Intervention de Didier Migaud

Réunion du 24 juin 2015 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Les chiffres de progression de la charge peuvent vous paraître faibles mais ils sont néanmoins significatifs même si une augmentation de 100 points de base n'entraîne pas immédiatement l'effet massif qu'elle aurait si elle concernait l'ensemble de la dette.

En termes de déficit structurel, les pouvoirs publics se sont fixé, dans le programme de stabilité, un objectif de baisse de 0,5 point de PIB en 2016 et 2017. Cet objectif sera en fait un peu plus facile à atteindre qu'initialement envisagé : en effet, quatre mois seulement après le vote de la loi de programmation qui a déterminé la trajectoire de solde structurel de 2014 à 2019, le Gouvernement a modifié les modalités de calcul de la croissance potentielle, la révisant à la hausse de 0,2 point. Cette révision, regrettée par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 13 avril 2015 sur le programme de stabilité, allège l'effort nécessaire pour atteindre la cible.

Afin de permettre la réalisation des objectifs affichés, le Gouvernement compte beaucoup sur la maîtrise de la dépense via les normes budgétaires, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie – ONDAM –, le plafonnement des taxes affectées, ou encore la modération des concours financiers aux collectivités. Dans les faits, le programme de stabilité prévoit des efforts portant avant tout sur les dépenses les plus faciles à réduire sans réforme de fond, comme les investissements et des achats courants de biens et de services.

C'est pourtant bien la capacité des pouvoirs publics à faire des choix de réformes à la hauteur des enjeux qui fera la différence. Comme j'ai déjà pu le dire à plusieurs reprises, il ne s'agit pas d'une contrainte imposée, importée, mais bien d'une exigence nécessaire au maintien de notre souveraineté.

La Cour a souhaité, dans un chapitre de ce rapport, s'intéresser à la question des investissements publics. Cette question fait en effet l'objet de débats nourris, tant au niveau national qu'européen. Les investissements publics doivent être décidés avec le souci de l'efficacité et de l'efficience à moyen et long termes. C'est le troisième et dernier message de la juridiction.

En 2014, les investissements publics, qui représentent un cinquième de l'investissement total, ont atteint 96 milliards d'euros, soit 4,5 points de PIB. Ils sont portés en partie par les administrations publiques locales, en particulier à travers les équipements publics qu'elles construisent et entretiennent. Mais, et c'est un fait qui n'est pas toujours bien connu, les investissements publics sont, pour une part équivalente, pris en charge par l'État et ses opérateurs. Cette répartition, sensiblement différente de celle mise en avant les années précédentes, résulte du nouveau référentiel de comptabilité nationale : celui-ci intègre en effet au sein des investissements publics l'équipement militaire – 4 à 10 milliards d'euros par an – et la recherche et développement – 16 à 17 milliards d'euros –, principalement à la charge de l'État et de ses agences.

Les montants consacrés en Europe aux investissements publics sont en baisse depuis 2007. Cela n'a été le cas en France qu'en 2014, et à un rythme nettement moins élevé. En dépit de cette baisse, les dépenses publiques d'investissement en France restaient en 2014 plus élevées que partout ailleurs en Europe, sauf en Suède. Leur niveau est supérieur à ce qui est nécessaire pour maintenir et entretenir les infrastructures publiques existantes, dont la densité apparaît d'ailleurs satisfaisante.

Les travaux de la Cour le montrent : les investissements publics ne sont pas vertueux par nature, par essence. Les décisions d'investissement doivent être prises dans une perspective de long terme, en fonction de la capacité des projets à relever le potentiel de production de l'économie française ; en fonction de leur propension à améliorer les conditions de vie des ménages ou à générer des gains de productivité ; en fonction, enfin, des dépenses de fonctionnement qu'elles font peser durablement sur l'administration.

En somme, la Cour ne relève pas de signe d'insuffisance globale de l'investissement public en France mais elle pointe la qualité souvent contestable de la décision d'investir et de la conduite des projets d'investissement. Une meilleure connaissance et une évaluation plus systématique de ces projets permettraient de prendre des décisions plus rationnelles. Il s'agit moins pour les administrations publiques d'intervenir sur le niveau global de l'investissement public que de mieux investir. Les obligations d'évaluation socio-économique et de contre-expertises inscrites dans la loi de programmation des finances publiques constituent en la matière une avancée notable, mais des progrès restent à accomplir, notamment en définissant mieux ces obligations.

Je ne peux terminer mon propos sur la situation et les perspectives des finances publiques sans dresser un premier bilan des instruments de pilotage pluriannuel des finances publiques. Le vote en 2014 d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques justifie en soi que le rapport y consacre un développement spécifique.

D'une part, la Cour a constaté une amélioration des lois successives de programmation des finances publiques. Elles distinguent de plus en plus clairement les objectifs et les règles budgétaires. Elles limitent les affectations de taxes à des opérateurs, comme le Conseil des prélèvements obligatoires l'a préconisé en 2013. Elles comportent désormais une règle d'évolution des crédits d'impôt. Y figure ainsi désormais un objectif d'évolution de la dépense publique totale en valeur, décliné par catégorie d'administrations.

Des progrès sont évidemment encore possibles. Je pense notamment au périmètre des normes de dépenses de l'État, qui pourrait évoluer pour éviter les contournements observés avec les programmes d'investissements d'avenir – PIA – en 2014. Je pense aussi à la mise en place de lois de financement des collectivités territoriales et de la protection sociale obligatoire, à la faveur d'un pilotage plus résolu encore de la dépense.

D'autre part, la publication de ce rapport est aussi l'occasion de faire un point sur le mécanisme de correction prévu par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. En mai 2014, le Haut Conseil des finances publiques avait constaté un écart entre la programmation pluriannuelle et les résultats. Plutôt que de présenter des mesures correctives, le Gouvernement a préféré proposer une nouvelle loi de programmation, revoyant à la baisse la trajectoire des finances publiques. En pratique, le mécanisme de correction est donc demeuré sans effet.

Je veux conclure en rappelant que la Cour ne méconnaît pas les efforts réalisés ces dernières années par les pouvoirs publics pour procéder au nécessaire redressement des finances publiques. Elle n'ignore pas davantage le contexte nouveau dans lequel évoluent nos finances publiques : la trajectoire de consolidation budgétaire a été renégociée avec la Commission européenne, repoussant à 2017 le retour aux 3 % et à 2019 l'équilibre structurel. La Cour intègre aussi dans son raisonnement l'amélioration du climat économique aujourd'hui perceptible.

Les travaux de la juridiction montrent cependant que la prudence doit rester de mise et que l'effort structurel ne doit pas être relâché. Les fondamentaux de l'économie demeurent fragiles : d'une part, la croissance de l'activité et l'inflation sont encore faibles ; d'autre part, le bas niveau des taux d'intérêt ne doit pas dissimuler le risque d'un endettement trop élevé, ni anesthésier les efforts de réforme. Or, nous constatons que la réduction des déficits publics s'est ralentie entre 2013 et 2015.

Un effort beaucoup plus important est prévu en dépense pour les années à venir. L'atteinte des objectifs que les pouvoirs publics se sont assignés repose sur la réalisation de cet effort. Dès lors, le retour à un climat économique plus porteur ne doit pas altérer le degré de vigilance collective sur la situation et les perspectives des finances publiques.

L'amélioration structurelle des comptes publics reste nécessaire, et les administrations publiques doivent persévérer dans cette voie. Cette amélioration est possible, les recommandations mises sur la table par les juridictions financières le montrent. Par leurs travaux, la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes continueront d'apporter régulièrement des pistes d'amélioration de l'action publique. C'est la mission que leur confient la Constitution et les lois organiques, au service des décideurs et des citoyens.

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