Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 3 juin 2015 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière :

En réponse aux nombreuses questions, je veux rappeler que je ne suis pas commissaire à tout. La Commission est un collège mais je me garderai de donner des réponses trop précises sur d'autres champs de compétence que le mien.

Sur la capacité de la France à convaincre, je vous livre un avis que je vous prie de croire objectif car les décisions ne sont pas prises par moi seul, y compris dans mon domaine de compétence. En matière budgétaire, les décisions sont prises par le vice-président Dombrovskis, qui appartient à une famille politique plutôt à droite, et sont adoptées à l'unanimité par le collège. Les performances de la France en matière de déficit n'ont pas été exemplaires par le passé, , mais elle a toujours rempli son obligation d'action effective en matière de déficit structurel, ce qui explique que des délais lui aient été accordés. Les relations s'améliorent aujourd'hui. Je note les efforts du Gouvernement pour travailler avec Bruxelles, notamment la multiplication des rencontres avec les commissaires et les parlementaires – M. Sapin et M. Macron l'ont fait notamment. Les échanges permettent de convaincre mais aussi de mieux comprendre la logique de ses interlocuteurs, contribuant ainsi à rapprocher les points de vue.

Les recommandations sont encore nombreuses, le dialogue avec la France sur les finances publiques reste serré mais la qualité des relations de travail entre la France et la Commission est en voie d'amélioration, personne ne peut s'en plaindre. Je considère depuis longtemps que les institutions européennes ne doivent pas être vues comme des adversaires mais comme des partenaires.

Je le répète, la Commission fixe les objectifs partagés et incite à la coordination et aux réformes. Elle n'est pas là pour tenir la main aux gouvernements. Il ne lui appartient pas de dire ce qu'il faut le faire. Elle l'a fait par le passé, et je n'ai jamais considéré qu'elle avait raison. Elle a raison de dire qu'il faut une réforme du marché du travail et plus d'entrées dans le CDI. Elle a raison de suggérer des réformes fiscales. Mais elle n'a pas à dire lesquelles. C'est à vous d'en débattre avec le Gouvernement.

Quant au projet BEPS, la Commission s'inscrit pleinement dans les travaux en cours. Ce projet comporte des avancées fondamentales qui ont d'abord été promues par les États-Unis. Les accords d'échange automatique d'informations qui ont fait des petits ont été initiés par les États-Unis. J'ai signé récemment un accord sur l'échange automatique d'informations avec la Suisse qui signifie la fin du secret bancaire en 2017. Cet accord a été rendu possible par la porte ouverte par les Américains et par le processus BEPS. Il faut ajouter que l'échange d'informations est en train de devenir via le G20 un standard à l'échelle mondiale. Si la volonté des Américains devait faiblir, le leadership européen pourrait s'exercer à condition d'y associer d'autres pays. Dans le cas contraire, nous prendrions le risque de nous rendre plus vulnérables à l'extérieur. Le cadre réglementaire international doit être envisagé concomitamment au cadre européen. C'est ainsi que je conçois les choses.

S'agissant de l'arbitrage, il m'est difficile de spéculer sur le lien entre deux projets qui n'existent pas encore, le projet ACCIS et le traité transatlantique. On connaît les débats sur ce sujet, la France a fait connaître ses propositions sur le mécanisme d'arbitrage avec d'autres partenaires.

Nous travaillons étroitement avec la commission spéciale sur les rescrits fiscaux du Parlement européen. J'ai été auditionné et je le serai de nouveau début juillet pour présenter notre plan d'action en la matière.

Je ne m'attendais pas à la fonction de commissaire à la fiscalité car Jean-Claude Juncker ne m'avait pas précisé que ce sujet ferait partie de mon portefeuille. En matière d'harmonisation fiscale, je pense que deux conditions doivent être réunies pour espérer voir aboutir un projet : le projet doit être bon et recueillir un consensus. Je suis au regret de le dire, mais la règle de l'unanimité demeurera sauf à changer les traités qui soumettent la fiscalité à cette modalité de vote, ce que certains États ne souhaitent pas. Ce sont les interrogations sur sa faisabilité qui me conduisent à revoir le projet ACCIS. Je pense notamment à l'Irlande qui n'est pas le pays le plus favorable à la consolidation en matière de base fiscale.

Peut-on fixer des taux pour l'impôt sur les sociétés ? L'imposition effective des bénéfices représentera déjà une percée conceptuelle assez unique. Il n'a pas été simple de convaincre tous mes collègues de la Commission.. J'ai découvert que de nombreux projets fiscaux sont encore sur la table du Conseil des années après. Je ne souhaite pas accumuler les projets qui sont de l'ordre du souhaitable mais pas du possible. Je ne pense pas que ce sujet ait vocation à prospérer.

Je ne me sens pas membre de la troïka. Les trois institutions travaillent ensemble avec des méthodes qui ont beaucoup changé. Ce ne sont plus des fonctionnaires qui se rendent à Athènes dans un hôtel protégé par la police pour imposer des mesures à des gouvernements et des parlements. Les trois institutions ne suivent pas forcément la même logique ; elles n'ont pas le même statut ni les mêmes finalités. Les différences d'approche entre le FMI et l'Union européenne sont manifestes. Mais ces institutions travaillent ensemble avec les Grecs. Au sein du groupe de Bruxelles, la logique est désormais plus égalitaire et partenariale. Il est important de poursuivre dans cette voie pour favoriser une appropriation par les Grecs de l'accord dont je souhaite ardemment la conclusion.

Monsieur Mariton, le « Grexit » n'est pas une option envisageable car, d'une part, elle n'est pas prévue par les règles et d'autre part, elle n'est bénéfique ni pour la Grèce, ni pour l'Union européenne. Pourquoi devrais-je spéculer sur cette éventualité alors que toute l'énergie de la Commission est tournée vers la recherche de solutions ? Lorsque vous commencez à dire « et si jamais… », l'affaire est déjà mal partie.

Je le redis, nous entrons dans une phase politique décisive. Malgré des positions divergentes, il y a une volonté politique partagée de trouver un accord maintenant. Comme dirait Angela Merkel, empruntant à un autre : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». C'est ce chemin que nous essayons de trouver.

M. de Courson, la croissance française est en effet plus faible que celle des autres pays de l'Union mais cette situation est récente. Les stabilisateurs automatiques ont permis à la France de mieux résister à l'entrée dans la crise mais ensuite le déficit de réformes structurelles a retardé la reprise. La croissance redémarre incontestablement mais lentement. L'enjeu des réformes demandées par la Commission est précisément d'accélérer cette reprise pour créer de l'emploi. Le rythme d'1,5 % peut être atteint cette année et sera dépassé l'année prochaine.

La théorie des cycles est toujours valable mais combler l'écart entre déficit structurel et déficit nominal demande du temps.

Quant aux investissements, le plan Juncker est en effet prévu sur trois ans. Je souligne que la Commission a présenté sa proposition dans des délais exceptionnellement rapides. Depuis trois jours, le Parlement européen a donné son accord sur la création du fonds. Enfin, les premiers projets ont déjà été anticipés par la Banque européenne d'investissement. Je crois savoir que deux projets franco-allemands ont été présentés.

S'il n'est pas à la hauteur du déficit d'investissement, ce plan représente un effort sans précédent. La France est bien outillée pour bénéficier de façon importante du plan Juncker grâce à ses institutions publiques et à la qualité de ses entreprises. Cela doit être une cause de mobilisation nationale. La qualité des projets et de l'ingénierie publique – la BPI et la Caisse des dépôts – lui permettra de se distinguer. La France doit vraiment « investir » dans le plan Juncker.

Ce plan n'est pas suffisant, j'en conviens. J'estime qu'il devrait courir sur une dizaine d'années à hauteur de 100 milliards d'euros par an, soit 1 000 milliards sur dix ans. Jean-Claude Juncker a déjà annoncé que le plan, s'il fonctionne, serait prolongé de trois ans. C'est bien une démarche de long terme qui est engagée.

La communication sur la flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, adoptée le 13 janvier, a pour but de montrer les possibilités offertes sans modifier le pacte. La flexibilité intervient dans trois cas : un pays qui investit dès lors qu'il est dans le bras préventif du pacte – d'où l'intérêt de faire moins de 3 % –, un pays qui fait des réformes structurelles, et la situation cyclique des économies. Je prends l'exemple de l'Italie et de la France : la Commission demande à la première qui a connu quatre années de récession un effort d'ajustement structurel de 0,25 point quand elle demande 0,5 point à la France. Lorsque leur situation s'améliore, les pays doivent être aptes à faire plus d'efforts. En matière d'investissement, les pays qui sont dans le bras préventif sont privilégiés. De ce point de vue, il vaut mieux être italien que français pour le moment ; c'est tout l'enjeu de sortir du bras correctif du pacte.

Au sujet de la défense, je comprends la préoccupation française. Il est vrai que la France joue un rôle moteur pour le compte de l'Europe à travers ses opérations extérieures. Jean-Claude Juncker l'a dit publiquement. La prise en compte des dépenses en matière de défense ou de lutte contre le terrorisme n'est pas une question illégitime, mais nous ne l'avons pas abordée à ce stade.

Elle soulève plusieurs difficultés tenant à la délicate différenciation des investissements et aux conséquences sur l'endettement de l'emprunt contracté pour réaliser l'investissement. En outre, l'européanisation de la prise en compte de la dépense doit être le corollaire d'une européanisation de la prise de décision. L'action de la France s'inscrit souvent dans le cadre européen mais la France suit parfois sa propre logique, sans qu'elle soit partagée par tous. C'est tout l'enjeu de la construction d'une défense européenne et d'une politique étrangère et de sécurité commune. Tout progrès en ce sens servira la cause de la prise en compte des investissements.

Avec les Britanniques, de premières discussions ont eu lieu. David Cameron et George Osborne ont entrepris une tournée de leurs partenaires européens auxquels ils ont soumis leurs demandes, qui ne sont toutefois pas publiques aujourd'hui.

La formulation de la question soumise à référendum indique que l'intention du gouvernement est plutôt d'obtenir un oui en réponse. Celui-ci est conscient que la place du Royaume-Uni est dans l'Union européenne. C'est notre intérêt mutuel. Toutes les études économiques montrent que le « Brexit » serait défavorable au Royaume-Uni et à l'Union.

Les demandes du gouvernement britannique, lorsqu'elles seront connues, seront discutées. Il n'est pas question de leur opposer une fin de non-recevoir. Certaines de ses demandes peuvent faire l'objet d'une discussion, d'autres sont plus discutables. Il faut se placer dans une attitude de dialogue et de travail commun. Mais, sur certains sujets, en particulier sur la libre circulation des personnes, la Commission, en tant que gardienne des traités, est peu enthousiaste à l'idée de leur modification. S'agissant des libertés fondamentales, l'acquis communautaire doit être préservé même si certaines « politiques » peuvent être adaptées. Je ne vais pas disserter sur les subtilités de la langue anglaise et la distinction entre politics et policy car j'essaie de parler autant que possible en français. Ce n'est pas simple. Je note un fort recul de l'usage de langue française dans les institutions européennes. M. Myard devrait se concentrer sur ce sujet.

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