Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 3 juin 2015 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière :

Je vous remercie pour votre invitation que j'ai acceptée avec grand plaisir. Vous avez bien voulu souligner ma disponibilité. Je précise qu'elle vaut pour tous les pays européens même si ma présence ici a une saveur particulière. Je considère que le dialogue avec les parlements nationaux – dont je salue le rôle, appelé à s'accroître, sur les questions européennes – fait partie des tâches des commissaires.

Nous avons franchi mi-mai l'une des étapes du semestre européen, séquence bien connue des parlementaires nationaux, avec la publication des recommandations spécifiques par pays.

Je souhaite d'abord rappeler l'objectif politique de l'exercice du semestre européen qui est parfois occulté par la procédure elle-même. Cet exercice qui consiste à coordonner la politique économique et budgétaire des États a pour but de faciliter la convergence des économies, convergence réclamée par la France depuis la création de l'euro.

La Commission n'a pas pour ambition de propager une vérité révélée auprès des États membres mais de rallier les États à une lecture d'objectifs économiques partagés pour le bien commun du pôle économique décisif dans le monde que nous formons collectivement. Cette approche, que la commission Juncker a faite sienne, est plus à même de produire des résultats économiques et de l'adhésion politique.

Sur la conjoncture économique qui constitue la toile de fond des recommandations de la Commission, je note une bonne nouvelle et un risque.

La bonne nouvelle, l'Europe connaît un printemps économique : pour la première fois depuis 2007, les économies de tous les États membres, à l'exception de Chypre, devraient renouer avec la croissance. Celle-ci devrait être en 2015 de 1,8 % dans l'Union et 1,5 % dans la zone euro et, en 2016, respectivement de 2,1 % et 1,9 %. Vous noterez que l'écart entre la zone euro et l'Union, creusé par les efforts d'assainissement exigés par la discipline de la zone euro, se réduit. La consolidation budgétaire a produit l'essentiel de ses résultats. La contribution de la réduction des déficits à la croissance est désormais neutre alors qu'elle a été négative dans les années précédentes. La dernière revue trimestrielle sur l'emploi et la situation sociale révèle une baisse constante du chômage, bien que trop lente, notamment du chômage des jeunes et de longue durée.

En France, le rebond est plus ferme que prévu. La croissance de 0,6 %, prévue pour le premier trimestre 2015, sera la plus importante depuis 2013 mais son contenu en emplois reste encore trop faible. Il faut sans doute s'interroger sur les causes de cette faiblesse : une croissance insuffisante, le besoin de temps pour que la croissance influe sur l'emploi, un modèle de création d'emplois inadapté. Je me garderai ici de me prononcer sur ces trois hypothèses.

Le risque est que cette reprise ne dure qu'une saison. Je préfère les quatre saisons de la reprise au printemps de la croissance. L'embellie que nous connaissons pourrait décourager l'élan réformateur de certains États membres. Un danger nous guette, que les gouvernements prennent l'excuse de la reprise pour relâcher les efforts d'assainissement budgétaire et de modernisation des structures économiques. Il serait pourtant erroné de se croire tirés d'affaire et de céder à la facilité. Il faut au contraire utiliser les marges de manoeuvre dégagées par la reprise pour réformer ce qui n'a pas pu l'être dans un climat moins favorable. Il est plus facile et plus efficace de faire des réformes en période de reprise, que dans une période cyclique basse. J'ajoute qu'une reprise cyclique, par définition, finit toujours par se retourner. Si cette période n'a pas été mise à profit pour faire des réformes favorisant une croissance potentielle plus forte et durable, les États se retrouvent démunis lors du retournement.

Il est d'autant plus important de maintenir le cap des réformes que l'accélération de la reprise est portée par des vents arrière : le taux de change de l'euro favorable aux exportations, les prix bas du pétrole, l'effet du programme d'assouplissement quantitatif – QE – mis en place par la Banque centrale européenne (BCE). Les moteurs endogènes – l'effort massif de réduction des déficits, des réformes structurelles très importantes – ne sont pas encore assez puissants pour prendre le relais de ces moteurs exogènes.

Il faut avoir à l'esprit ce contexte macroéconomique pour examiner les recommandations que la Commission a adressées à la France. Mon objectif est que la France soit en mesure de contribuer à l'agenda européen de croissance et d'emploi promu par Jean-Claude Juncker.

Un mot sur la méthode. Une novation a été introduite cette année qui traduit peut-être un nouvel état d'esprit de la Commission : la Commission s'est appuyée sur un horizon partagé, affermir la croissance et renouer avec l'emploi. Nous ne plaidons pas pour des politiques d'austérité mais pour des politiques sérieuses. Notre action est guidée par un objectif : accompagner la reprise de la croissance et la création d'emplois. Les politiques que nous menons ne doivent en aucun cas casser ou abîmer la reprise de la croissance. Cette philosophie de la commission Juncker l'amène à se concentrer sur quelques priorités. Les inventaires à la Prévert sont très agaçants pour les gouvernements, j'en ai fait l'expérience. La Commission privilégie les choix stratégiques, abandonnant les recommandations trop détaillées qui ne sont pas utiles.

La Commission ne donne pas une liste de devoirs à faire. Elle cherche à identifier les points sur lesquels chaque pays peut faire plus ; elle s'efforce de lui donner toute sa place dans le redressement économique européen. Avec cette nouvelle approche, les rôles sont mieux répartis : à la Commission, la détermination des fins et objectifs communs ainsi que la coordination à l'échelle du continent ; aux États membres, le choix des moyens, en toute autonomie et dans le respect de leur champ démocratique interne. Je n'ai pas changé d'avis sur ce point en devenant commissaire, je l'avais dit à mon prédécesseur, les États doivent conserver une souveraineté dans le choix des moyens qu'ils emploient. Il faut sortir de la dynamique binaire qui a souvent prévalu entre prescription et opposition, entre réprimande et résistance. La Commission préfère la conviction à la punition. Je suis convaincu que cette démarche favorisera l'appropriation – quelque peu défaillante aujourd'hui – par les États des recommandations de la Commission. La mesure du suivi des recommandations est peu convaincante mais les chiffres sont très faibles, aux alentours de 15 %. On peut faire beaucoup mieux.

En réponse à M. Carrez et Mme Guigou, la Commission ne s'est pas prononcée sur la procédure pour déficit excessif parce que la recommandation adressée à la France le 10 mars dernier lui octroyait un délai de trois mois, jusqu'au 10 juin, pour présenter son rapport. Ce délai nous a permis de travailler ensemble. Pour la France, il s'agit de préciser sa stratégie de redressement des comptes pour 2015 et 2016. Pour la Commission, il s'agit d'établir si les mesures nécessaires – 0,5 point de PIB d'effort structurel en 2015 – ont été adoptées.

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur le rapport de la Cour des comptes, que je respecte à plus d'un titre.

La Commission évalue l'ensemble des comptes publics et prend en compte l'évolution des déficits nominaux et des déficits structurels selon des règles connues. Selon ces règles, quand les déficits nominaux ne sont pas réduits de manière suffisante, il faut examiner les déficits structurels ; à l'inverse, si le déficit nominal est satisfaisant, il prime sur le déficit structurel. Les sanctions peuvent intervenir lorsque ni le déficit nominal, ni le déficit structurel ne sont conformes aux exigences.

Au cours des années passées, la Commission a toujours reconnu l'action effective de la France. Nous allons l'évaluer pour 2015. Nos prévisions tablent sur un déficit de 3,8 % en 2015 là où notre recommandation ciblait 4 %. Ce sont les résultats qui compteront. J'ajoute que nous nous intéresserons aussi à 2016 et 2017. La Commission sera ensuite amenée, dans le cadre de la prochaine étape du semestre européen, à examiner l'avant-projet de budget pour 2016.

S'agissant des réformes, les recommandations prennent la mesure des progrès accomplis. Elles citent plusieurs réformes en cours et proposent des voies d'approfondissement dans une double optique d'exigence et d'accompagnement. En février dernier, certains avaient émis des doutes sur la conduite des réformes en France. Depuis, le dialogue a été assez fructueux. La Commission considère que le programme national de réforme soumis par la France est plus convaincant que par le passé. Mais les exigences européennes demeurent élevées à l'égard de la deuxième économie de la zone euro. La Commission a ainsi identifié six domaines d'action prioritaires : la poursuite de la correction durable des déficits publics, la maîtrise des dépenses, la montée en puissance des économies, la poursuite des efforts pour créer un environnement favorable au facteur travail, l'amélioration du climat des affaires en se concentrant particulièrement sur les barrières réglementaires qui peuvent fausser la concurrence, l'amélioration de l'efficacité du système fiscal ainsi que de l'environnement juridique du marché du travail dont la segmentation s'enracine et les entrées en CDI sont insuffisantes .

La Commission invite donc la France à poursuivre dans les voies qu'elle a déjà tracées – réforme des retraites, pacte de responsabilité, simplification administrative, accords de maintien de l'emploi. Dans certains cas, la Commission recommande d'aller plus loin tout en laissant à la France le choix des moyens, notamment pour les conditions de formation des salaires ou en matière de fiscalité. Enfin, je m'inquiète de l'accès au CDI ; le marché du travail trop segmenté pèse sur le dynamisme économique et la cohésion sociale.

Le travail avec la France ces derniers mois a été fructueux : l'amélioration de la situation budgétaire est effective, le programme national de réforme est plus convaincant mais le degré d'exigence de la Commission demeure important à l'égard d'une économie centrale pour la zone euro et dont l'attitude est décisive pour la cohésion de la zone euro et pour son avenir.

Deuxième sujet, la Grèce. Pour résumer, le degré de volonté politique déterminera la suite des événements.

Nous avons connu trois phases dans les relations avec le gouvernement grec : une première phase de tâtonnement au cours de laquelle un accord fixant une feuille de route est intervenu au sein de l'Eurogroupe en février. Mais les négociations n'ont pas été engagées de façon convaincante ; la réunion de l'Eurogroupe à Riga fut l'occasion de dresser un constat d'échec. S'en est suivie une deuxième phase au cours de laquelle nous avons assisté à un changement de méthode de négociation et d'interlocuteurs – les négociations au sein du groupe de Bruxelles ont été prises en main directement par le Premier ministre. Depuis quatre semaines, nous avons enregistré plus de progrès que dans les trois mois précédents. Nous avons commencé à aborder des sujets de fond. Ceux qui prétendent que rien n'est fait dans les discussions techniques se trompent ; ceux qui disent que tout est fait se trompent aussi. Nous sommes passés aujourd'hui à la troisième phase qui est nécessaire, la phase politique au sommet. La rencontre à Berlin entre le président français, la chancelière allemande et les dirigeants des trois institutions – Commission, FMI, BCE – en témoigne. Ce soir, Jean-Claude Juncker présentera à Alexis Tsipras, en présence du président de l'Eurogroupe, l'offre commune des institutions qui est soutenue par la France et l'Allemagne.

Nous avons enregistré des avancées réelles sur certains sujets : la TVA, la création d'une agence indépendante en matière de perception des revenus, la modernisation de l'administration. Mais il reste certaines questions lourdes : les retraites et le marché du travail.

Nous devons convaincre les autorités grecques d'accepter cet accord, exigeant certes mais qui n'en vise pas moins à assurer l'avenir de la Grèce dans la zone euro et la prospérité pour le peuple grec. Si ce paquet demande encore des efforts, parfois importants et qui ont été reportés par les gouvernements précédents, il comporte aussi des changements : les plus démunis, qui ont déjà payé un très lourd tribut pendant la crise économique, ne doivent plus être les seuls à supporter les efforts.

Face à une perte de revenus considérable, un taux de chômage incroyable – 25 %, plus de 50 % chez les jeunes – et une pauvreté accrue, le gouvernent grec doit être à même de réaliser des programmes sociaux pour accompagner sa politique, parallèlement à la modernisation de l'État et à une plus grande justice fiscale.

Il ne s'agit pas de dire aux Grecs « take it or leave it ». Nous sommes dans un vrai dialogue avec l'idée d'aboutir rapidement à un accord. Je partage l'avis du Président de la République qui considère qu'un accord est possible et nécessaire.Cet accord doit faire en sorte que les choix démocratiques du peuple grec soient respectés mais aussi que la Grèce respecte l'Union européenne.

En réponse à votre question, madame la présidente, la Commission ne considère pas d'autre possibilité qu'un accord. Il n'y a pas de plan B car, d'expérience, je sais que ce type de plan surgit lorsque l'on ne croit pas au plan A. Ma conviction est que la place de la Grèce est dans la zone euro, sauf à vouloir remettre en cause l'intégrité et l'irréversibilité qui caractérise la monnaie unique. Voilà pourquoi nous devons trouver maintenant un accord.

Troisième sujet, la fiscalité. J'élabore actuellement un plan d'action pour une imposition plus juste des sociétés en Europe, mêlant initiatives législatives et recommandations, et qui devrait être finalisé le 17 juin. Mes priorités en matière fiscale sont au nombre de trois : en premier lieu, la transparence. Nous avons franchi une première étape avec la proposition de directive sur le tax ruling et l'échange automatique d'informations pour laquelle j'espère une application dès le 1er janvier 2016. Il s'agit de remédier aux pratiques de planification fiscale agressive et d'optimisation excessive des multinationales. Nos concitoyens ne le supportent plus ; ils ont été sollicités pendant la crise pour réduire les déficits ; ils se sont comportés en citoyens ; les grandes entreprises multinationales doivent en faire de même. Pour ce faire, il convient de supprimer les trous dans la réglementation qui créent des effets d'aubaine. Nous irons plus loin en matière de transparence : nous allons lancer une étude d'impact et des consultations publiques sur le country by country reporting. L'idée centrale de ce plan est l'imposition effective des profits là où ils sont générés.

Deuxième priorité, la compétitivité. Je souhaite revoir le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) dont l'objectif est de définir un ensemble de règles uniques pour la détermination du régime imposable. L'idée serait qu'à terme, un seul régime s'applique au sein de l'Union pour calculer le résultat imposable, ce qui représenterait pour les entreprises travaillant dans plusieurs pays des économies de gestion qui seront autant d'opportunités d'investissements supplémentaires. Ce projet est sur la table depuis 2011, je n'ai pas l'intention de le reprendre en l'état car les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.

Troisième priorité, la taxe sur les transactions financières. Alors que celle-ci fait l'objet d'une coopération renforcée entre onze États membres, que j'avais réclamée en son temps avec Wolfgang Schäuble, la Commission européenne est revenue à la table des négociations. C'est une bonne chose.

Le travail s'est intensifié depuis le début de l'année. La Commission apporte un accompagnent technique et politique. J'ai bon espoir et la volonté d'aboutir à un accord dans les prochaines semaines ou les prochains mois sur la mise en place d'une taxe applicable un an plus tard. Mon espoir est fondé sur le fait que le champ des possibles s'est réduit en passant de vingt-quatre options à trois. La négociation finale peut maintenant commencer sur des bases plus solides.

Un dernier mot sur l'union économique et monétaire. Nous sommes dans l'attente du rapport des quatre présidents – qui sont en réalité au nombre de cinq avec le président du Parlement européen – qui doit être soumis au prochain Conseil européen. Je souhaite qu'il contienne des propositions ambitieuses et que le Conseil se les approprie pour lancer un processus d'intégration économique et politique de la zone euro. Je ne me prononcerai pas à ce stade sur la nécessité d'une Europe à deux vitesses mais il est souhaitable de donner une importance prioritaire à l'intégration de la zone euro. Sur l'avenir du two-pack et six-pack, les informations dont je dispose ne sont pas très positives. Il n'est pas certain que le rapport de Mme Berès sur la révision de ces instruments puisse être présenté au Parlement européen la semaine prochaine faute d'accord.

Je l'ai déjà dit, à titre personnel, je suis favorable à une capacité budgétaire et financière de la zone euro ainsi qu'à une présidence permanente de l'Eurogroupe. Je crois également que les parlementaires qui ont en commun la monnaie unique devront s'organiser au sein du Parlement européen.

L'une des ambitions de la Commission est de favoriser un dialogue de meilleure qualité entre le niveau communautaire et le niveau national. Cela passe par des échanges plus structurés et plus fournis en amont avec les autorités de chaque pays et par des discussions avec les parlementaires nationaux.

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