Je suis comme toujours très heureux d'être auditionné par votre commission pour vous présenter le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que la Cour des comptes rend public ce matin.
Ce rapport est établi chaque année en application de la LOLF, afin de nourrir le débat d'orientation des finances publiques qui aura lieu prochainement au Parlement. Il s'inscrit dans le prolongement et la continuité – j'insiste sur ces mots – des autres documents publiés au printemps par la Cour et les organismes qui y sont associés. Il prolonge notamment le rapport sur le budget de l'État en 2014, en s'intéressant cette fois à l'ensemble des administrations publiques, dont les dépenses représentent au total 57,5 points de PIB, à savoir l'État et ses opérateurs bien sûr, mais aussi la sécurité sociale et les administrations publiques locales. Il analyse la trajectoire d'évolution des finances publiques à l'horizon 2017, en cohérence avec les travaux du Haut Conseil des finances publiques, que j'ai également l'honneur de présider.
Ces différents exercices, auxquels j'ajoute l'acte de certification des comptes de l'État, portent sur des objets différents. Ils ne se contredisent évidemment pas ; au contraire, ils se complètent. Ils donnent de la gestion publique une vision multiple qu'expliquent et justifient les différences de périmètre et les différents types de comptabilité – comptabilité générale, comptabilité nationale, comptabilité budgétaire.
Avant de présenter les principaux constats relevés dans le rapport, je tiens à rappeler le rôle de la Cour, lorsqu'elle rend public son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Dans le respect du principe de séparation des pouvoirs, elle part des objectifs fixés souverainement par les pouvoirs publics, elle apprécie les résultats atteints au regard des moyens consacrés, puis elle identifie les risques pesant éventuellement sur le respect des engagements pris pour les années à venir par la France auprès de nos partenaires européens. Par une analyse des faits et des chiffres, elle s'efforce d'apporter un éclairage utile au débat public, c'est-à-dire aux décideurs et aux citoyens.
Pour vous présenter ce rapport, j'ai à mes côtés Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de sa préparation, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes, François Écalle, conseiller maître et rapporteur général de ce rapport, Éric Dubois, conseiller maître, et Vianney Bourquard, conseiller référendaire, rapporteurs devant cette formation collégiale, dont le contre-rapporteur était Christian Charpy, conseiller maître. Je suis également accompagné d'Adnène Trojette, conseiller référendaire, et de Ted Marx, directeur de la communication.
Dans son rapport, la Cour dresse plusieurs constats : premièrement, si la situation des finances publiques s'est très légèrement améliorée en 2014, elle reste néanmoins plus déséquilibrée en France que dans la moyenne des autres pays européens ; deuxièmement, des incertitudes subsistent quant au respect de la trajectoire des finances publiques pour les années à venir ; troisièmement, les décisions d'investissements publics peuvent encore gagner en rationalité.
Le premier message de la Cour est donc que la situation des finances publiques s'est très légèrement améliorée en 2014, constat auquel il convient néanmoins d'apporter quelques bémols, à savoir : une évolution différente de la situation selon la catégorie d'administrations publiques concernée ; un rythme ralenti de réduction du déficit des administrations publiques ; une situation plus déséquilibrée en France que dans la moyenne des autres pays européens ; l'existence, enfin, de marges de manoeuvre pour baisser certains postes de dépenses publiques.
La très légère réduction (– 0,1 %) du déficit des administrations publiques en 2014 recouvre des situations variables, selon la catégorie d'administrations observée.
En ce qui concerne l'État, comme l'a présenté la Cour dans son rapport publié fin mai, le déficit a de nouveau augmenté à hauteur de 5 milliards d'euros en comptabilité nationale. La croissance spontanée des recettes a été inférieure à la croissance de l'activité, qui a elle-même été inférieure à la prévision. Les normes d'évolution utilisées pour le pilotage de la dépense publique ont certes été respectées, mais la Cour a mis en évidence que cela s'était fait au prix d'opérations contestables, notamment des débudgétisations et des reports de charges sur 2015.
Le déficit de la sécurité sociale, soit 0,4 point de PIB, a été pratiquement stable, entre 2013 et 2014. Les objectifs de dépenses de l'assurance maladie et des régimes obligatoires ont globalement été tenus. Mais, comme pour l'État, les recettes de la sécurité sociale ont aussi été affectées par la faiblesse de la croissance. Cette stabilité du déficit ne saurait par ailleurs dissimuler l'anomalie que représente en elle-même la persistance d'un déficit, donc le financement par la dette de dépenses courantes de transfert.
Les administrations publiques locales ont, quant à elles, contribué à la réduction des déficits publics, à hauteur de 0,2 point de PIB. La baisse des investissements en apporte une explication : traditionnelle les années d'élections municipales, elle a été plus accentuée que d'habitude en 2014. Toutefois, les dépenses de fonctionnement des administrations locales ont continué d'augmenter. Et, même si cette évolution s'est infléchie par rapport à 2013, cela n'a pas suffi pour empêcher la dégradation de l'épargne brute.
Au total, le déficit, toutes administrations publiques confondues, s'est établi en 2014 à 4 % du PIB, alors que la loi de finances rectificative pour 2014 comme la loi de programmation des finances publiques prévoyaient 4,4 %.
La modération de l'évolution des dépenses, engagée depuis 2011, s'est poursuivie en 2014. S'il faut donner acte de cette modération, la Cour relève toutefois qu'elle a bénéficié de deux facteurs favorables, dont la pérennité n'est pas assurée : d'une part, la baisse de l'investissement public local ; d'autre part, la réduction de la charge des intérêts de la dette, en raison de la faiblesse des taux d'intérêt, et alors même que la dette progressait.
Par ailleurs, il s'agit d'une baisse de seulement 0,1 point par rapport à 2013. Cette amélioration du solde public est aussi inférieure à ce qui était inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014, qui prévoyait de ramener le déficit à 3,6 %. En raison de la très faible croissance relevée en 2014, la réduction du déficit structurel (– 0,5 %) est supérieure cette année à celle du déficit effectif (– 0,1 %). Néanmoins, cette réduction du déficit structurel de - 0,5 point de PIB est à mettre en regard de l'amélioration annuelle moyenne de 0,9 point de PIB, observée entre 2011 et 2013.
Dès lors, la France n'est pas encore parvenue à stabiliser sa dette publique en 2014. Celle-ci a ainsi continué d'augmenter pour atteindre 95,6 points de PIB fin 2014, soit 3,3 points de plus que fin 2013.
Afin de remettre dans son contexte la situation des finances publiques de la France, la Cour a souhaité la comparer avec celles d'autres pays européens. Avec toutes les précautions méthodologiques qui s'imposent, plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces comparaisons européennes.
En premier lieu, alors qu'en 2014 le déficit structurel s'est réduit plus vite en France que dans la moyenne des pays de la zone euro ou de l'Union européenne, la baisse du déficit effectif n'est pas aussi rapide qu'elle ne l'est en moyenne chez nos voisins. Avec un déficit de 4 points, la France se situe aussi à un niveau nettement plus élevé que la moyenne – 2,4 points de PIB pour la zone euro ; 2,9 points de PIB pour l'Union européenne.
En 2014, le poids de la dette reste supérieur en France à celui de la moyenne des pays ayant adopté la monnaie unique – 95,6 % en France, contre 91,9 % dans la zone euro – et à la moyenne des États membres de l'UE – 86,8 %. Alors que la France et l'Allemagne avaient en 2010 des niveaux de dette publique très proches, en 2014, l'endettement de la France est de plus de 20 points de PIB supérieur à celui de l'Allemagne.
En second lieu, en ce qui concerne les dépenses publiques, l'effort structurel réalisé depuis 2010 apparaît moindre en France que dans la plupart des pays européens. Malgré le poids très élevé des dépenses publiques, la France a en effet privilégié jusqu'en 2013 une consolidation des finances publiques par la hausse des recettes.
Dans le même temps, d'autres pays ont choisi une répartition des efforts plus équilibrée entre recettes et dépenses. Concrètement, en France, le niveau des dépenses a continué d'augmenter en volume, même si cette croissance s'est ralentie. Dans de nombreux pays à l'inverse, il a baissé ; c'est notamment le cas de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Espagne, de l'Italie et des Pays-Bas.
Au total, en dépit d'une très légère amélioration en 2014, la situation des finances publiques reste plus déséquilibrée en France qu'elle ne l'est en moyenne dans les autres pays de l'Union européenne.
Les travaux de la Cour, que j'ai régulièrement l'occasion de présenter au Parlement, le démontrent : des marges de manoeuvre existent pour une action publique plus efficace, plus efficiente, dans le cadre d'une dépense mieux maîtrisée. Ce sont les résultats atteints par une politique publique qui garantissent sa crédibilité, et non l'augmentation des moyens qui y sont consacrés. Nos concitoyens y sont de plus en plus attentifs ; ils savent que qualité du service public ne rime pas forcément avec quantité de dépense publique.
L'exemple de plusieurs de nos partenaires le montre, au sein de l'Union européenne comme au sein de l'OCDE, la baisse durable du poids des dépenses dans le PIB suppose que les réformes reposent sur des choix explicites. Elle suppose également que les efforts soient partagés entre l'ensemble des administrations publiques.
Dans le rapport rendu public ce matin, la Cour relève que des risques et incertitudes continuent de peser sur la trajectoire des finances publiques retenue par les pouvoirs publics, d'une part pour 2015 et, d'autre part, pour les années 2016 et 2017.
Dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014, le déficit public prévu pour 2015 était de 4,1 % du PIB. Dans le dernier programme de stabilité transmis par le Gouvernement à la Commission européenne, cette prévision a été abaissée à 3,8 % du PIB. Le résultat budgétaire meilleur que prévu en 2014, la baisse de l'hypothèse d'inflation et les nouvelles mesures d'économies annoncées permettent ainsi d'envisager une situation financière un peu améliorée en 2015. Néanmoins, plusieurs risques, même s'ils sont plus limités que les années précédentes, pèsent sur la situation des finances publiques en 2015.
Comme l'a indiqué le Haut Conseil des finances publiques dans son avis d'avril dernier, le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement est prudent. Sous ces hypothèses, l'augmentation du produit des prélèvements obligatoires apparaît incertaine, notamment pour ce qui est de l'impôt sur le revenu. Le rendement de certaines mesures fiscales nouvelles pourrait également être plus faible que prévu. Ces risques sont toutefois limités à un montant de l'ordre de 0,1 point de PIB, qui pourrait être compensé si la croissance de l'activité dépasse de 0,2 point la prévision, ce qui est envisageable pour 2015. Les risques mis en évidence par la Cour au même stade ces trois dernières années étaient nettement plus importants.
Par ailleurs, la cession de fréquences hertziennes prévue pour 2015 pourrait n'avoir lieu qu'en 2016, reportant ainsi les ressources exceptionnelles associées.
Des tensions persistent en ce qui concerne l'évolution des dépenses de l'État. Ces tensions sont plus fortes en 2015 qu'en 2014, puisque les risques de dépassement des crédits votés en loi de finances initiale sont compris entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros cette année, tandis que la fourchette se situait l'an dernier entre 1,1 et 3,2 milliards. Il est à noter que l'annulation, début juin, de 700 millions de crédits du budget général a porté sur certaines missions pour lesquelles des risques de dépassement ont été identifiés. Cela ne fera que renforcer ces tensions.
Dans le même temps, la nette modération des dépenses locales prévue pour 2015 dans le programme de stabilité – baisse supplémentaire des dépenses d'investissement de 8,4 % en 2015, après une diminution de 9,6 % en 2014 ; hausse limitée des dépenses de fonctionnement, qui augmentent de 1,8 % après 2,1 %, ce qui inclut la masse salariale qui croît de 2,6 % après 3,9 % en 2014 – n'est pas assurée.
Au total, à condition que le pilotage des dépenses publiques soit particulièrement strict, l'objectif visé n'est pas inaccessible. Le déficit public pourrait effectivement se situer autour de 3,8 % du PIB en 2015, comme le prévoit le Gouvernement.
Une telle réduction de 0,2 point de PIB n'en resterait pas moins faible, au regard de la situation économique, celle d'une certaine reprise de la croissance – 1 à 1,2 %, contre 0,2 % en 2014. Elle serait en tout cas bien insuffisante pour stabiliser la dette, qui pourrait atteindre 97 % du PIB.
Pour 2016 et 2017, le programme de stabilité a retenu des prévisions prudentes de croissance économique et d'évolution des recettes publiques. Il repose en revanche sur un objectif de stabilisation en volume (+ 1,1 %) des dépenses hors charges d'intérêt nettement plus ambitieux que pour 2015. Dès lors, le respect de la trajectoire des finances publiques repose tout entier sur la capacité à réaliser des efforts structurels sur la dépense publique.
L'atteinte des objectifs prévus pour 2016 et 2017 impose la réalisation, chaque année, de 14,5 milliards d'euros d'économies. Ces économies sont calculées à partir de l'évolution tendancielle des dépenses, estimée de manière largement conventionnelle, comme la Cour l'a déjà souligné l'an dernier. Quant aux mesures censées permettre ces économies, elles sont à ce stade peu documentées. La prévision de déficit, ramenée à 3,3 % du PIB en 2016 et à 2,7 % en 2017, n'est donc pas acquise.
Elle sera a fortiori plus difficile à atteindre si l'inflation est plus faible ou les taux d'intérêt plus élevés que prévu. En effet, il faut garder à l'esprit qu'une baisse d'un point de l'inflation non anticipée peut entraîner 5 milliards d'euros de déficit supplémentaires. De même, selon l'Agence France Trésor, une hausse de 100 points de base de tous les taux d'intérêt – appliquée à toutes les maturités – entraînerait immédiatement 2,4 milliards d'euros de charge d'intérêts supplémentaire et 7,4 milliards en 2017. Encore ces chiffres ne concernent-ils que l'État, la Banque de France ayant évalué à 50 milliards d'euros sur cinq ans les conséquences d'une augmentation des taux d'intérêt de 100 points de base, toutes administrations publiques confondues.