Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 15h00
Réforme de l'asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Si nous avions été satisfaits du texte adopté à l’issue de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale, force est de constater que celui adopté par nos collègues sénateurs a été considérablement durci. Non seulement il ne répond plus aux engagements internationaux de la France, mais il crée une véritable confusion, d’une part entre les prétendants au statut de réfugié et les migrants économiques, d’autre part entre les demandeurs d’asile et les déboutés du statut du droit d’asile. Trop souvent le débat a été réduit par certains membres de l’opposition à la seule question des déboutés. Nous avions pourtant été clairs, et le Gouvernement aussi : ces derniers, une fois que tous les recours ont été épuisés, sont des étrangers en situation irrégulière sur le territoire, et relèvent donc, non plus du texte que nous examinons cet après-midi, mais de celui relatif au droit des étrangers que nous examinerons dans les prochains mois. Je le répète : cet amalgame n’est pas tolérable ; il n’a pas sa place dans cet hémicycle.

Le travail effectué en commission nous a permis de revenir au texte de compromis, équilibré et pragmatique, que nous avions adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Je tiens à saluer le travail constructif de notre rapporteure, Mme Sandrine Mazetier, qui a su conserver les indéniables améliorations apportées par nos collègues sénateurs, tout en tenant le cap fixé en première lecture. Je salue également son écoute et son attention envers le groupe RRDP, qui est une composante de la majorité gouvernementale – je le souligne, car ce n’est pas toujours le cas.

Parmi les points qui nous tenaient particulièrement à coeur, je reviendrai en premier lieu sur les délais de traitement de la demande d’asile. De l’avis de tous, ces délais sont excessivement longs, oscillant entre dix-neuf et vingt-six mois. Ils fragilisent la situation des demandeurs d’asile et rendent difficile l’exécution des obligations de quitter le territoire français signifiées aux déboutés. Ils affectent aussi le budget de la politique de l’asile, dont les coûts augmentent avec la prise en compte de l’hébergement d’urgence et de l’allocation temporaire d’attente. Il était donc urgent de remédier à ces excès. Sur ce point, nous sommes satisfaits d’avoir pu confirmer le compromis trouvé en première lecture, qui répondait non seulement aux exigences des directives européennes, mais aussi à l’indispensable respect des droits des demandeurs d’asile. Pour réduire les délais, le Gouvernement a accepté d’augmenter le budget de l’OFPRA, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il faudra sûrement poursuivre l’effort pour atteindre les objectifs fixés par le projet de loi.

Nous accueillons favorablement la confirmation de la suppression de la domiciliation préalable actuellement demandée aux demandeurs d’asile pour l’ouverture de leurs droits. Trop contraignante et chronophage, cette disposition ne pouvait perdurer.

La mise en place d’un recours suspensif pour les demandeurs d’asile et le renforcement de leurs droits est une très bonne mesure, que nous souhaitons voir confirmée.

En commission des lois, nous avons participé à la réécriture du texte en adoptant plusieurs amendements. Je retiendrai notamment la suppression du transfert du contentieux de l’asile à la frontière à la Cour nationale du droit d’asile à compter du 1er janvier 2017, dispositif qui avait été introduit par le Sénat, ou encore la suppression de l’article 19 bis A relatif à la réduction de trente à sept jours du délai de retour volontaire.

Concernant l’examen des demandes d’asile par l’OFPRA, nous sommes satisfaits d’avoir pu supprimer la disposition qui permettait à l’OFPRA de clore les dossiers de demande d’asile en cas d’abandon du lieu d’hébergement. Ce dispositif sanctionnait inutilement un demandeur d’asile en raison du seul changement de domicile et revenait à l’assigner à résidence. Une telle attitude était inenvisageable.

Enfin, je voudrais revenir sur la question de l’accès des demandeurs d’asile à l’emploi et à la formation professionnelle. Vous le savez, les radicaux de gauche que je représente sont très attachés à l’émancipation de l’individu par le travail et à la reconnaissance pour celui-ci de la possibilité de subvenir à ses besoins : il y va de sa capacité à s’insérer dans notre société et de sa dignité. Nous avions déposé un amendement visant à permettre au demandeur d’asile d’accéder au marché du travail dès le dépôt de sa demande d’asile ; nous regrettons de ne pas avoir pu vous convaincre, madame la rapporteure, du bien-fondé de cette demande. Nous prenons néanmoins acte de la décision d’ouvrir le droit au travail aux demandeurs d’asile présents sur le territoire français depuis plus de neuf mois, ce qui n’est rien d’autre que la transposition dans le droit français de la directive européenne. Dommage que nous n’ayons pas eu l’audace d’aller plus loin ! Autoriser l’accès au marché du travail aux demandeurs d’asile aurait constitué un véritable progrès, en permettant à ces derniers de vivre plus dignement en France, dans l’attente de leur statut définitif.

Au final, nous sommes quand même satisfaits du travail effectué en commission des lois et des réponses qui nous ont été apportées par Mme la rapporteure. Comme nous ne sommes pas des adeptes de l’inflation législative, nous avons pris le parti de ne déposer en séance plénière que quatre amendements, auxquels nous tenons particulièrement.

Nous proposerons ainsi de systématiser l’intervention du juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures après le placement en rétention du demandeur d’asile.

En vue de la professionnalisation de la Cour nationale du droit d’asile, nous maintiendrons notre proposition d’intégrer le rapporteur à la formation de jugement, à la place d’une personnalité qualifiée, ce qui permettrait de renforcer la cohérence de la jurisprudence et de simplifier la gestion logistique des audiences. Cette intégration des rapporteurs s’inscrirait en outre dans la continuité des réformes entreprises ces dernières années afin de rapprocher le fonctionnement de la CNDA de celui des juridictions de droit commun en matière d’étrangers. Dans ces dernières, les rapporteurs sont en effet soit des fonctionnaires, soit des agents contractuels du Conseil d’État et bénéficient des garanties d’indépendance attachées à la juridiction. Celles-ci seraient réaffirmées et renforcées par la nomination du rapporteur par le vice-président du Conseil d’État, sur proposition du président de la juridiction.

Autre sujet qui nous tient à coeur : la communication de la transcription de l’entretien personnel au demandeur d’asile ; nous considérons qu’elle doit être systématisée. Nous vous avions demandé de rendre systématique cette communication pour tous les demandeurs d’asile avant qu’une décision soit prise sur la demande. Vous n’avez pas retenu notre proposition : nous en prenons acte. Néanmoins, nous vous proposerons de systématiser la communication de cette pièce lors de la notification de la décision dans le cadre d’une demande accélérée.

Enfin, un dernier amendement portera sur la possibilité pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté d’accéder aux centres de rétention.

Tous ces amendements vont dans le même sens : celui d’une meilleure protection des demandeurs d’asile, tout en gardant en vue l’exigence de performance de notre action publique.

Mes chers collègues, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste n’est pas naïf. Nous savons que le présent projet de loi ne saurait résoudre l’immense problème des migrations auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Il n’est certes qu’un maillon d’une politique qui doit être plus globale et plus intégrée, mais les dispositions qu’il contient vont dans le bon sens et dynamiseront, j’en suis sûre, nos capacités de réponse à cet enjeu majeur.

Il serait contre-productif de mener ce combat de manière isolée, alors que sur ces questions, les analyses sont partagées. Cessons de nous voiler la face, et interrogeons-nous sur l’évident manque de solidarité dont font preuve certains pays européens à l’égard de l’Italie et des pays ayant des frontières extérieures exposées à l’arrivée de nombreux migrants. Il est urgent de mettre en oeuvre à l’échelon européen une réponse plus intégrée et solidaire. C’est un impératif que la gouvernance européenne ne peut ignorer, sous peine, une fois encore, d’entretenir l’idée que l’Europe ne sert à rien et que la détresse humaine ne l’intéresse pas, tant elle est empêtrée dans des sujets purement financiers.

Nous rejoignons le Gouvernement sur la nécessité de se poser également la question des politiques d’aide au développement international, car la première réponse que nous devons apporter concerne l’Afrique. Il nous faut nous attaquer aux causes des migrations. Notre responsabilité est de participer à la résorption des conflits en Afrique et au Moyen-Orient, et de permettre à ces pays de se développer afin d’assurer à leurs concitoyens, souvent très jeunes, des perspectives d’emplois et de progrès. Ne perdons pas de vue que la plupart de ceux que l’on appelle les migrants économiques sont originaires de pays confrontés aux effets du dérèglement climatique, source de pauvreté et de misère.

Enfin, la réponse se trouve ici, en France : il est de notre responsabilité de nous adapter à l’augmentation du nombre d’arrivées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion