Intervention de Didier Migaud

Réunion du 24 juin 2015 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je confirme que nous n'identifions pas de risques importants sur les recettes en 2015. Pour quelques impôts, nous signalons une possible surestimation des recettes attendues qui pourrait toutefois être compensée par une croissance plus soutenue. Ce risque, évalué à 0,1 point de PIB, pourrait être neutralisé si la croissance est supérieure à 1 %, comme le prévoient un certain nombre d'organismes et d'économistes. La confirmation apportée par l'INSEE sur la croissance au premier trimestre semble conforter ce scénario.

En revanche, nous identifions un risque sur la dépense plus important qu'en 2014.

L'année 2014 a bénéficié en effet de conditions favorables que le rapport rappelle : une moindre charge de la dette et un prélèvement européen moins élevé que prévu ainsi que la baisse des investissements locaux.

L'exercice 2015 s'annonce plus risqué quant à la capacité à respecter les engagements pris compte tenu de certains mouvements, en particulier le report de charges de 2014 sur 2015. L'estimation du risque de dépassement des crédits, entre 1,8 et 4,3 milliards d'euros, est supérieure à celle de l'année dernière, compte non tenu des 2 milliards d'euros de recettes exceptionnelles que vous avez mentionnés pour le budget de la défense.

En 2014, nous avons noté une augmentation de la dette de l'État à l'égard de la sécurité sociale.

Il est vrai que le niveau de réserve est important. Chaque année, les montants annulés ne correspondent pas aux montants mis en réserve. Ils se situent souvent autour de 3 milliards d'euros. Nous savons déjà que certaines dépenses devront être dégelées pour assumer le paiement d'autres dépenses.

Les politiques de réduction forfaitaire ne sont pas indiquées pour maîtriser structurellement la dépense publique. Elles peuvent même avoir des effets pervers sur la capacité de l'État à continuer à exercer ses missions régaliennes, nous avons eu l'occasion de le noter.

S'agissant de la distinction entre composante structurelle et composante conjoncturelle du déficit, le Haut Conseil des finances publiques l'a dit, ces notions sont intéressantes mais fragiles, surtout en période de faible croissance. Elles peuvent avoir leur intérêt si la croissance repart. Malgré leur fragilité, ces concepts ont été adoptés au niveau européen et vous les avez votés. Il faut cependant les relativiser d'autant que le déficit structurel dépend beaucoup de la croissance potentielle qu'il est possible de modifier. Cela doit conduire à s'interroger sur un certain nombre de raisonnements qui sont tenus.

S'agissant des collectivités territoriales, nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la présentation du rapport sur les finances locales. Nous enregistrons une baisse de l'investissement local en 2014 plus forte que lors des autres années électorales.

Pour 2015, le Gouvernement anticipe une nouvelle baisse – après 9 % en 2014, les prévisions sont de 8 % pour 2015 – qui peut contribuer au respect des prévisions sur la dépense publique.

Quant à la trajectoire des finances publiques, au niveau de l'investissement public ou au modèle social français, il n'appartient pas à la Cour d'en décider, je le répète. C'est à vous que reviennent les choix. En pointant un niveau d'investissement public à 4,5 % du PIB, la Cour dresse un constat, elle ne porte pas de jugement de valeur. La Cour n'a pas à proposer de modèle. Elle raisonne par rapport aux trajectoires et aux objectifs que vous fixez.

En matière de maîtrise de la dépense, les objectifs du Gouvernement sont plus ambitieux pour 2016 et 2017 que pour les années passées, au cours desquelles l'essentiel du redressement des comptes publics a reposé sur les prélèvements obligatoires. 2014 est l'année qui amorce le changement : la maîtrise de la dépense commence à être prise en compte dans la réduction du déficit structurel. Il est prévu que l'effort se porte en 2016 et 2017 presque exclusivement sur les dépenses. C'est la raison pour laquelle nous disons que la trajectoire ne sera respectée que si l'effort de maîtrise de la dépense se concrétise. Nous sommes dans notre rôle en identifiant les risques de dépassement en la matière. Nous ne minorons absolument pas l'effort tout en observant que la baisse du déficit structurel ces dernières années est essentiellement due à l'augmentation des prélèvements obligatoires.

S'agissant des investissements publics, il me semble plutôt pertinent de considérer les dépenses de recherche et développement comme des dépenses d'investissement. Ces changements, qui paraissent plutôt bienvenus, ont pour conséquence d'augmenter la part de l'État et des opérateurs dans les investissements publics.

Le même constat s'impose pour les dépenses et pour les investissements : la rationalité des décisions peut être améliorée. Nous avons ainsi eu l'occasion de montrer que la grande vitesse ferroviaire n'est pas obligatoirement la solution universelle pour toute ligne de chemin de fer ; que l'implantation de deux gares de TGV à quelques kilomètres de distance n'est pas nécessairement vertueuse, pas plus que l'installation de deux stations d'épuration distantes de quelques mètres. Nous attirons votre attention sur le fait qu'un investissement n'est pas par nature vertueux.

Nous ne proposons pas la réduction de la dépense publique qu'ont connue un certain nombre de pays. Nous raisonnons par rapport aux objectifs que vous fixez. Nous faisons le constat que le Gouvernement est plus ambitieux mais cette ambition doit être documentée et concrétisée. Nous identifions les risques qui peuvent empêcher la dépense d'être maîtrisée.

Ainsi, pour les dépenses de personnel, l'objectif est de limiter la hausse à 200 millions d'euros. Or, le rythme annuel de ces dépenses, compte tenu des décisions que vous avez prises, entraîne mécaniquement une hausse de 700 millions d'euros. Si rien n'est fait pour effacer cette différence, les dépenses dépasseront l'objectif affiché.

Ce qui importe, c'est d'être en mesure de respecter les objectifs que vous vous êtes assignés si vous voulez suivre la trajectoire des finances publiques, qui est moins ambitieuse qu'elle ne pouvait l'être hier. Là encore, il s'agit d'un constat.

Quant à la critique de M. Alauzet sur les recettes, plusieurs rapports de la Cour montrent des marges en matière de lutte contre la fraude et de maîtrise de la dépense fiscale. Si cette dernière était plus maîtrisée, les recettes seraient plus importantes. Plusieurs rapports de la Cour soulignent que certaines dépenses fiscales ne répondent pas aux objectifs qui leur ont été assignés.

Il faut continuer à lutter contre la fraude. Le chiffre de 2 milliards d'euros que vous citez n'est pas le bon, il correspond en réalité aux résultats de la cellule de régularisation mise en place. Pour la période 2013-2014, le surplus de recettes s'élève à 300 millions d'euros. Les sommes recouvrées au titre de la fraude fiscale traditionnelle sont plutôt inférieures aux années précédentes.

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