce projet de loi aurait pu être l’occasion d’aborder toutes ces questions pour assurer la pérennité d’une tradition républicaine qu’est le droit d’asile sur notre territoire. Hélas, je le répète, ce texte n’est pas au rendez-vous ! Il n’atteindra pas ses objectifs, contrarié par la recherche permanente du compromis politique interne à votre majorité. Ce compromis bancal conduira au final à aggraver les dysfonctionnements existants. C’est la raison laquelle le groupe Les Républicains s’opposera à ce texte.

J’ajouterai un mot plus personnel tenant à mon expérience de la présidence de la commission des migrations, des réfugiés et des apatrides au Conseil de l’Europe qui rassemble quarante-sept pays, dont la Turquie. J’avoue être extrêmement inquiet au vu de l’évolution des chiffres, et j’ai pu mesurer quel était l’effort engagé par la Turquie pour accueillir en première ligne les réfugiés politiques, ce qu’elle fait plutôt bien avec très peu d’aides de l’Union européenne, ou celui accompli par le Liban. Nous sommes tous d’accord pour condamner les massacres perpétrés par des extrémistes sur des innocents et pour considérer qu’il faut protéger ces derniers, quelle que soit leur religion, mais ce qui me révolte, c’est que la procédure soit aujourd’hui totalement détournée. Nos démocraties se retrouvent complètement submergées parce qu’elles n’arrivent pas à faire la différence entre les vrais demandeurs d’asile, ceux qui sont réellement persécutés, et ceux qui fuient la pauvreté et cherchent une meilleure vie, ce que l’on peut comprendre d’ailleurs – c’était le cas de mon père. Si nous n’arrivons pas à faire rapidement ce tri, c’est toute la vocation de notre pays en matière d’asile qui sera remise en cause et nous encouragerons la montée de l’intolérance.

Je pense que ces mesures devraient être prises à l’échelon européen. Aujourd’hui, l’Europe est totalement défaillante ; elle a baissé les bras. Plutôt que de chercher à répartir des quotas de migrants, il faudrait aborder le vrai problème, à savoir comment mettre fin à l’afflux de réfugiés et traiter réellement la demande.

Je le dis avec sincérité et regret : ce projet de loi nous permettra de gagner du temps, mais je suis persuadé que dans deux ou trois ans, ceux qui seront encore présents dans cet hémicycle feront les mêmes constats, et la situation se sera malheureusement encore dégradée dans l’opinion publique.

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