Examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (n° 2705) – M. Armand Jung, rapporteur.
La séance est ouverte à neuf heures trente-six.
Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah.
Je ne reviendrai pas sur le fond du débat, car je crois que nous en connaissons tous les termes et les enjeux, et je laisserai au rapporteur le soin d'apporter des réponses aux questions techniques soulevées par nos collègues.
Nul ne remet en question l'objet de cet accord, à savoir l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, et qui n'ont pu l'être par les programmes français. En revanche, la rédaction maladroite de la dernière phrase de l'article premier, faisant référence au « Gouvernement de Vichy », a provoqué le débat que nous savons. Nous avons demandé au Gouvernement de lui substituer l'expression communément acceptée de « l'autorité de fait, se disant gouvernement de l'Etat français » – utilisée dans l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.
L'article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités nous permet de corriger cette erreur, par voie d'échange de notes diplomatiques, dans lesquelles une partie propose la correction, et l'autre l'accepte.
Sur le fondement de cet article, le ministère des Affaires étrangères et du Développement international a adressé le 10 juin dernier une note diplomatique aux autorités américaines proposant de substituer aux termes « Gouvernement de Vichy », les termes : « l'autorité de fait, se disant gouvernement de l'Etat français ». Les autorités américaines ont accepté cette correction, qui n'aura aucune conséquence sur les principales dispositions de l'accord. Ces deux notes vous ont été communiquées par le secrétariat.
Je vous propose que nous nous prononcions donc aujourd'hui sur ce texte. En séance, le Gouvernement devra s'engager à le rectifier comme l'a fait Laurent Fabius devant notre commission, conformément à l'échange de notes. Après sa ratification, l'accord sera publié au Journal officiel dans sa version corrigée, qui seule fera foi entre les parties.
La mention « Gouvernement de Vichy » n'apparaitra plus nulle part dans le texte qui sera publié au Journal officiel. Dès lors, il est inutile d'ajouter une réserve interprétative sur une expression qui aura disparu.
Cette solution répond je crois aux inquiétudes exprimées par les membres de cette commission et clôt le débat. Elle a la vertu de s'inscrire dans un calendrier raisonnable : une renégociation de l'accord aurait eu pour effet de retarder encore un peu plus l'indemnisation de victimes déjà très âgées, ce que la France ne souhaite évidemment pas.
Je vous invite donc à adopter ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur ce que la Présidente vient d'expliquer et me contenterai de répondre à quelques interrogations émises lors du premier examen de cet accord.
Personne ne remet en cause l'objectif premier de l'accord qui est d'indemniser les victimes de la Shoah déportées depuis la France et qui n'ont pu l'être par les programmes français.
Ces mesures d'indemnisation concernent tous les non-Français - dont beaucoup d'Américains et quelques Israéliens, qui se trouvaient en France entre 1942 et 1944 et qui ont été déportés - mais qui ne remplissaient pas les critères français de réparation. Soit parce qu'ils avaient émigré, soit parce qu'ils étaient arrivés sur le sol français après le 1er septembre 1939.
Il s'agit donc d'une mesure de justice, je suis sûr que tout le monde est d'accord sur ce point.
En revanche, certains d'entre nous se sont interrogés sur le vecteur qui a été choisi, à savoir un accord entre deux gouvernements donnant lieu à un transfert de fonds d'Etat à Etat.
En premier lieu, il ne s'agit pas d'un régime de réparation de guerre entre Etats, mais d'un accord de réparations individuelles, morales et financières qui a été négocié à l'initiative de la France.
Cet accord ne peut être assimilé à un accord de réparation d'état vaincu à état vainqueur. Les négociateurs ont choisi de confier au gouvernement américain l'instruction des dossiers dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs, par définition très âgés, qui résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité.
Les 60 millions de dollars ne sont pas versés au budget américain mais transférés au trésor américain au profit d'un fonds ad hoc et le gouvernement américain devra rendre compte de leur utilisation au gouvernement français. L'article 6, paragraphe 7, prévoit un rapport annuel. Ce n'est pas exactement comme cela que fonctionnerait un régime de réparation.
Certains se sont demandé s'il n'aurait pas été préférable que l'indemnisation incombe à la SNCF. En réalité, c'est une option qui aurait pu convenir au gouvernement américain, mais qui a été écarté d'emblée par la partie française.
Faire participer la SNCF au fonds aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte dans la déportation des Juifs et le bien-fondé des plaignants américains. Or un arrêt du Conseil d'Etat de 2007 a exonéré la SNCF ainsi que tous les démembrements de l'Etat de toute responsabilité. Serge Klarsfeld a prouvé que la SNCF était un rouage du processus d'extermination, placée sous réquisition des autorités allemandes d'Occupation et que sa responsabilité ne pouvait être mise en cause. Pour cette raison, cette option qui avait été demandée par nos partenaires américains a été formellement rejetée par les négociateurs français.
Il faut ajouter que ce dossier est très différent de celui des spoliations : si les banques françaises ont été mises à contribution à travers l'accord franco-américain de 2001, c'est au titre des avoirs qu'elles avaient abusivement acquis de leur propre initiative.
Pouvait-on, au lieu de signer un accord, étendre les régimes d'indemnisation nationaux aux non nationaux ? Cette solution aurait conduit à confier à l'administration française l'instruction des dossiers alors que les demandeurs résident aux Etats-Unis et sont, comme je le rappelais à l'instant, très âgés. Celle qui a été retenue permet de clore le dossier en ce qui concerne la partie française. Les 60 millions de dollars sont un solde de tout compte et en échange la partie française obtient des garanties afin de clore les contentieux ce que n'aurait sans doute pas permis une extension des régimes nationaux.
Certains ont également mis en doute la solidité des garanties offertes par la partie américaine contre la poursuite éventuelle d'actions contre la SNCF ou d'autres entreprises.
Les garanties obtenues par la France sont très larges et à plusieurs niveaux, à la fois judiciaire comme législatif, au niveau fédéral, des Etats ou local. Ces garanties sont plus importantes que les accords bilatéraux précédemment signés avec les Etats-Unis : non seulement les recours contentieux sont visés, mais aussi les recours législatifs – qui pourraient s'avérer bien plus préjudiciables à la SNCF ou à la RATP.
En ce qui concerne le volet contentieux, la garantie de sécurité juridique majeure réside dans la préservation de l'immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements. C'est une garantie fondamentale pour empêcher les recours engagés contre la SNCF de prospérer et d'aboutir à une condamnation devant les tribunaux américains à des sanctions financières certainement très lourdes au regard des précédents.
C'est l'objectif de l'accord qui institue une obligation internationale contraignante pour les Etats-Unis qui se sont engagés à protéger cette immunité de juridiction devant les tribunaux. Cette obligation s'appliquera aux recours passés ou à venir pour lesquels le gouvernement américain interviendra en adressant aux juridictions des Statements of interest aux fins de rejet. Elle pourra également prendre la forme d'une intervention directe dans la procédure en qualité de partie.
Le maintien de cette immunité empêchera les nouveaux recours de prospérer devant les tribunaux américains.
S'agissant des initiatives législatives, de manière très large, le gouvernement américain s'est engagé à notre demande à intervenir pour s'opposer à toute législation qui serait contraires à l'accord, au niveau fédéral, des Etats ou local.
Ces interventions peuvent prendre concrètement plusieurs formes notamment un veto de l'Exécutif au Congrès ou différentes interventions de nature politique dans le cadre d'initiatives législatives locales.
L'accord s'appliquera à tous les niveaux de Gouvernement et aux Etats fédérés. Il prévoit explicitement à son article 2 que le Gouvernement américain doit entreprendre toute action de nature à garantir une paix juridique durable à tous les échelons du gouvernement, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, des Etats ou des autorités locales.
On peut naturellement mettre en doute l'efficacité de ces garanties, mais ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'un rejet de ce texte ou un retard trop important de la procédure de ratification rallumerait instantanément les contentieux.
Ce rapport revient en Commission des affaires étrangères après un débat important. Je vous remercie pour votre implication dans la recherche de réponses aux attentes qui ont été exprimées. Vous avez fait un travail exemplaire et nous avons désormais un texte sur lequel nous accorder. Il y avait des réserves sur quelques formulations malheureuses, elles sont levées, c'est un exemple de ce que le travail parlementaire peut accomplir. Il n'y a désormais plus de doute et j'espère que nous serons aussi d'accord dans l'hémicycle pour rendre justice aux victimes de la déportation.
Je voudrais tout d'abord remercier mes collègues de l'opposition comme de la majorité qui m'ont soutenu lorsque j'ai soulevé les points qui étaient préoccupants. Cela a permis que le ministère reconsidère la négociation et obtienne une nouvelle rédaction. Au-delà de nos différences, nous nous rejoignons sur l'essentiel : notre République n'a rien de commun avec la bande de criminels qui constituait le soi-disant gouvernement de Vichy que le gouvernement américain avait d'ailleurs reconnu. Il était fondamental de ne pas mettre les deux sur le même plan. La première réaction du Quai d'Orsay n'a pas été des plus sympathique, comme en témoignent les échanges de lettres que j'ai eus ces derniers jours avec le ministère, qui a mis du temps à comprendre où était le problème.
L'article 79 de la Convention de Vienne permet la rectification des erreurs matérielles, pour proposer la modification qui est apportée, qui ne change rien à l'économie générale du texte. La version définitive qui sera publiée au Journal officiel ne sera pas celle discutée en séance publique. C'est une solution satisfaisante.
Différentes questions demeurent, qui pourront justifier certaines abstentions parmi nous, car des points de principe sont en cause, en dehors du principe de l'indemnisation que nous ne remettons pas en cause.
En premier lieu, il aurait sans doute été plus simple d'ouvrir le décret de 2000 aux ayants-droits des déportés vivant à l'étranger. On n'a pas choisi cette solution, de sorte que nous avons aujourd'hui un accord entre la France et les Etats-Unis qu'on peut mettre en parallèle avec l'accord entre les Etats-Unis et l'Allemagne pour la réparation des dommages du travail obligatoire. Quels que soient les arguments du rapporteur, un parallélisme de forme troublant est ainsi fait entre notre pays - qui a été occupé, s'est battu, qui avait un gouvernement à Londres, la Résistance - et l'Allemagne nazie. C'est problématique.
S'agissant des arguments de droit, quiconque connaît un peu le système américain sait parfaitement que la séparation des pouvoirs n'empêchera aucunement le harcèlement judiciaire de continuer. Ce n'est pas non plus ce texte qui arrêtera le législateur américain. Ce qui est en cause ici, c'est le respect du principe d'immunité de juridiction. L'argument du veto présidentiel est également douteux et cela n'est pas satisfaisant ; on peut en tout cas douter de cet engagement.
Surtout, est mis ici en évidence le fait que nous sommes de plus en plus - comme c'est par ailleurs le cas avec la convention fiscale franco-américaine, où il n'y a pas de réciprocité et transmission automatique de données de notre part, comme c'est le cas avec les pénalités contre la BNP, sanctionnée pour violation d'un embargo que la France ne reconnaissait pas parce que ses transactions étaient libellées en dollars - face à la question de l'imperium juridique américain. S'il y a un aspect moral et de justice dans cette question, il y a aussi en toile de fond le harcèlement sur la SNCF, sur la Caisse des dépôts, sur lequel on ne fait rien, sauf proposer un texte comme celui-ci qui ne résoudra strictement rien. Nous négocions le TAFCA, et des normes unilatérales nous sont imposées sans que l'on dise quoi que ce soit. Nous nous devons de réagir.
Ce sont là trois questions qui posent problème et qui restent sur la table. Je tiens à le dire de façon solennelle ici, même s'il y a eu une certaine évolution. Je ne comprends pas comment le ministère a pu laisser passer un tel texte, aussi scandaleux, et c'est l'honneur du parlement d'avoir soulevé cette question. Je remercie encore mes collègues de leur soutien dans cette affaire.
Nous allons voter avec une promesse de modification. La rédaction initiale était inacceptable : on ne peut pas parler de pérennité de la république, mettre la responsabilité du gouvernement de Vichy, fasciste, complice des nazis, qui a contribué à la déportation, sur le même plan. Je remercie le ministère des affaires étrangères qui a obtenu cette modification. Et je voudrais croire aussi que derrière tout cela il n'y a pas d'arrière-pensées mercantiles, même si Pierre Lellouche nous a rappelé les manoeuvres contre la SNCF sur les marchés publics américains. Je préfère rester sur les aspects moraux et éthiques de ce texte vis-à-vis des victimes, et que ce soit un accord pour solde de tout compte.
Le propos de François Asensi me fait sourire, parce qu'il n'y a que des aspects mercantiles dans cette affaire. Je partage entièrement les propos de Pierre Lellouche, sur la forme et sur le fond, ainsi que les corrections qui ont été apportées. C'était essentiel. Il n'en reste pas moins que cet accord est honteux, peu glorieux pour notre pays et qu'il ait été ou non indispensable est une autre question. D'autant que les Etats-Unis nous mettent à genoux, la tête baissée qui plus est ! Je sais que l'amitié entre la France et les Etats-Unis est importante, mais là, ils vont très loin.
Le vrai sujet est celui des intérêts des grandes compagnies françaises aux Etats-Unis. La SNCF réalise d'excellentes opérations là-bas, qui lui donnent un chiffre d'affaires de quelque 4 ou 5 milliards d'euros, elle intervient notamment sur la gestion des réseaux urbains, comme à Washington, Boston ou au Massachussetts, et son activité est en expansion, ce qui est très important. D'autres sociétés interviennent aussi. Jusqu'à aujourd'hui, ces sociétés étaient protégées par l'immunité souveraine sur laquelle il y a désormais une menace de la voir levée : un projet de loi sera bientôt discuté au Congrès et les conséquences risquent d'en être catastrophiques pour nos sociétés qui travaillent aux Etats-Unis et pour nos exportations. On notera d'ailleurs que les négociations sur ce texte ont été plus rapides que jamais, il se sera écoulé six mois entre leur début, en décembre et l'entrée en vigueur de l'accord !
Nous avons été écartés des négociations qui se sont tenues, nous le regrettons et notre position est qu'il aurait été possible de faire mieux. Nous prenons acte de la position très inamicale des Etats-Unis et nous nous abstiendrons.
Trois remarques. En premier lieu, on disait l'accord scellé, qu'on ne pouvait rien y changer ; il a changé, c'est heureux. En second lieu, des juifs américains ont été déportés mais s'il y a eu collaboration servile de la part du gouvernement de Vichy, c'est l'Allemagne qui a inventé la déportation ; c'est une différence qui n'est pas négligeable. Est-ce que ce sera un point final ou non ? Evidemment non, il y aura des suites. Enfin, lorsque nous avons voté l'indemnisation des enfants de Français juifs, nous avons ensuite dû voter une deuxième loi, pour l'indemnisation des enfants de Français non juifs, également morts en déportation, que nous n'avions pas prévue. Depuis, comme chacun sait, l'ANPOG se bat pour les enfants non juifs dont le père est mort sans avoir été déporté. En effet, les enfants de ceux qui par exemple sont morts fusillés en Auvergne ou ailleurs sans avoir été déportés, n'ont jamais été indemnisés. Il reste des questions à poser. On aurait pu régler ce problème aussi.
La plus grande émotion que j'ai ressentie dans ma vie était la visite d'Auschwitz. Cela restera prégnant toute ma vie. Il n'en demeure pas moins qu'il y a derrière l'attitude des Etats-Unis une attitude inadmissible qui relève du chantage et qui rejoint les pénalités infligées à BNP-Paribas ou l'affaire Alstom. Dans cette Commission, j'avais interpellé le ministre des Affaires étrangères sur l'extraterritorialité des lois américaines. Le système va au-delà des principes de concurrence loyale et non faussée. Il y a un problème fondamental et il est urgent que notre commission s'en saisisse. Il faut regarder les tenants et aboutissants de cette politique extraterritoriale, mais aussi comment la contrer. Les Américains respectent ceux qui leur disent « non » et il faut leur dire « non ». La réciprocité est la voie de la sagesse.
Je voudrais rappeler que le texte n'a pas pour sujet l'« imperium américain » pour reprendre l'expression utilisée par Pierre Lellouche. Il a un objet plus limité, plus humain, et fondamental de mon point de vue : la réparation d'un certain nombre de préjudices subis par des personnes déportées depuis la France. Nous devons en rester à cette interprétation, cet objet fondamental. L'objet de cet accord n'est pas de rééquilibrer les relations entre la France et les Etats-Unis, il y a d'autres contextes et d'autres textes pour cela.
Deuxièmement, concernant le parallélisme entre la France et l'Allemagne, question à laquelle j'ai apporté des éléments de réponse dans mon propos introductif, j'ai bien entendu vos observations. Pour ma part, je me réjouis que sur un thème aussi important nous ayons une convention particulière qui mette en exergue toute l'importance et toute la gravité de cette situation et que nous n'ayons pas seulement une excroissance de l'accord de 2001. On peut mettre l'accent sur ce point. L'accord a été négocié de manière précise et organisée avec les Etats-Unis et ce n'est pas toujours simple. On ne peut pas mettre sur le même plan le TTIP et ce texte. Il s'agit ici de réparation. Gardons à l'esprit cet objet qui fait l'honneur de cet accord.
Sur les effets d'aubaine, évoqués par l'un de nos collègues, je rappelle que la somme consacrée à l'indemnisation est forfaitaire. Un rapport annuel permettra de suivre l'évolution et le fléchage des 60 millions de dollars.
Voilà quelques éléments de réponse. Mais surtout ne déplaçons pas la question centrale de cet accord vers quelque chose de plus large sur lequel nous pouvons d'ailleurs nous rejoindre et qui concerne nos relations avec les Etats-Unis. Il y a un objet précis qui est urgent et important, humainement et politiquement, par rapport à nos propres intérêts français.
Je remercie notre rapporteur et ferai quelques remarques complémentaires. Il faudra que notre commission puisse travailler sur ces accords extraterritoriaux. Ce problème a été soulevé plusieurs fois et je suis favorable à un tel travail. Mais n'oublions pas que cet accord a un objet précis et humain comme l'a souligné le rapporteur, qui règle un problème bien spécifique.
L'objet de cet accord n'est pas de protéger des intérêts français mais d'indemniser des victimes individuelles. Pour autant, va-t-on s'indigner ici que cet accord permette de protéger des intérêts français ? On s'interroge dans notre commission sur notre capacité à développer notre diplomatie économique. N'employons pas de mots excessifs, il n'y a ni honte ni chantage par rapport aux intérêts économiques. Il y a le souci d'indemniser des personnes et c'est fait au moyen d'un accord pour solde de tous comptes. Cela n'empêchera pas les dépôts de plaintes, mais le gouvernement des Etats-Unis a toujours jusqu'ici respecté ce type d'accords et les plaintes seront jugées non recevables par le Gouvernement, l'Etat fédéral et les Etats fédérés.
Enfin, aurait-on pu et dû procéder par extension soit du régime de 2000 soit d'autres accords bilatéraux d'indemnisation ? Non. On n'aurait pas couvert l'ensemble des victimes et on n'aurait pas atteint l'objectif de paix juridique que permet un accord pour solde de tous comptes.
L'essentiel de ce qui faisait obstacle a été obtenu, c'est-à-dire la correction sur la mention du Gouvernement de Vichy, permettant de respecter la tradition jusqu'alors toujours respectée par toutes les autorités françaises de l'absence de continuité entre le Gouvernement de Vichy et la République française. Le vrai sujet soulevé est résolu, la modification a été proposée au Gouvernement américain.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2705).
Communication de la mission d'information sur la Libye (Mme Nicole Ameline, présidente – M. Jean Glavany, rapporteur).
Nous en venons à la communication de la mission d'information sur la Libye. Nos collègues – Nicole Ameline et Jean Glavany – vont nous présenter un compte rendu du déplacement qu'ils ont fait dans la région à un moment clé de la crise libyenne. Comme vous le savez, la France suit avec une particulière attention l'évolution de la situation. Bernardino Leon conduit au Maroc une mission de médiation entre les forces politiques en présence. Les négociations sont censées se terminer demain, au début du ramadan, et les informations dont on dispose autoriserait un certain optimisme. Cependant, parallèlement, la situation sur le terrain se dégrade du fait de la progression de Daech.
La mission sur la Libye créée par notre commission s'est rendue en Tunisie les 29 et 30 mai, en Egypte et en Algérie du 7 au 9 juin. Nous avons été reçus au plus haut niveau : le Président Al-Sissi nous a consacré près d'une heure d'entrevue ; nous avons rencontré les Ministres des Affaires étrangères algérien, tunisien, et libyen, nos homologues, ainsi que le Secrétaire général de la Ligue arabe. Nous avons aussi échangé à Tunis avec Bernardino Leon, envoyé spécial de l'ONU en Libye, sur l'avancement des négociations. Le moins que l'on puisse dire est que tous partagent l'extrême préoccupation qui est la nôtre face à la crise libyenne, et mesurent l'urgence – et aussi bien la difficulté – de la constitution d'un Gouvernement d'unité nationale à la veille du début du Ramadan, date butoir initialement prévue pour la signature d'un accord. Aussi, je remercie la présidente d'avoir accepté que nous en fassions un rapide compte-rendu, afin d'éclairer la complexité du dossier libyen, et son caractère stratégique pour la France et l'Europe. Il est évident que la France n'a pas ici vocation à agir seule. En aurait-on les moyens, cela risquerait de ruiner le véritable capital de sympathie dont nous bénéficions en Libye. L'équilibre de nos positions, respectant la légitimé des institutions élues, tout en dialoguant avec les personnalités des deux camps qui acceptent une solution non violente, est appréciée. Il faut aussi tenir compte de l'attitude parfois paradoxale des libyens qui consiste à fustiger l'indifférence et le manque de soutien de la communauté internationale, tout en critiquant ce soutien comme une forme d'ingérence déplacée.
Le premier et principal enjeu de cette crise est politique. Dans le rapport de force actuel, personne ne peut gagner mais chacun essaie de ne pas perdre. Les forces en présence sont si éclatées qu'une solution militaire n'aurait pour effet que d'accélérer la fragmentation du pays et le plonger dans le chaos.
Les efforts de Bernardino Leon, qui se poursuivent actuellement, associés aux voisins de la Libye, dont chacun assume l'un des volets de la négociation, portent leurs fruits. Les Libyens croient à une solution politique. Il y a un réel rapprochement des positions depuis le début des négociations, des progrès dans le texte de l'accord. Tripoli semble désormais acquis au dialogue et Misrata, arrimée à la lutte anti-terroriste. Mais Leon a besoin de notre appui actif, car cette fenêtre d'opportunité pourrait vite se refermer, même si la menace de Daech pourrait accélérer la conclusion d'un accord. Le point dur des négociations porte sur les compétences du Conseil d'Etat. Il faut convaincre les modérés à Tobrouk qui craignent qu'on accorde trop de pouvoir aux Frères musulmans et empêcher les opposants à l'accord de nuire ; à Misrata la signature serait possible. En revanche, Tripoli se fait très discret. Beaucoup d'accords de cessez le feu ont été passés au niveau local, la situation est très calme depuis quelques jours sur le terrain ce qui est bon signe, la réunion à Berlin a été utile pour mettre la pression. En réalité, la signature semble possible. Il faut parvenir à convaincre les Libyens de régler le problème eux-mêmes, ce qu'ils ne semblent pas tous déterminés à faire pour l'heure.
Il y a urgence, car le temps joue contre la Libye : d'abord en raison de l'avancée de Daech, ensuite de l'échéance du mandat des parlementaires en octobre. Chacun joue la montre : Tobrouk envisage de prolonger son mandat après octobre, Misrata veut réorganiser des élections. La disparition de cette légitimité politique déjà fragile entraînerait celle de tout leadership en Libye. Il faut donc presser sans précipiter. Presser c'est à dire faire pression sur les deux camps, sanctionner ceux qui cherchent à saper l'accord, mais aussi inviter les acteurs régionaux influents à faire pression eux aussi, que ce soit le Qatar, la Turquie, les Emirats ou encore l'Egypte. Précipiter un accord partiel serait inutile, tout resterait à faire : il faut en faire un instrument d'inclusion politique la plus large possible, en s'efforçant notamment d'associer les autorités locales, les municipalités, dont le rôle est historique en Libye, de même que celui des tribus.
Les prochaines réunions seraient prévues à Rabat le 24 juin. Il n'y aura pas de nouvelle version de l'accord, les parties doivent désormais s'entendre. Je suis pour ma part optimiste sur la signature.
Mais il faut avoir conscience que la constitution d'un gouvernement d'union nationale ne règlera pas tous les problèmes.
Le deuxième enjeu de cette crise est sécuritaire. En réalité ce n'est pas un problème distinct, car les acteurs sont les mêmes que ceux du dialogue politique, et que l'accord restera théorique si le chaos règne en Libye. Parler d'enjeu sécuritaire est presque un euphémisme : c'est une menace existentielle pour la Libye et ses voisins. L'arrêt des trafics, la sécurisation des frontières et des sites pétroliers, mais surtout, le désarmement, la démobilisation, et la réintégration des milices dans l'armée, puis dans le jeu politique, sont le vrai défi de la Libye. L'Etat est inexistant, des centaines de milices détiennent la réalité du pouvoir. Sans compter la question du Sud, à laquelle il faudrait consacrer de plus amples développements, car c'est un écheveau qu'il va falloir démêler.
Cette situation fait le lit de Daech, dont les positions progressent. Ils sont présents à Syrte – où ils auraient enrôlé à la fois des anciens de Misrata et du régime. La société clanique semble être un frein à l'extrémisme, mais les solidarités familiales peuvent aussi rendre difficile l'arrestation des djihadistes. Autre frein à son avancée, l'Islam modéré en Libye et l'absence de luttes interconfessionnelles. Enfin, ils ne peuvent, comme en Irak, s'appuyer sur les anciens de l'armée. Cependant, ils ratissent large et sèment la terreur ; on constate une recrudescence des attentats à Tripoli et Misrata. S'ils parviennent à prendre le contrôle du croissant pétrolier, ils auront une influence immense. Ils sont très organisés, se nourrissent de divers trafics, d'armes, de pétrole, de migrants. Enfin et surtout, ils établissent un soutien logistique entre Nord et Sud.
Une intervention militaire est pour l'heure exclue, le risque d'embourbement dans un conflit non conventionnel est trop grand. Le maintien de l'embargo sur les armes semble plus prudent tant qu'un accord politique n'a pas été trouvé.
Cela étant dit, et comme nous l'ont martelé nos interlocuteurs, le règlement des questions de sécurité doit être concomitant de la négociation politique, ce qui n'est pas assez le cas aujourd'hui. Il faut favoriser des accords de cessez le feu au niveau local, entre villes et entre tribus, car le niveau national ne suffira pas. Par ailleurs, sans accord entre les milices, il n'y aura aucune sécurisation possible de la Libye. Il faudra aussi protéger le nouveau gouvernement et sécuriser Tripoli – sans un soldat étranger, car les Libyens s'y opposent. C'est le problème le plus épineux. Un retour de l'OTAN serait catastrophique, l'ONU n'a pas les effectifs qualifiés et demeure peu réactif. Les pays voisins se proposent d'apporter leur aide, tous nous l'ont confirmé lors de nos missions, ainsi que la Ligue arabe. L'Europe peut participer à la planification sécuritaire après l'accord politique, mais il faut savoir comment, avec quels moyens, et surtout quelle sera la coordination des Etats membres. L'organisation d'une conférence incluant les pays du 5+5 et les voisins régionaux pourrait permettre d'y travailler, de s'assurer de l'engagement de la communauté internationale et d'une répartition efficace des rôles entre pays voisins, Ligue arabe, Etat africains, ONU et Union européenne. A tout le moins, un suivi politique de la sécurisation de la Libye est crucial.
Le dernier enjeu de cette crise est donc diplomatique. La porosité des frontières libyennes menace la stabilité de ses voisins, en premier lieu la Tunisie, l'enlèvement récent de diplomates tunisiens à Tripoli en est une illustration, sans compter la problématique des combattants étrangers. L'Egypte redoute l'ouverture d'un second front à la frontière occidentale, alors que l'armée combat dans le Sinaï d'autres groupes armés ayant fait allégeance à Daech. Pour eux, l'accord doit préserver la stabilité et l'unité de la Libye mais aussi la légitimité de Tobrouk, et tenir compte des enjeux de sécurité, qu'ils reprochent aux européens de négliger. Les Algériens ont plutôt des affinités avec Tobrouk mais dialoguent aussi, tout comme les Tunisiens, avec ceux qui à Tripoli acceptent le dialogue politique, par pragmatisme et souci de leur propre sécurité, car leurs frontières sont poreuses, les trafics y prospèrent.
Les positions des voisins se rapprochent, l'Egypte a joué un rôle très constructif dans ses discussions avec Tobrouk, l'Algérie est elle aussi très active, de même que la Tunisie, qui promeut un dialogue politique. Le Qatar semble avoir adouci ses positions, il n'en serait pas de même de la Turquie, qui continue à soutenir certains groupes à Tripoli. Tous nos interlocuteurs nous ont invités à faire pression sur l'ensemble des parrains régionaux.
En conclusion, un Gouvernement d'union nationale est bien la seule voie de sortie de crise, il n'y a pas de plan B, mais cela ne règlera pas tous les problèmes. Il faut penser au jour d'après. En matière de sécurité, il faut veiller à ce que les Libyens ne refusent pas, comme ils l'avaient fait en 2011, les missions d'appui internationales. Il faudra relayer l'accord politique sur le terrain, reconstruire un tissu social où la confiance a totalement disparu, renforcer, lorsque ce n'est pas créer, les institutions, s'appuyer sur les localités et la société civile. Le problème n'est pas financier, car la Libye est un pays riche. L'Europe a un rôle à jouer et la révision de la politique de voisinage de l'Union européenne devra prendre en compte la spécificité de la Libye. Je finirai en disant un mot de la question migratoire, largement évoquée dans nos entretiens. Elle ne doit pas être le seul prisme de notre vision de la crise libyenne, même si elle en est la traduction la plus spectaculaire. Nous avons fait entendre à nos interlocuteurs qu'il s'agissait d'une responsabilité collective et que le règlement politique de la crise, en stabilisant le Libye, y apporterait une première réponse.
J'aimerais revenir sur trois contre-vérités largement relayées par certains médias. La première voudrait qu'en Libye règne le plus grand des chaos. Ce n'est pas vrai, du moins ce n'est pas vrai partout. La vie de déroule normalement, même dans certains quartiers de Tripoli. Il y a une ligne intérieure entre Tobrouk et Tripoli, qui fonctionne.
La deuxième erreur consiste à dire que la fracture entre Tripoli et Tobrouk serait impossible à résorber, il n'en est rien, nous en avons eu la confirmation à Tunis, où a été délocalisée notre ambassade pour la Libye, en rencontrant des parlementaires des diverses parties. Il y a des dissensions certes, mais ce n'est pas la guerre meurtrière qu'on nous décrit.
La dernière idée fausse est que la mission menée par Bernardino Leon tournerait en rond. Or, nous avons le sentiment inverse. Depuis quelques mois, il a mené un remarquable et patient travail de dialogue, de tissage de liens. Il est sur le point de parvenir à faire signer la quatrième – et dernière selon lui – version de l'accord. Les trois premières versions avaient été rejetées par l'autre partie, Cette dernière mouture ne satisferait pas entièrement Tobrouk, qui reprocherait à Bernardino Leon d'avoir accordé trop de pouvoir au Conseil d'Etat, sorte de seconde chambre. La différence entre les versions étant marginales, nous ne sommes pas loin d'un accord. Il y a une vraie conjonction de forces, en interne, avec l'émergence de Daech, et en externe, car l'ensemble de la communauté internationale y invite les parties, pour que cet accord soit signé.
Tous les pays voisins que nous avons visités n'ont pas la même lecture de la crise, ainsi l'Algérie nous a rappelé tout le mal qu'elle pensait des conditions de l'intervention de 2011. Mais tous savent et disent qu'un accord politique est la seule voie vers la paix civile, mais aussi le seul moyen de lutter contre l'avancée de Daesh.
Il y a cependant une divergence sur le degré d'inclusion que doit atteindre le gouvernement d'union nationale. La Tunisie, comme elle a su le faire au plan national, prône un dialogue politique largement inclusif, au motif qu'il est préférable d'intégrer que de marginaliser une partie de la population, ce que les autorités tunisiennes ont fait avec Enahda. En revanche, l'Egypte est plus fermée à l'inclusion de l'islam politique. Tobrouk est soutenu par l'Egypte et l'Arabie saoudite, au nom de la légitimité qui lui a été conférée par les élections, cette légitimité est cependant fragile, ne serait-ce que parce que le mandat des parlementaires arrive à échéance en octobre. De l'autre côté, le camp de Tripoli trouve un soutien dans le Qatar et la Turquie. Il semblerait, nous a-t-on dit, que le Qatar ait infléchi ses positions, à la différence de la Turquie.
Le pari difficile de Bernardino Leon est d'inclure des Misrati dans l'accord, ce qui semble être assuré, mais aussi des groupes de Tripoli qu'il faut convaincre de rallier la voie politique.
Enfin, et dans l'hypothèse probable où un gouvernement d'union nationale serait formé, les ennuis ne feraient que commencer. La Libye est un pays éclaté, que se partagent quelques grandes familles depuis des décennies, mais aussi des centaines de milices armées qui contrôlent des villes, parfois seulement des quartiers. Le pays est aussi surarmé, 6 millions d'habitants et 20 millions d'armes. C'est enfin un pays sans Etat, car c'est le clan de Khadafi qui gouvernait la Libye, toutes les institutions, que ce soit l'administration ou l'armée, sont inexistantes.
La prochaine étape importante des négociations aura lieu les 24 et 25 juin. Il faut d'ores et déjà penser au jour d'après, à la sécurisation de l'accord. La communauté internationale ne doit pas ménager son soutien à la sécurité des institutions et de la vie quotidienne. Si le Premier ministre peut être pris en otage par une quelconque milice, il n'y aura pas de stabilisation durable du pays.
Notre mission va donc continuer de suivre le sujet avec la plus grande attention, mais je conclurai en disant que nous sommes revenus de cette mission moins pessimistes que nous étions partis.
Nos collègues ont bien résumé ce que nous avons vécu et ressenti pendant ces deux missions successives.
J'ai d'abord été troublé par l'extraordinaire inculture politique de la Libye, faute de transition démocratique depuis la décolonisation. Les représentants de ce pays ne comprennent pas toujours les termes des accords qui leur sont proposés, ce qui explique certaines réactions abruptes et une partie des difficultés à avancer.
On constate aussi que les affaires continuent même si la situation générale se dégrade. Le trafic d'armes se poursuit, en particulier vers le Sahel, de même que le trafic d'êtres humains, dont nous avons eu des échos parfois très étranges. Certains parlementaires libyens justifient totalement ce trafic au motif qu'il s'agit d'une tradition ancestrale et que ce serait finalement assez relatif et anodin. Il y a pourtant presque autant de morts dans les naufrages en Méditerranée que dans les déserts à la périphérie de la Libye. Les trafiquants n'hésitent pas à abandonner ceux qui ne leur rapporteront pas assez d'argent à l'occasion des reventes successives qui se déroulent.
Nous ne devons pas rester, en Occident, de simples observateurs. Nous devons aussi jouer un rôle d'accompagnement de la solution politique en Libye.
En ce qui concerne les « parrains » évoqués par Jean Glavany et Nicole Ameline, j'ai surtout été étonné par l'extrême fragilité de la Tunisie. Nous avons rencontré des officiels tunisiens qui ont insisté, à mots couverts, sur l'urgence d'un soutien fort, en particulier de l'Union européenne. La Tunisie est en contact direct avec ce trou noir qu'est devenue la Libye sur la carte de l'Afrique. S'il n'y a pas très vite un redémarrage économique dont les effets soient perceptibles, notamment en termes d'emploi pour la jeunesse, les difficultés vont se propager.
En ce qui concerne l'Algérie, je n'ai pas senti, lors de l'entretien que nous avons eu avec le ministre des affaires étrangères de ce pays, une extrême volonté d'agir et d'accompagner un accord international, mais plutôt une attitude défensive consistant en des mouvements de troupes aux frontières et une politique d'endiguement. Est-ce une impression trompeuse ou une réalité ? Nous pourrons le vérifier dans les prochaines semaines. La question est d'importance car rien ne se passera d'utile sans une forte participation de l'Algérie. L'Egypte, en revanche, est dynamique.
Je dois dire que je n'ai pas eu la même impression lundi dernier en Algérie. J'ai senti au niveau du Gouvernement et des parlementaires une volonté d'aboutir absolument à un accord. Ce que les Algériens rejettent, c'est une intervention militaire. Ils demeurent également réservés à l'égard de toute forme d'intervention extérieure. Mais ils ont pris leurs responsabilités et j'ai eu le sentiment qu'ils sont extrêmement conscients de l'importance et de l'urgence d'un accord.
Je partage le relatif optimisme exprimé par Nicole Ameline et Jean Glavany. Il me semble en effet que les points de vue se sont rapprochés autour de l'initiative de Bernardino León. Le Gouvernement de Tobrouk étant légitime jusqu'à l'automne, y a-t-il des arrière-pensées et une volonté de jouer la montre ? Nous le verrons bien.
Pour être passé en Libye en compagnie de Jean Glavany, il y a quelque temps, je voudrais ajouter qu'il y a deux « hiatus », si je puis m'exprimer ainsi.
Tout d'abord, on peut aboutir à un accord politique entre des Libyens appartenant à une certaine classe politique, et c'est probablement ce qui va se passer, mais le problème est que ces acteurs ne parviendront pas à contrôler toutes les milices qui règnent dans le pays. Les gouvernements précédents sont tombés pour cette raison. Un Premier ministre a même été pris en otage. Je m'interroge sur la force militaire interne qui pourrait remettre de l'ordre.
Ensuite, il n'y a pas d'Etat en Libye, le clan Kadhafi ayant tué tous les services publics. Ne pourrait-on pas imaginer une aide massive de la communauté internationale et de l'Organisation de l'Unité africaine, sur le fondement d'une décision du Conseil de sécurité, afin de structurer le pays ? Sans revenir à l'époque des mandats, je rappelle que le Kosovo a été pris en charge. L'Union européenne a fait le travail, avec les autorités locales, car il ne faut pas aller contre elles. Avec des peuples extrêmement fiers, toute intervention extérieure est vouée à l'échec.
Selon les informations dont je dispose, certains parrains jouent les apprentis sorciers. Je pense en particulier aux livraisons d'armes à Daech par la Turquie. Je le dis publiquement car il faudra bien un jour que les masques tombent ! On me dit qu'il y a des livraisons directes d'armes, achetées en Ukraine, à des milices pro-Daech ou franchisées. Si tout cela continue, cette région ne connaîtra jamais la paix. Il faut donc engager une démarche diplomatique forte à l'égard d'Ankara.
Je garderai toujours le souvenir d'une audition surréaliste de cette mission d'information, celle de Bernard-Henri Lévy. Quand il nous a annoncé à la fin de cette réunion qu'il voulait retourner en Libye, je me suis dit que nous n'étions pas loin de la catastrophe.
Je souhaiterais que le rapport de nos collègues évoque la révolution libyenne et l'intervention militaire franco-britannique qui s'est alors déroulée. Sinon, on ne peut pas analyser la situation actuelle, qui est ou a été une forme de chaos. J'espère que Jean Glavany me pardonnera, mais il suffit d'en parler dans les pays de la région pour s'en convaincre.
Axel Poniatowski qualifiait tout à l'heure de « honteux » un accord international ; pour moi, la honte est l'intervention militaire franco-britannique en Libye. Le mandat confié par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies a été complètement transgressé en quelques semaines, ce qui a d'ailleurs provoqué la fureur de la Russie et de la Chine.
Je ne doute pas de la qualité exceptionnelle du travail réalisé par Bernardino León. Les premiers résultats ont été évoqués tout à l'heure avec exactitude. Compte tenu de la nature et de l'histoire de ce pays, qui n'est pas un Etat, je suis toutefois moins optimiste que nos collègues. Je ne vois pas se dessiner de solution durable. Mais raison de plus pour s'atteler à la tâche et pour pousser la communauté internationale à aller plus loin !
Quelles informations pouvez-vous nous donner sur la question des flux migratoires ? Comment le chaos libyen influe-t-il sur eux ? Qu'en est-il de la demande qui a été faite à l'ONU de pouvoir intervenir dans les eaux libyennes pour détruire les bateaux des passeurs ?
Votre mission est passionnante et s'attaque à une question très compliquée. Comment pouvons-nous aider à construire un Etat organisé à partir du système tribal actuel ? Comment pouvons-nous y diffuser nos valeurs ? S'agissant du surarmement des Libyens, comment y remédier et d'où vient-il ?
Pourrait-on mieux contrôler les frontières ? Vous nous avez dit que la Tunisie et l'Egypte s'impliquaient aux côtés de la Libye. Qu'en est-il de l'Algérie, du Tchad et du Soudan ? Existe-t-il une politique de voisinage qui permettrait d'accompagner la Libye ?
Sur l'engagement de l'Algérie, je ne suis pas tout à fait d'accord avec Philippe Baumel : le ministre algérien Abdelkader Messahel, m'a certes paru préoccupé avant tout par les questions sécuritaires et est revenu sur l'intervention de 2011, mais il m'a aussi paru disponible pour une coopération sécuritaire avec un éventuel nouveau gouvernement libyen.
Comme l'observe Jacques Myard, la mise en place de forces permettant d'accompagner la reconstruction de l'État libyen est un enjeu déterminant. J'ai dit que j'étais optimiste, mais cela concerne surtout la capacité de Bernardino Leon à obtenir à court terme un accord politique pour mettre en place un gouvernement. Ensuite, il est clair que les vrais difficultés commenceront et il y aura une question très délicate, c'est celle dont la communauté internationale pourra aider ce gouvernement. J'ajouterai quand même que les équipes de Bernardino Leon travaillent sur toutes les questions, y compris celle -là.
À François Loncle, je répondrai que nous parlerons de l'intervention de 2011 en nous plaçant dans un esprit de consensus républicain. À gauche, certains étaient contre cette intervention, mais d‘autres y étaient favorables. Elle a eu au moins le mérite d'éviter le carnage à Benghazi, mais a clairement deux aspects négatifs : d'abord, le mandat de l'ONU a clairement été « tordu » ; ensuite, il n'y a pas eu de suivi politique et sécuritaire, alors qu'il aurait évidemment fallu un tel suivi. C'est dommage, car des plans de cette nature étaient en fait prêts, mais la communauté internationale n'a pas alors trouvé le moyen de les imposer aux Libyens, qui n'en voulaient pas.
S'agissant des flux migratoires, il faut souligner qu'il n'y a pas un seul Libyen parmi les migrants. La Libye est seulement un lieu de transit, vers lequel le trafic qui passait par exemple par Gibraltar s'est détourné, parce qu'il n'y a plus aucun contrôle. La Libye est devenue la terre de tous les trafics – pas seulement de celui des êtres humains –, avec une mafia qui exploite les migrants en les enfermant et les faisant travailler avant de les faire passer. D'après ce que l'on dit, il est bien possible que certaines mafias européennes participent aussi à ce trafic des êtres humains. Pour lutter contre lui, il faut absolument parvenir à reconstituer un Etat libyen car une autre option n'est pas possible : la seule chose qui unirait tous les Libyens contre elle, ce serait une éventuelle intervention étrangère ; cela nous est apparu clairement quand le sujet a été évoqué.
J'insisterai surtout sur un point : il faut que des initiatives soient prises dans les jours qui viennent ; la France, l'Union européenne, la communauté internationale doivent s'engager, car s'il n'y a pas d'accord ce sera la destruction de la Libye.
Le projet d'accord qui a été préparé – le 4ème draft – est intelligent. Nous allons mettre ce document à votre disposition.
Je crois aussi qu'il y a dans cette affaire une opportunité pour l'Union européenne de recréer un partenariat stratégique avec cette région et ses organisations régionales. L'immigration en particulier doit être vue dans une perspective beaucoup plus large de partenariat et de solidarité. C'est un moment historique.
Je remercie Jean Glavany, Nicole Ameline et Philippe Baumel pour leurs contributions. Je me félicite de ce que grâce à Bernardino Leon nous ayons un consensus sur la nécessité d'un accord politique. Mais, après celui-ci, tout restera à faire pour reconstruire l'État.
Examen du projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Afrique du Sud, d'autre part, modifiant l'accord sur le commerce, le développement et la coopération (n° 1239) – M. Jean Glavany, rapporteur.
Enfin, nous terminons avec l'examen, sur le rapport de M. Jean Glavany, du projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et l'Afrique du Sud, d'autre part, modifiant l'accord sur le commerce, le développement et la coopération.
Je vous présente un rapport entre la Communauté européenne, ses Etats membres et l'Afrique du Sud, très vaste, sur le commerce, le développement et la coopération. Je serai très bref en faisant l'historique pour rappeler que c'est depuis la fin de l'apartheid, en 1994, les relations entre l'Europe et l'Afrique du Sud se sont structurées et considérablement développées. Avant cela, il s'agissait de relations au coup par coup, dans un contexte de boycott. Les choses ont commencé de changer dès la fin de l'apartheid. Il y a eu un premier accord cadre en 1999, qui est l'accord de base, sur le commerce, le développement et la coopération et les relations n'ont cessé depuis de s'améliorer entre toutes les parties. En 2007, un partenariat stratégique a été signé entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud, et en 2009, un nouvel accord est venu modifier, compléter et enrichir celui de 1999, sur les sujets les plus divers.
Pour aller vite, je dirai que cet accord porte ses fruits, parfois de manière spectaculaire : les échanges ont crû de 50 % entre l'Afrique du Sud et l'UE depuis 1999. 95 % des exportations sud-africaines sont en libre accès, tout comme 86 % des exportations européennes. Dans le domaine de la sécurité, la coopération a été particulièrement fructueuse, pour des raisons politiques de fond : le régime de 1994 a rompu avec le programme nucléaire antérieur et a signé tous les traités de non-prolifération, en manifestation de sa bonne volonté. Cela a contribué à permettre des relations plus profondes en matière de sécurité avec l'ensemble des pays de l'UE. Il reste des progrès à faire dans le domaine de la santé, où la coopération est au demeurant assez développée. L'Afrique du Sud a perdu beaucoup de temps dans le traitement du VIH notamment, à cause en grande partie de l'attitude irresponsable de l'ancien président Thabo Mbeki, pour des raisons purement idéologiques, attitude qui avait d'ailleurs conduit Nelson Mandela à s'autoriser la seule intervention publique après son départ de la présidence. Il avait manifesté son désaccord pour essayer de faire bouger les choses. C'est le cas désormais, mais les chiffres restent encore très mauvais, même s'ils s'améliorent.
Au plan bilatéral, les relations entre la France et l'Afrique du Sud sont bonnes. Au plan économique, Alstom a signé un énorme contrat de quelque 4 Mds€ pour 3 600 wagons de chemin de fer. Contrairement à ce que l'on peut lire dans la presse, la France n'est pas du tout hors-jeu dans le nucléaire : l'Afrique du Sud a d'énormes problèmes énergétiques, qui se traduisent par des délestages fréquents, ce qui pose problème pour son développement économique. De ce fait, les ambitions du programme nucléaire civil sont importantes. Les articles parus il y a quelques mois indiquant que la France était hors-course sont erronés et rien n'est encore perdu.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1239)
La séance est levée à onze heures quinze.