Intervention de Armand Jung

Réunion du 17 juin 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArmand Jung, rapporteur :

Je ne reviendrai pas sur ce que la Présidente vient d'expliquer et me contenterai de répondre à quelques interrogations émises lors du premier examen de cet accord.

Personne ne remet en cause l'objectif premier de l'accord qui est d'indemniser les victimes de la Shoah déportées depuis la France et qui n'ont pu l'être par les programmes français.

Ces mesures d'indemnisation concernent tous les non-Français - dont beaucoup d'Américains et quelques Israéliens, qui se trouvaient en France entre 1942 et 1944 et qui ont été déportés - mais qui ne remplissaient pas les critères français de réparation. Soit parce qu'ils avaient émigré, soit parce qu'ils étaient arrivés sur le sol français après le 1er septembre 1939.

Il s'agit donc d'une mesure de justice, je suis sûr que tout le monde est d'accord sur ce point.

En revanche, certains d'entre nous se sont interrogés sur le vecteur qui a été choisi, à savoir un accord entre deux gouvernements donnant lieu à un transfert de fonds d'Etat à Etat.

En premier lieu, il ne s'agit pas d'un régime de réparation de guerre entre Etats, mais d'un accord de réparations individuelles, morales et financières qui a été négocié à l'initiative de la France.

Cet accord ne peut être assimilé à un accord de réparation d'état vaincu à état vainqueur. Les négociateurs ont choisi de confier au gouvernement américain l'instruction des dossiers dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs, par définition très âgés, qui résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité.

Les 60 millions de dollars ne sont pas versés au budget américain mais transférés au trésor américain au profit d'un fonds ad hoc et le gouvernement américain devra rendre compte de leur utilisation au gouvernement français. L'article 6, paragraphe 7, prévoit un rapport annuel. Ce n'est pas exactement comme cela que fonctionnerait un régime de réparation.

Certains se sont demandé s'il n'aurait pas été préférable que l'indemnisation incombe à la SNCF. En réalité, c'est une option qui aurait pu convenir au gouvernement américain, mais qui a été écarté d'emblée par la partie française.

Faire participer la SNCF au fonds aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte dans la déportation des Juifs et le bien-fondé des plaignants américains. Or un arrêt du Conseil d'Etat de 2007 a exonéré la SNCF ainsi que tous les démembrements de l'Etat de toute responsabilité. Serge Klarsfeld a prouvé que la SNCF était un rouage du processus d'extermination, placée sous réquisition des autorités allemandes d'Occupation et que sa responsabilité ne pouvait être mise en cause. Pour cette raison, cette option qui avait été demandée par nos partenaires américains a été formellement rejetée par les négociateurs français.

Il faut ajouter que ce dossier est très différent de celui des spoliations : si les banques françaises ont été mises à contribution à travers l'accord franco-américain de 2001, c'est au titre des avoirs qu'elles avaient abusivement acquis de leur propre initiative.

Pouvait-on, au lieu de signer un accord, étendre les régimes d'indemnisation nationaux aux non nationaux ? Cette solution aurait conduit à confier à l'administration française l'instruction des dossiers alors que les demandeurs résident aux Etats-Unis et sont, comme je le rappelais à l'instant, très âgés. Celle qui a été retenue permet de clore le dossier en ce qui concerne la partie française. Les 60 millions de dollars sont un solde de tout compte et en échange la partie française obtient des garanties afin de clore les contentieux ce que n'aurait sans doute pas permis une extension des régimes nationaux.

Certains ont également mis en doute la solidité des garanties offertes par la partie américaine contre la poursuite éventuelle d'actions contre la SNCF ou d'autres entreprises.

Les garanties obtenues par la France sont très larges et à plusieurs niveaux, à la fois judiciaire comme législatif, au niveau fédéral, des Etats ou local. Ces garanties sont plus importantes que les accords bilatéraux précédemment signés avec les Etats-Unis : non seulement les recours contentieux sont visés, mais aussi les recours législatifs – qui pourraient s'avérer bien plus préjudiciables à la SNCF ou à la RATP.

En ce qui concerne le volet contentieux, la garantie de sécurité juridique majeure réside dans la préservation de l'immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements. C'est une garantie fondamentale pour empêcher les recours engagés contre la SNCF de prospérer et d'aboutir à une condamnation devant les tribunaux américains à des sanctions financières certainement très lourdes au regard des précédents.

C'est l'objectif de l'accord qui institue une obligation internationale contraignante pour les Etats-Unis qui se sont engagés à protéger cette immunité de juridiction devant les tribunaux. Cette obligation s'appliquera aux recours passés ou à venir pour lesquels le gouvernement américain interviendra en adressant aux juridictions des Statements of interest aux fins de rejet. Elle pourra également prendre la forme d'une intervention directe dans la procédure en qualité de partie.

Le maintien de cette immunité empêchera les nouveaux recours de prospérer devant les tribunaux américains.

S'agissant des initiatives législatives, de manière très large, le gouvernement américain s'est engagé à notre demande à intervenir pour s'opposer à toute législation qui serait contraires à l'accord, au niveau fédéral, des Etats ou local.

Ces interventions peuvent prendre concrètement plusieurs formes notamment un veto de l'Exécutif au Congrès ou différentes interventions de nature politique dans le cadre d'initiatives législatives locales.

L'accord s'appliquera à tous les niveaux de Gouvernement et aux Etats fédérés. Il prévoit explicitement à son article 2 que le Gouvernement américain doit entreprendre toute action de nature à garantir une paix juridique durable à tous les échelons du gouvernement, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, des Etats ou des autorités locales.

On peut naturellement mettre en doute l'efficacité de ces garanties, mais ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'un rejet de ce texte ou un retard trop important de la procédure de ratification rallumerait instantanément les contentieux.

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