Intervention de Jean Glavany

Réunion du 17 juin 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany, rapporteur :

J'aimerais revenir sur trois contre-vérités largement relayées par certains médias. La première voudrait qu'en Libye règne le plus grand des chaos. Ce n'est pas vrai, du moins ce n'est pas vrai partout. La vie de déroule normalement, même dans certains quartiers de Tripoli. Il y a une ligne intérieure entre Tobrouk et Tripoli, qui fonctionne.

La deuxième erreur consiste à dire que la fracture entre Tripoli et Tobrouk serait impossible à résorber, il n'en est rien, nous en avons eu la confirmation à Tunis, où a été délocalisée notre ambassade pour la Libye, en rencontrant des parlementaires des diverses parties. Il y a des dissensions certes, mais ce n'est pas la guerre meurtrière qu'on nous décrit.

La dernière idée fausse est que la mission menée par Bernardino Leon tournerait en rond. Or, nous avons le sentiment inverse. Depuis quelques mois, il a mené un remarquable et patient travail de dialogue, de tissage de liens. Il est sur le point de parvenir à faire signer la quatrième – et dernière selon lui – version de l'accord. Les trois premières versions avaient été rejetées par l'autre partie, Cette dernière mouture ne satisferait pas entièrement Tobrouk, qui reprocherait à Bernardino Leon d'avoir accordé trop de pouvoir au Conseil d'Etat, sorte de seconde chambre. La différence entre les versions étant marginales, nous ne sommes pas loin d'un accord. Il y a une vraie conjonction de forces, en interne, avec l'émergence de Daech, et en externe, car l'ensemble de la communauté internationale y invite les parties, pour que cet accord soit signé.

Tous les pays voisins que nous avons visités n'ont pas la même lecture de la crise, ainsi l'Algérie nous a rappelé tout le mal qu'elle pensait des conditions de l'intervention de 2011. Mais tous savent et disent qu'un accord politique est la seule voie vers la paix civile, mais aussi le seul moyen de lutter contre l'avancée de Daesh.

Il y a cependant une divergence sur le degré d'inclusion que doit atteindre le gouvernement d'union nationale. La Tunisie, comme elle a su le faire au plan national, prône un dialogue politique largement inclusif, au motif qu'il est préférable d'intégrer que de marginaliser une partie de la population, ce que les autorités tunisiennes ont fait avec Enahda. En revanche, l'Egypte est plus fermée à l'inclusion de l'islam politique. Tobrouk est soutenu par l'Egypte et l'Arabie saoudite, au nom de la légitimité qui lui a été conférée par les élections, cette légitimité est cependant fragile, ne serait-ce que parce que le mandat des parlementaires arrive à échéance en octobre. De l'autre côté, le camp de Tripoli trouve un soutien dans le Qatar et la Turquie. Il semblerait, nous a-t-on dit, que le Qatar ait infléchi ses positions, à la différence de la Turquie.

Le pari difficile de Bernardino Leon est d'inclure des Misrati dans l'accord, ce qui semble être assuré, mais aussi des groupes de Tripoli qu'il faut convaincre de rallier la voie politique.

Enfin, et dans l'hypothèse probable où un gouvernement d'union nationale serait formé, les ennuis ne feraient que commencer. La Libye est un pays éclaté, que se partagent quelques grandes familles depuis des décennies, mais aussi des centaines de milices armées qui contrôlent des villes, parfois seulement des quartiers. Le pays est aussi surarmé, 6 millions d'habitants et 20 millions d'armes. C'est enfin un pays sans Etat, car c'est le clan de Khadafi qui gouvernait la Libye, toutes les institutions, que ce soit l'administration ou l'armée, sont inexistantes.

La prochaine étape importante des négociations aura lieu les 24 et 25 juin. Il faut d'ores et déjà penser au jour d'après, à la sécurisation de l'accord. La communauté internationale ne doit pas ménager son soutien à la sécurité des institutions et de la vie quotidienne. Si le Premier ministre peut être pris en otage par une quelconque milice, il n'y aura pas de stabilisation durable du pays.

Notre mission va donc continuer de suivre le sujet avec la plus grande attention, mais je conclurai en disant que nous sommes revenus de cette mission moins pessimistes que nous étions partis.

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