Audition, ouverte à la presse et commune avec la commission des affaires européennes et la commission des finances, de M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière
La séance est ouverte à dix-huit heures.
Monsieur le commissaire, je vous remercie de revenir devant nous.
Parmi les sujets qui s'imposent pour cette audition, je pense en premier lieu à l'état des discussions avec le gouvernement grec. Dans le cas d'un échec des négociations – que nous ne souhaitons pas – et d'un défaut de remboursement de la Grèce, quels sont les scénarios envisagés par la Commission ?
Les recommandations pour 2015-2016, adoptées par la Commission le 13 mai dernier, doivent être examinées par les ministres de l'Union européenne puis soumises au Conseil européen des 25 et 26 juin.
La trajectoire des finances publiques françaises est une question éminemment sensible. Le Conseil a laissé à la France un délai expirant le 10 juin pour prendre les mesures souhaitées par la Commission. Des efforts supplémentaires ont été programmés par le gouvernement français. Mais la pente du déficit structurel demeure un sujet de discussion ou de désaccord. Quelle est l'analyse de la Commission sur ce point ?
Celle-ci répète qu'il faut profiter de la reprise économique, aussi modeste soit-elle, pour mener d'autres réformes structurelles et favoriser l'investissement et l'emploi. Vous connaissez le débat qui agite cette enceinte : comment faire sans casser la reprise ?
Pouvez-vous également faire un point sur la mise en place du fonds européen pour les investissements stratégiques ?
La France et l'Allemagne ont soumis récemment une contribution commune proposant que la zone euro se dote d'un programme dans quatre domaines : la politique économique, la convergence économique, fiscale et sociale, la stabilité financière, et les investissements ainsi que la gouvernance de l'union monétaire. Parallèlement, le gouvernement espagnol a présenté un plan plaidant pour un transfert accru de compétences économiques et pour l'instauration d'une union budgétaire financée en partie par des obligations communes dans la zone euro. Quels progrès peut-on espérer sur les questions récurrentes que pose l'union économique, en particulier l'harmonisation fiscale et sociale ainsi que la transparence ?
Je tiens à mon tour à saluer votre disponibilité, monsieur le commissaire. Mes questions rejoignent celles posées par la présidente Élisabeth Guigou.
S'agissant des comptes de la France, qu'attendez-vous des mesures de redressement que notre pays doit présenter avant la fin de la semaine prochaine ?
Connaissant votre attachement à la Cour des comptes, que pensez-vous de son rapport sur l'exécution budgétaire en 2014, qui ne laisse pas d'inquiéter ? En effet, le déficit de l'État repart à la hausse pour la première fois depuis 2010, augmentant de 10,7 milliards d'euros. Dans le même temps, les recettes fiscales se portent très mal, accusant une moins-value de 10 milliards par rapport aux prévisions de la loi de finances. Enfin, les dépenses de l'État doivent leur maîtrise uniquement à la débudgétisation des programmes d'investissements d'avenir et à des reports de charges. Par conséquent, l'endettement de l'État, qui porte 80 % de la dette publique, croît de 71 milliards d'euros. Mais ce phénomène est masqué par un autre, proprement stupéfiant : les frais financiers payés par l'État diminuent de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2013.
Nous nous trouvons dans cette situation curieuse dans laquelle la dégradation objective des comptes de l'État est masquée par des taux d'intérêt très bas.
Au regard de ces informations nouvelles, comment la Commission apprécie-t-elle l'évolution des comptes publics en France ? Comment envisagez-vous l'échéance du 10 juin prochain ?
Nous sommes très heureux de vous recevoir car il est essentiel que notre assemblée entende régulièrement les commissaires compétents afin de se familiariser davantage avec le rythme du semestre européen.
Depuis la présentation des recommandations de la Commission, le FMI et l'ONU ont admis que le « tout austérité » avait plutôt produit des catastrophes en Europe. Partagez-vous cette appréciation ?
Le redressement économique de la zone euro est-il suffisant alors que la reprise paraît encore très fragile ? Quel est l'état des discussions sur le six-pack et le two-pack ? Votre récente communication sur la flexibilité offerte par le pacte de stabilité ouvre des perspectives intéressantes. À cet égard, une proposition de résolution européenne visant à une juste appréciation des efforts faits en matière de défense et d'investissements publics dans le calcul des déficits publics vient d'être examinée par la commission des affaires européennes et la commission des finances.
Alors que les quatre présidents doivent présenter au prochain Conseil européen leurs propositions pour améliorer le fonctionnement de la zone euro, quelles sont les pistes privilégiées aujourd'hui ? Que pensez-vous de la mise en place d'un budget propre à la zone euro, qui fait figure de serpent de mer ou de monstre du Loch Ness selon les inclinations ?
Quel est le calendrier en matière de lutte contre la fraude fiscale ? Parallèlement à la réflexion en cours au Parlement européen, j'ai cru comprendre que le groupe de travail de la Commission souhaitait prolonger ses travaux.
Enfin, à quelques mois de la COP21, peut-on espérer des avancées sur la taxe sur les transactions financières, véritable arlésienne de la politique européenne ? À l'approche de la conférence d'Addis-Abeba sur le financement du développement, si l'Europe reste muette sur la solidarité à travers cette taxe, il sera difficile de convaincre les pays du Sud de faire des efforts en matière de changement climatique.
Enfin, vous avez qualifié de plutôt fructueuses les négociations sur la Grèce. Peut-on espérer un accord et éviter la faillite de la Grèce qui serait préjudiciable à tous ? Vous avez souligné il y a quelques mois l'importance de sauver la face. En sommes-nous là ? Le déplacement de la commission des affaires européennes les 10 et 11 juin à Athènes pour rencontrer nos collègues du Parlement grec peut être l'occasion de vous aider à porter un message de fermeté et d'espoir.
Je vous remercie pour votre invitation que j'ai acceptée avec grand plaisir. Vous avez bien voulu souligner ma disponibilité. Je précise qu'elle vaut pour tous les pays européens même si ma présence ici a une saveur particulière. Je considère que le dialogue avec les parlements nationaux – dont je salue le rôle, appelé à s'accroître, sur les questions européennes – fait partie des tâches des commissaires.
Nous avons franchi mi-mai l'une des étapes du semestre européen, séquence bien connue des parlementaires nationaux, avec la publication des recommandations spécifiques par pays.
Je souhaite d'abord rappeler l'objectif politique de l'exercice du semestre européen qui est parfois occulté par la procédure elle-même. Cet exercice qui consiste à coordonner la politique économique et budgétaire des États a pour but de faciliter la convergence des économies, convergence réclamée par la France depuis la création de l'euro.
La Commission n'a pas pour ambition de propager une vérité révélée auprès des États membres mais de rallier les États à une lecture d'objectifs économiques partagés pour le bien commun du pôle économique décisif dans le monde que nous formons collectivement. Cette approche, que la commission Juncker a faite sienne, est plus à même de produire des résultats économiques et de l'adhésion politique.
Sur la conjoncture économique qui constitue la toile de fond des recommandations de la Commission, je note une bonne nouvelle et un risque.
La bonne nouvelle, l'Europe connaît un printemps économique : pour la première fois depuis 2007, les économies de tous les États membres, à l'exception de Chypre, devraient renouer avec la croissance. Celle-ci devrait être en 2015 de 1,8 % dans l'Union et 1,5 % dans la zone euro et, en 2016, respectivement de 2,1 % et 1,9 %. Vous noterez que l'écart entre la zone euro et l'Union, creusé par les efforts d'assainissement exigés par la discipline de la zone euro, se réduit. La consolidation budgétaire a produit l'essentiel de ses résultats. La contribution de la réduction des déficits à la croissance est désormais neutre alors qu'elle a été négative dans les années précédentes. La dernière revue trimestrielle sur l'emploi et la situation sociale révèle une baisse constante du chômage, bien que trop lente, notamment du chômage des jeunes et de longue durée.
En France, le rebond est plus ferme que prévu. La croissance de 0,6 %, prévue pour le premier trimestre 2015, sera la plus importante depuis 2013 mais son contenu en emplois reste encore trop faible. Il faut sans doute s'interroger sur les causes de cette faiblesse : une croissance insuffisante, le besoin de temps pour que la croissance influe sur l'emploi, un modèle de création d'emplois inadapté. Je me garderai ici de me prononcer sur ces trois hypothèses.
Le risque est que cette reprise ne dure qu'une saison. Je préfère les quatre saisons de la reprise au printemps de la croissance. L'embellie que nous connaissons pourrait décourager l'élan réformateur de certains États membres. Un danger nous guette, que les gouvernements prennent l'excuse de la reprise pour relâcher les efforts d'assainissement budgétaire et de modernisation des structures économiques. Il serait pourtant erroné de se croire tirés d'affaire et de céder à la facilité. Il faut au contraire utiliser les marges de manoeuvre dégagées par la reprise pour réformer ce qui n'a pas pu l'être dans un climat moins favorable. Il est plus facile et plus efficace de faire des réformes en période de reprise, que dans une période cyclique basse. J'ajoute qu'une reprise cyclique, par définition, finit toujours par se retourner. Si cette période n'a pas été mise à profit pour faire des réformes favorisant une croissance potentielle plus forte et durable, les États se retrouvent démunis lors du retournement.
Il est d'autant plus important de maintenir le cap des réformes que l'accélération de la reprise est portée par des vents arrière : le taux de change de l'euro favorable aux exportations, les prix bas du pétrole, l'effet du programme d'assouplissement quantitatif – QE – mis en place par la Banque centrale européenne (BCE). Les moteurs endogènes – l'effort massif de réduction des déficits, des réformes structurelles très importantes – ne sont pas encore assez puissants pour prendre le relais de ces moteurs exogènes.
Il faut avoir à l'esprit ce contexte macroéconomique pour examiner les recommandations que la Commission a adressées à la France. Mon objectif est que la France soit en mesure de contribuer à l'agenda européen de croissance et d'emploi promu par Jean-Claude Juncker.
Un mot sur la méthode. Une novation a été introduite cette année qui traduit peut-être un nouvel état d'esprit de la Commission : la Commission s'est appuyée sur un horizon partagé, affermir la croissance et renouer avec l'emploi. Nous ne plaidons pas pour des politiques d'austérité mais pour des politiques sérieuses. Notre action est guidée par un objectif : accompagner la reprise de la croissance et la création d'emplois. Les politiques que nous menons ne doivent en aucun cas casser ou abîmer la reprise de la croissance. Cette philosophie de la commission Juncker l'amène à se concentrer sur quelques priorités. Les inventaires à la Prévert sont très agaçants pour les gouvernements, j'en ai fait l'expérience. La Commission privilégie les choix stratégiques, abandonnant les recommandations trop détaillées qui ne sont pas utiles.
La Commission ne donne pas une liste de devoirs à faire. Elle cherche à identifier les points sur lesquels chaque pays peut faire plus ; elle s'efforce de lui donner toute sa place dans le redressement économique européen. Avec cette nouvelle approche, les rôles sont mieux répartis : à la Commission, la détermination des fins et objectifs communs ainsi que la coordination à l'échelle du continent ; aux États membres, le choix des moyens, en toute autonomie et dans le respect de leur champ démocratique interne. Je n'ai pas changé d'avis sur ce point en devenant commissaire, je l'avais dit à mon prédécesseur, les États doivent conserver une souveraineté dans le choix des moyens qu'ils emploient. Il faut sortir de la dynamique binaire qui a souvent prévalu entre prescription et opposition, entre réprimande et résistance. La Commission préfère la conviction à la punition. Je suis convaincu que cette démarche favorisera l'appropriation – quelque peu défaillante aujourd'hui – par les États des recommandations de la Commission. La mesure du suivi des recommandations est peu convaincante mais les chiffres sont très faibles, aux alentours de 15 %. On peut faire beaucoup mieux.
En réponse à M. Carrez et Mme Guigou, la Commission ne s'est pas prononcée sur la procédure pour déficit excessif parce que la recommandation adressée à la France le 10 mars dernier lui octroyait un délai de trois mois, jusqu'au 10 juin, pour présenter son rapport. Ce délai nous a permis de travailler ensemble. Pour la France, il s'agit de préciser sa stratégie de redressement des comptes pour 2015 et 2016. Pour la Commission, il s'agit d'établir si les mesures nécessaires – 0,5 point de PIB d'effort structurel en 2015 – ont été adoptées.
Il ne m'appartient pas de me prononcer sur le rapport de la Cour des comptes, que je respecte à plus d'un titre.
La Commission évalue l'ensemble des comptes publics et prend en compte l'évolution des déficits nominaux et des déficits structurels selon des règles connues. Selon ces règles, quand les déficits nominaux ne sont pas réduits de manière suffisante, il faut examiner les déficits structurels ; à l'inverse, si le déficit nominal est satisfaisant, il prime sur le déficit structurel. Les sanctions peuvent intervenir lorsque ni le déficit nominal, ni le déficit structurel ne sont conformes aux exigences.
Au cours des années passées, la Commission a toujours reconnu l'action effective de la France. Nous allons l'évaluer pour 2015. Nos prévisions tablent sur un déficit de 3,8 % en 2015 là où notre recommandation ciblait 4 %. Ce sont les résultats qui compteront. J'ajoute que nous nous intéresserons aussi à 2016 et 2017. La Commission sera ensuite amenée, dans le cadre de la prochaine étape du semestre européen, à examiner l'avant-projet de budget pour 2016.
S'agissant des réformes, les recommandations prennent la mesure des progrès accomplis. Elles citent plusieurs réformes en cours et proposent des voies d'approfondissement dans une double optique d'exigence et d'accompagnement. En février dernier, certains avaient émis des doutes sur la conduite des réformes en France. Depuis, le dialogue a été assez fructueux. La Commission considère que le programme national de réforme soumis par la France est plus convaincant que par le passé. Mais les exigences européennes demeurent élevées à l'égard de la deuxième économie de la zone euro. La Commission a ainsi identifié six domaines d'action prioritaires : la poursuite de la correction durable des déficits publics, la maîtrise des dépenses, la montée en puissance des économies, la poursuite des efforts pour créer un environnement favorable au facteur travail, l'amélioration du climat des affaires en se concentrant particulièrement sur les barrières réglementaires qui peuvent fausser la concurrence, l'amélioration de l'efficacité du système fiscal ainsi que de l'environnement juridique du marché du travail dont la segmentation s'enracine et les entrées en CDI sont insuffisantes .
La Commission invite donc la France à poursuivre dans les voies qu'elle a déjà tracées – réforme des retraites, pacte de responsabilité, simplification administrative, accords de maintien de l'emploi. Dans certains cas, la Commission recommande d'aller plus loin tout en laissant à la France le choix des moyens, notamment pour les conditions de formation des salaires ou en matière de fiscalité. Enfin, je m'inquiète de l'accès au CDI ; le marché du travail trop segmenté pèse sur le dynamisme économique et la cohésion sociale.
Le travail avec la France ces derniers mois a été fructueux : l'amélioration de la situation budgétaire est effective, le programme national de réforme est plus convaincant mais le degré d'exigence de la Commission demeure important à l'égard d'une économie centrale pour la zone euro et dont l'attitude est décisive pour la cohésion de la zone euro et pour son avenir.
Deuxième sujet, la Grèce. Pour résumer, le degré de volonté politique déterminera la suite des événements.
Nous avons connu trois phases dans les relations avec le gouvernement grec : une première phase de tâtonnement au cours de laquelle un accord fixant une feuille de route est intervenu au sein de l'Eurogroupe en février. Mais les négociations n'ont pas été engagées de façon convaincante ; la réunion de l'Eurogroupe à Riga fut l'occasion de dresser un constat d'échec. S'en est suivie une deuxième phase au cours de laquelle nous avons assisté à un changement de méthode de négociation et d'interlocuteurs – les négociations au sein du groupe de Bruxelles ont été prises en main directement par le Premier ministre. Depuis quatre semaines, nous avons enregistré plus de progrès que dans les trois mois précédents. Nous avons commencé à aborder des sujets de fond. Ceux qui prétendent que rien n'est fait dans les discussions techniques se trompent ; ceux qui disent que tout est fait se trompent aussi. Nous sommes passés aujourd'hui à la troisième phase qui est nécessaire, la phase politique au sommet. La rencontre à Berlin entre le président français, la chancelière allemande et les dirigeants des trois institutions – Commission, FMI, BCE – en témoigne. Ce soir, Jean-Claude Juncker présentera à Alexis Tsipras, en présence du président de l'Eurogroupe, l'offre commune des institutions qui est soutenue par la France et l'Allemagne.
Nous avons enregistré des avancées réelles sur certains sujets : la TVA, la création d'une agence indépendante en matière de perception des revenus, la modernisation de l'administration. Mais il reste certaines questions lourdes : les retraites et le marché du travail.
Nous devons convaincre les autorités grecques d'accepter cet accord, exigeant certes mais qui n'en vise pas moins à assurer l'avenir de la Grèce dans la zone euro et la prospérité pour le peuple grec. Si ce paquet demande encore des efforts, parfois importants et qui ont été reportés par les gouvernements précédents, il comporte aussi des changements : les plus démunis, qui ont déjà payé un très lourd tribut pendant la crise économique, ne doivent plus être les seuls à supporter les efforts.
Face à une perte de revenus considérable, un taux de chômage incroyable – 25 %, plus de 50 % chez les jeunes – et une pauvreté accrue, le gouvernent grec doit être à même de réaliser des programmes sociaux pour accompagner sa politique, parallèlement à la modernisation de l'État et à une plus grande justice fiscale.
Il ne s'agit pas de dire aux Grecs « take it or leave it ». Nous sommes dans un vrai dialogue avec l'idée d'aboutir rapidement à un accord. Je partage l'avis du Président de la République qui considère qu'un accord est possible et nécessaire.Cet accord doit faire en sorte que les choix démocratiques du peuple grec soient respectés mais aussi que la Grèce respecte l'Union européenne.
En réponse à votre question, madame la présidente, la Commission ne considère pas d'autre possibilité qu'un accord. Il n'y a pas de plan B car, d'expérience, je sais que ce type de plan surgit lorsque l'on ne croit pas au plan A. Ma conviction est que la place de la Grèce est dans la zone euro, sauf à vouloir remettre en cause l'intégrité et l'irréversibilité qui caractérise la monnaie unique. Voilà pourquoi nous devons trouver maintenant un accord.
Troisième sujet, la fiscalité. J'élabore actuellement un plan d'action pour une imposition plus juste des sociétés en Europe, mêlant initiatives législatives et recommandations, et qui devrait être finalisé le 17 juin. Mes priorités en matière fiscale sont au nombre de trois : en premier lieu, la transparence. Nous avons franchi une première étape avec la proposition de directive sur le tax ruling et l'échange automatique d'informations pour laquelle j'espère une application dès le 1er janvier 2016. Il s'agit de remédier aux pratiques de planification fiscale agressive et d'optimisation excessive des multinationales. Nos concitoyens ne le supportent plus ; ils ont été sollicités pendant la crise pour réduire les déficits ; ils se sont comportés en citoyens ; les grandes entreprises multinationales doivent en faire de même. Pour ce faire, il convient de supprimer les trous dans la réglementation qui créent des effets d'aubaine. Nous irons plus loin en matière de transparence : nous allons lancer une étude d'impact et des consultations publiques sur le country by country reporting. L'idée centrale de ce plan est l'imposition effective des profits là où ils sont générés.
Deuxième priorité, la compétitivité. Je souhaite revoir le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) dont l'objectif est de définir un ensemble de règles uniques pour la détermination du régime imposable. L'idée serait qu'à terme, un seul régime s'applique au sein de l'Union pour calculer le résultat imposable, ce qui représenterait pour les entreprises travaillant dans plusieurs pays des économies de gestion qui seront autant d'opportunités d'investissements supplémentaires. Ce projet est sur la table depuis 2011, je n'ai pas l'intention de le reprendre en l'état car les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.
Troisième priorité, la taxe sur les transactions financières. Alors que celle-ci fait l'objet d'une coopération renforcée entre onze États membres, que j'avais réclamée en son temps avec Wolfgang Schäuble, la Commission européenne est revenue à la table des négociations. C'est une bonne chose.
Le travail s'est intensifié depuis le début de l'année. La Commission apporte un accompagnent technique et politique. J'ai bon espoir et la volonté d'aboutir à un accord dans les prochaines semaines ou les prochains mois sur la mise en place d'une taxe applicable un an plus tard. Mon espoir est fondé sur le fait que le champ des possibles s'est réduit en passant de vingt-quatre options à trois. La négociation finale peut maintenant commencer sur des bases plus solides.
Un dernier mot sur l'union économique et monétaire. Nous sommes dans l'attente du rapport des quatre présidents – qui sont en réalité au nombre de cinq avec le président du Parlement européen – qui doit être soumis au prochain Conseil européen. Je souhaite qu'il contienne des propositions ambitieuses et que le Conseil se les approprie pour lancer un processus d'intégration économique et politique de la zone euro. Je ne me prononcerai pas à ce stade sur la nécessité d'une Europe à deux vitesses mais il est souhaitable de donner une importance prioritaire à l'intégration de la zone euro. Sur l'avenir du two-pack et six-pack, les informations dont je dispose ne sont pas très positives. Il n'est pas certain que le rapport de Mme Berès sur la révision de ces instruments puisse être présenté au Parlement européen la semaine prochaine faute d'accord.
Je l'ai déjà dit, à titre personnel, je suis favorable à une capacité budgétaire et financière de la zone euro ainsi qu'à une présidence permanente de l'Eurogroupe. Je crois également que les parlementaires qui ont en commun la monnaie unique devront s'organiser au sein du Parlement européen.
L'une des ambitions de la Commission est de favoriser un dialogue de meilleure qualité entre le niveau communautaire et le niveau national. Cela passe par des échanges plus structurés et plus fournis en amont avec les autorités de chaque pays et par des discussions avec les parlementaires nationaux.
Je vous remercie pour l'action que vous avez engagée en matière de lutte contre les pratiques d'évasion fiscale. Vous aviez fait part de votre volonté inébranlable de poursuivre la lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive. Force est de constater que les enquêtes menées par la Commission sur les pratiques des « GAFA », la volonté d'améliorer les échanges d'information entre administrations fiscales ou les efforts de transparence en matière de rescrits fiscaux témoignent de cette détermination. Vous avez annoncé votre intention de franchir une nouvelle étape en en finissant avec les trous dans la raquette fiscale. Le plan d'action en faveur d'une imposition plus juste des sociétés en Europe en est la traduction. L'Union européenne souffre depuis longtemps de son incapacité à coordonner les politiques fiscales de ses membres. Cette impuissance face au dumping fiscal et aux pratiques d'optimisation alimente l'euroscepticisme des peuples. Comment la Commission compte-t-elle intégrer dans ses propositions les travaux du Parlement européen, notamment de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux ?
Le projet BEPS initié par l'OCDE doit aboutir à une normalisation internationale des pratiques en vue de sanctionner efficacement les entreprises et les particuliers qui veulent se soustraire à leurs devoirs fiscaux. Comment la Commission compte-t-elle articuler ses initiatives avec ce projet ?
S'agissant du projet ACCIS, parmi les craintes suscitées par le projet de traité transatlantique se trouve l'instauration d'un mécanisme d'arbitrage pour régler les litiges entre entreprises et États. Ce mécanisme permettrait aux entreprises multinationales de contester une législation en raison du préjudice subi. S'il devait exister, comment empêcher les multinationales de considérer l'harmonisation fiscale comme discriminatoire ?
La volonté d'accroître la transparence est partagée par tous les pays d'Europe. En revanche, le projet d'une assiette commune suscite plus de réticences. Si cette harmonisation est indispensable, sa mise en oeuvre s'annonce difficile. Il me semble que, depuis le rapport de la commission des affaires européennes il y a dix ans, nous n'avons guère avancé. Qu'espérez-vous en la matière ?
Quant à l'imposition effective des profits là où ils sont générés, est-ce vraiment une bonne idée ? Les pays tiers pourraient demander la réciprocité, au risque de voir les entreprises européennes pénalisées.
Les discussions avec les États-Unis sur le projet BEPS progressent-elles ? Alors qu'ils ont été moteurs au départ, les Américains semblent montrer aujourd'hui plus de réticence, craignant de désavantager leurs entreprises.
En matière de fiscalité, il semble plus facile de signer des accords avec des pays non-européens – la Suisse récemment – que de convaincre les États membres. L'harmonisation fiscale tant attendue ne voit toujours pas le jour.
Pourquoi ne pas envisager, outre l'assiette consolidée, la fixation d'un taux minimum pour l'impôt sur les sociétés qui serait plus juste et plus à même d'éviter la concurrence fiscale ? Peut-on espérer un jour une remise en cause de la règle de l'unanimité sur ces sujets qui bloque toute tentative d'harmonisation ?
La troïka réunit trois institutions qui n'obéissent pas à la même logique. Le ministre de l'économie a ainsi affirmé que le FMI appartient à la même flottille mais n'est pas dans le même bateau. Celui-ci a récemment publié un rapport peu élogieux sur la gouvernance européenne, pointant notamment l'incohérence des critères de Maastricht. Comment réussissez-vous à travailler avec des institutions dont les analyses divergent fortement de celles de la Commission ?
Alors que certains envisagent la sortie de l'euro, les dernières élections – espagnole, grecque et britannique – ont souligné des désaccords profonds avec la politique européenne. Comment faire pour concilier la volonté des électeurs et le respect des engagements des États ?
Mario Draghi a récemment indiqué qu'il souhaitait un accord avec la Grèce solide, pérenne sur le plan budgétaire, qui produise de la croissance et inclue de la justice sociale. Les électeurs qui ont voté contre l'Europe pourraient certainement adhérer à ces propos mais leur ressenti est aujourd'hui différent.
Quelles sont les intentions de la Commission à l'égard des questions posées par le gouvernement britannique à l'issue des dernières élections ?
Je m'étonne que la Commission n'envisage pas d'autres scénarios qu'un accord sur le cas de la Grèce. La Commission a une responsabilité au regard de la discipline collective qu'elle exerce au travers d'un processus itératif dans lequel la bonne volonté doit être encouragée. On ne peut pas exclure qu'in fine, la coopération et la discipline ne soient pas respectées. Je trouve curieux que la Commission exclue a priori d'imaginer cette hypothèse. Que la Commission déploie beaucoup d'énergie et de compréhension pour aider chacun à trouver sa place, cela me paraît cohérent et heureux en termes de politique européenne, elle est dans son rôle. Mais, sans sanctions, il n'est plus de coopération, de convergence et de discipline. Les améliorations dans la gouvernance de la zone euro depuis quelques années ont permis normalement d'imaginer des hypothèses et des solutions pour tirer les conséquences d'une fragilité. Au nom de quoi, en raison de quelle légitimité, la Commission s'interdit-elle de considérer un autre scénario que celui d'un accord ?
L'Union européenne laisse le choix aux États des moyens pour équilibrer leur budget, dites-vous, mais elle incite souvent à la baisse des dépenses publiques. Dans le cas de la Grèce, les discussions portent également sur les recettes. La responsabilité de l'Union européenne en matière d'évasion fiscale vaut aussi pour la Grèce. Le cas grec constitue sans doute une incitation supplémentaire pour l'Union à avancer vite sur la résorption de l'évasion fiscale. Quelle est l'échéance de mise en oeuvre des dispositifs en ce sens ? Quelle appréciation porte l'Union européenne sur l'efficacité de ces derniers ?
Les déficits repartent à la hausse, M. le président l'a dit, en valeur absolue mais, en pourcentage, ils sont stables. En soustrayant les allégements fiscaux – 6,5 milliards au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi pour les entreprises et 1,8 milliard pour les ménages –, on aurait sans doute atteint les 3,6 % de déficit. Quel est votre avis sur la déduction éventuelle des investissements dans le calcul du déficit – je pense notamment aux opérations extérieures, à la contribution au budget de l'Union ou encore à la part nationale des co-investissements européens ?
Comment expliquez-vous que la croissance française est très inférieure à celle des pays de l'Union européenne et de la zone euro ?
Selon vous, la théorie des cycles économiques, qui sous-tend la distinction entre le déficit nominal et le déficit structurel, est-elle encore valable depuis la crise de 2008 ? Comment analysez-vous l'écart croissant depuis cinq ans entre le taux effectif et le taux du déficit structurel, atteignant plus de deux points aujourd'hui ? Si la théorie du cycle économique était encore valable, nous aurions dû constater une inversion depuis longtemps.
Alors que vous étiez ministre de l'Économie et des finances, vous avez affirmé le 5 novembre 2013 : « notre stratégie de réforme en France produit ses effets. L'objectif d'inversion de la courbe du chômage est à portée de main. Je pense que nous aurons des résultats pour en convaincre ». Que vous inspire cette déclaration ?
Comment voyez-vous la sortie de la crise grecque ? Vous paraît-elle possible sans une annulation partielle de la dette, à hauteur de la moitié au minimum, ou un rééchelonnement à long terme ?
Vous évoquez l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés mais vous ne dites rien des taux. Comme en matière de TVA, l'harmonisation ne devrait-elle pas s'accompagner d'un encadrement des taux ? On sait que par le passé la Commission n'a pas été capable d'imposer une hausse du taux de l'impôt sur les sociétés en Irlande, qui est pourtant l'un des plus faibles, de l'ordre de 10 %.
Je salue les avancées dans la lutte contre les pratiques d'optimisation fiscale. L'harmonisation fiscale soulève également la question de la mobilité des citoyens qui résident dans un autre État membre : l'arrêt de la Cour de justice du 26 février dans l'affaire de Ruyter invite la France à rembourser les prélèvements sociaux acquittés par les Français résidant à l'étranger au nom de la non-discrimination fiscale.
Les conventions fiscales entre certains États ont été remises en cause, favorisant la double imposition. Quelle harmonisation à l'échelle européenne permettrait d'éviter de donner trop de poids à ces conventions ?
Quel est l'agenda de la Commission sur le référendum que les Britanniques utilisent comme un moyen de pression dans les négociations européennes, non sans poser un problème de méthode ?
Je m'interroge sur la capacité de la France à persuader la Commission européenne de sa bonne volonté.
Pour respecter les exigences européennes en matière de déficit structurel, 30 milliards d'euros d'économies devront s'ajouter d'ici 2017 aux 50 milliards déjà programmés. Or, ces objectifs sont sans cesse reportés. La France est en situation de décrochage par rapport aux autres pays européens. En mars dernier, le ministre de l'économie a qualifié l'effort demandé de procyclique et estimé qu'il détruisait de la croissance et le retour au plein-emploi. Ces éléments traduisent le scepticisme du Gouvernement vis-à-vis de l'effort demandé et alimentent les doutes sur les intentions de la France que pourrait nourrir la Commission européenne. Ces doutes ne peuvent qu'être renforcés par l'écart en 2014 entre l'exécution et les prévisions de recettes.
Vous avez souligné les entrées insuffisantes en CDI. Le Premier ministre a consulté les 1er et 2 juin les organisations syndicales et patronales en vue de faciliter l'activité et l'emploi dans les PME. Les décisions du Gouvernement seront connues le 9 juin, à la veille du verdict de la Commission. Nous savons que le contrat de travail pose problème, vous avez souligné la segmentation du marché du travail. Quelles solutions préconisez-vous : le contrat unique, un assouplissement des contrats, le contrat de mission – proposé par le Sénat dans le cadre de la loi Macron ?
Les questions budgétaires interdisent de nourrir quelque espérance sur la construction d'une Europe de la défense. Outre la déduction des dépenses afférentes dans le calcul des déficits, quelles pistes imaginez-vous pour avancer dans ce domaine dans lequel le piétinement actuel est dommageable pour l'Union européenne ?
Je remercie la troïka qui nous préside qui est plus sympathique et plus efficace que l'autre. Le cas grec s'apparente à de l'acharnement thérapeutique et révèle une incapacité à reconnaître les fautes commises, notamment dans la purge budgétaire qui a été imposée au peuple grec dont les revenus ont diminué de 40 %.
Il n'y a pas de solutions structurelles dans la monnaie unique. La dette de la Grèce à l'égard du FMI ou de la BCE s'élève pour cette année à 26 milliards d'euros. La rallonge de 7 milliards ne suffira pas car d'autres échéances sont à venir. En Allemagne, la démocratie semble exister puisque cette question sera soumise au Parlement. Mais, en France, puisque nous ne serons pas consultés, je vous donne mon avis.
Le professeur Stiglitz l'a dit, pour que la zone euro fonctionne, il faut un budget fédéral fort – aux États-Unis, il représente 17 % du PIB américain. Faute de quoi, cela ne marchera pas. Il n'y a qu'une solution, n'en déplaise aux uns et aux autres – même Valéry Giscard d'Estaing l'a reconnu : la Grèce doit sortir de l'euro. Toute autre solution nous mène droit dans le mur.
J'ai dit à Mario Draghi qu'il était à la barre du Titanic. Savez-vous combien de monnaies uniques ont disparu au vingtième siècle ? Quarante-deux. L'euro connaîtra le même sort. Vous allez casser l'Europe avec cet acharnement monétaire.
Vous vantez les 315 milliards du fonds d'investissement. Mais le plan est prévu sur trois ans, il n'a pas encore débuté et il ne représente même pas 1 % du PIB. Ce plan n'est pas à la hauteur des enjeux pour relancer l'investissement.
Puisque la banque centrale pratique enfin l'assouplissement quantitatif, pourquoi n'avoir pas autorisé les avances directes aux États par la BCE qui auraient permis à ces derniers d'investir et de relancer la machine ? Parce que le dogmatisme de Berlin l'interdit.
Quant à l'union bancaire, vous faites le contraire de ce qu'il convient de faire. Vous avez mis en place une machine infernale. Pourquoi les banques françaises qui sont bien gérées devraient-elles supporter les défaillances des autres banques européennes ? Il aurait fallu préserver une étanchéité entre les banques pour éviter des faillites en chaîne.
Quelle est la capacité de la Commission à définir des bases pour l'impôt sur les sociétés, à même de faire avancer vers une concurrence loyale en Europe ?
En réponse aux nombreuses questions, je veux rappeler que je ne suis pas commissaire à tout. La Commission est un collège mais je me garderai de donner des réponses trop précises sur d'autres champs de compétence que le mien.
Sur la capacité de la France à convaincre, je vous livre un avis que je vous prie de croire objectif car les décisions ne sont pas prises par moi seul, y compris dans mon domaine de compétence. En matière budgétaire, les décisions sont prises par le vice-président Dombrovskis, qui appartient à une famille politique plutôt à droite, et sont adoptées à l'unanimité par le collège. Les performances de la France en matière de déficit n'ont pas été exemplaires par le passé, , mais elle a toujours rempli son obligation d'action effective en matière de déficit structurel, ce qui explique que des délais lui aient été accordés. Les relations s'améliorent aujourd'hui. Je note les efforts du Gouvernement pour travailler avec Bruxelles, notamment la multiplication des rencontres avec les commissaires et les parlementaires – M. Sapin et M. Macron l'ont fait notamment. Les échanges permettent de convaincre mais aussi de mieux comprendre la logique de ses interlocuteurs, contribuant ainsi à rapprocher les points de vue.
Les recommandations sont encore nombreuses, le dialogue avec la France sur les finances publiques reste serré mais la qualité des relations de travail entre la France et la Commission est en voie d'amélioration, personne ne peut s'en plaindre. Je considère depuis longtemps que les institutions européennes ne doivent pas être vues comme des adversaires mais comme des partenaires.
Je le répète, la Commission fixe les objectifs partagés et incite à la coordination et aux réformes. Elle n'est pas là pour tenir la main aux gouvernements. Il ne lui appartient pas de dire ce qu'il faut le faire. Elle l'a fait par le passé, et je n'ai jamais considéré qu'elle avait raison. Elle a raison de dire qu'il faut une réforme du marché du travail et plus d'entrées dans le CDI. Elle a raison de suggérer des réformes fiscales. Mais elle n'a pas à dire lesquelles. C'est à vous d'en débattre avec le Gouvernement.
Quant au projet BEPS, la Commission s'inscrit pleinement dans les travaux en cours. Ce projet comporte des avancées fondamentales qui ont d'abord été promues par les États-Unis. Les accords d'échange automatique d'informations qui ont fait des petits ont été initiés par les États-Unis. J'ai signé récemment un accord sur l'échange automatique d'informations avec la Suisse qui signifie la fin du secret bancaire en 2017. Cet accord a été rendu possible par la porte ouverte par les Américains et par le processus BEPS. Il faut ajouter que l'échange d'informations est en train de devenir via le G20 un standard à l'échelle mondiale. Si la volonté des Américains devait faiblir, le leadership européen pourrait s'exercer à condition d'y associer d'autres pays. Dans le cas contraire, nous prendrions le risque de nous rendre plus vulnérables à l'extérieur. Le cadre réglementaire international doit être envisagé concomitamment au cadre européen. C'est ainsi que je conçois les choses.
S'agissant de l'arbitrage, il m'est difficile de spéculer sur le lien entre deux projets qui n'existent pas encore, le projet ACCIS et le traité transatlantique. On connaît les débats sur ce sujet, la France a fait connaître ses propositions sur le mécanisme d'arbitrage avec d'autres partenaires.
Nous travaillons étroitement avec la commission spéciale sur les rescrits fiscaux du Parlement européen. J'ai été auditionné et je le serai de nouveau début juillet pour présenter notre plan d'action en la matière.
Je ne m'attendais pas à la fonction de commissaire à la fiscalité car Jean-Claude Juncker ne m'avait pas précisé que ce sujet ferait partie de mon portefeuille. En matière d'harmonisation fiscale, je pense que deux conditions doivent être réunies pour espérer voir aboutir un projet : le projet doit être bon et recueillir un consensus. Je suis au regret de le dire, mais la règle de l'unanimité demeurera sauf à changer les traités qui soumettent la fiscalité à cette modalité de vote, ce que certains États ne souhaitent pas. Ce sont les interrogations sur sa faisabilité qui me conduisent à revoir le projet ACCIS. Je pense notamment à l'Irlande qui n'est pas le pays le plus favorable à la consolidation en matière de base fiscale.
Peut-on fixer des taux pour l'impôt sur les sociétés ? L'imposition effective des bénéfices représentera déjà une percée conceptuelle assez unique. Il n'a pas été simple de convaincre tous mes collègues de la Commission.. J'ai découvert que de nombreux projets fiscaux sont encore sur la table du Conseil des années après. Je ne souhaite pas accumuler les projets qui sont de l'ordre du souhaitable mais pas du possible. Je ne pense pas que ce sujet ait vocation à prospérer.
Je ne me sens pas membre de la troïka. Les trois institutions travaillent ensemble avec des méthodes qui ont beaucoup changé. Ce ne sont plus des fonctionnaires qui se rendent à Athènes dans un hôtel protégé par la police pour imposer des mesures à des gouvernements et des parlements. Les trois institutions ne suivent pas forcément la même logique ; elles n'ont pas le même statut ni les mêmes finalités. Les différences d'approche entre le FMI et l'Union européenne sont manifestes. Mais ces institutions travaillent ensemble avec les Grecs. Au sein du groupe de Bruxelles, la logique est désormais plus égalitaire et partenariale. Il est important de poursuivre dans cette voie pour favoriser une appropriation par les Grecs de l'accord dont je souhaite ardemment la conclusion.
Monsieur Mariton, le « Grexit » n'est pas une option envisageable car, d'une part, elle n'est pas prévue par les règles et d'autre part, elle n'est bénéfique ni pour la Grèce, ni pour l'Union européenne. Pourquoi devrais-je spéculer sur cette éventualité alors que toute l'énergie de la Commission est tournée vers la recherche de solutions ? Lorsque vous commencez à dire « et si jamais… », l'affaire est déjà mal partie.
Je le redis, nous entrons dans une phase politique décisive. Malgré des positions divergentes, il y a une volonté politique partagée de trouver un accord maintenant. Comme dirait Angela Merkel, empruntant à un autre : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». C'est ce chemin que nous essayons de trouver.
M. de Courson, la croissance française est en effet plus faible que celle des autres pays de l'Union mais cette situation est récente. Les stabilisateurs automatiques ont permis à la France de mieux résister à l'entrée dans la crise mais ensuite le déficit de réformes structurelles a retardé la reprise. La croissance redémarre incontestablement mais lentement. L'enjeu des réformes demandées par la Commission est précisément d'accélérer cette reprise pour créer de l'emploi. Le rythme d'1,5 % peut être atteint cette année et sera dépassé l'année prochaine.
La théorie des cycles est toujours valable mais combler l'écart entre déficit structurel et déficit nominal demande du temps.
Quant aux investissements, le plan Juncker est en effet prévu sur trois ans. Je souligne que la Commission a présenté sa proposition dans des délais exceptionnellement rapides. Depuis trois jours, le Parlement européen a donné son accord sur la création du fonds. Enfin, les premiers projets ont déjà été anticipés par la Banque européenne d'investissement. Je crois savoir que deux projets franco-allemands ont été présentés.
S'il n'est pas à la hauteur du déficit d'investissement, ce plan représente un effort sans précédent. La France est bien outillée pour bénéficier de façon importante du plan Juncker grâce à ses institutions publiques et à la qualité de ses entreprises. Cela doit être une cause de mobilisation nationale. La qualité des projets et de l'ingénierie publique – la BPI et la Caisse des dépôts – lui permettra de se distinguer. La France doit vraiment « investir » dans le plan Juncker.
Ce plan n'est pas suffisant, j'en conviens. J'estime qu'il devrait courir sur une dizaine d'années à hauteur de 100 milliards d'euros par an, soit 1 000 milliards sur dix ans. Jean-Claude Juncker a déjà annoncé que le plan, s'il fonctionne, serait prolongé de trois ans. C'est bien une démarche de long terme qui est engagée.
La communication sur la flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, adoptée le 13 janvier, a pour but de montrer les possibilités offertes sans modifier le pacte. La flexibilité intervient dans trois cas : un pays qui investit dès lors qu'il est dans le bras préventif du pacte – d'où l'intérêt de faire moins de 3 % –, un pays qui fait des réformes structurelles, et la situation cyclique des économies. Je prends l'exemple de l'Italie et de la France : la Commission demande à la première qui a connu quatre années de récession un effort d'ajustement structurel de 0,25 point quand elle demande 0,5 point à la France. Lorsque leur situation s'améliore, les pays doivent être aptes à faire plus d'efforts. En matière d'investissement, les pays qui sont dans le bras préventif sont privilégiés. De ce point de vue, il vaut mieux être italien que français pour le moment ; c'est tout l'enjeu de sortir du bras correctif du pacte.
Au sujet de la défense, je comprends la préoccupation française. Il est vrai que la France joue un rôle moteur pour le compte de l'Europe à travers ses opérations extérieures. Jean-Claude Juncker l'a dit publiquement. La prise en compte des dépenses en matière de défense ou de lutte contre le terrorisme n'est pas une question illégitime, mais nous ne l'avons pas abordée à ce stade.
Elle soulève plusieurs difficultés tenant à la délicate différenciation des investissements et aux conséquences sur l'endettement de l'emprunt contracté pour réaliser l'investissement. En outre, l'européanisation de la prise en compte de la dépense doit être le corollaire d'une européanisation de la prise de décision. L'action de la France s'inscrit souvent dans le cadre européen mais la France suit parfois sa propre logique, sans qu'elle soit partagée par tous. C'est tout l'enjeu de la construction d'une défense européenne et d'une politique étrangère et de sécurité commune. Tout progrès en ce sens servira la cause de la prise en compte des investissements.
Avec les Britanniques, de premières discussions ont eu lieu. David Cameron et George Osborne ont entrepris une tournée de leurs partenaires européens auxquels ils ont soumis leurs demandes, qui ne sont toutefois pas publiques aujourd'hui.
La formulation de la question soumise à référendum indique que l'intention du gouvernement est plutôt d'obtenir un oui en réponse. Celui-ci est conscient que la place du Royaume-Uni est dans l'Union européenne. C'est notre intérêt mutuel. Toutes les études économiques montrent que le « Brexit » serait défavorable au Royaume-Uni et à l'Union.
Les demandes du gouvernement britannique, lorsqu'elles seront connues, seront discutées. Il n'est pas question de leur opposer une fin de non-recevoir. Certaines de ses demandes peuvent faire l'objet d'une discussion, d'autres sont plus discutables. Il faut se placer dans une attitude de dialogue et de travail commun. Mais, sur certains sujets, en particulier sur la libre circulation des personnes, la Commission, en tant que gardienne des traités, est peu enthousiaste à l'idée de leur modification. S'agissant des libertés fondamentales, l'acquis communautaire doit être préservé même si certaines « politiques » peuvent être adaptées. Je ne vais pas disserter sur les subtilités de la langue anglaise et la distinction entre politics et policy car j'essaie de parler autant que possible en français. Ce n'est pas simple. Je note un fort recul de l'usage de langue française dans les institutions européennes. M. Myard devrait se concentrer sur ce sujet.
C'est sans doute là que vous serez le plus efficace…
Sur le dossier britannique, attendons et soyons prêts.
Je vous redis ma disponibilité à chaque étape du semestre européen. Cela fait partie de mon rôle de commissaire européen français. Le président Juncker nous a demandé d'être fortement présents dans nos pays d'origine. Mais, je ne suis ni un ambassadeur de la France à Bruxelles – je ne suis pas là pour défendre les dossiers français en dépit de mon attachement pour ce pays –, ni un ambassadeur de l'Union européenne à Paris.
J'ai la conviction que ce ne sont pas les débats idéologiques mais les résultats qui rapprocheront les citoyens de l'Union. Les citoyens se sont éloignés car ils ont le sentiment que l'Europe est un problème et qu'elle n'apporte pas de solutions. Ils attribuent la crise en partie à certaines politiques européennes. L'enjeu pour les cinq ans à venir est d'obtenir des résultats en matière de croissance et d'emploi ; c'est pour cela que cette Commission s'appelle la Commission de la dernière chance. L'Europe doit redevenir un projet mobilisateur et qui apporte à chacun.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, de nous avoir consacré tant de temps et d'avoir répondu de manière précise et circonstanciée à nos questions. Nous repartons plus intelligents encore. Je note un point d'accord avec M. Myard sur la défense de la langue française.
La séance est levée à dix-neuf heures trente-huit.