Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est une transposition très technique de directives européennes. Sur le contenu, nous n'avons pas grand-chose à dire. Un point seulement suscite chez nous quelques interrogations et réserves : j'y reviendrai.
Ce texte est important, car la France connaît un important retard en matière de monnaie électronique. Le marché est en train de se structurer et, si nous n'agissons pas rapidement, cela se passera une nouvelle fois sans nous, comme c'est déjà arrivé en bien des domaines. L'entreprise Paypal, l'un des plus gros acteurs du paiement en ligne, est au Luxembourg, et d'autres sont au Royaume-Uni.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit, s'agissant du retard avec lequel deux des trois directives vont être transposées dans notre droit. C'est malheureusement un problème structurel, qui n'est pas propre à cette législature, et sur lequel nous devons tous travailler, afin de trouver des solutions.
Je regrette que nous n'ayons pas davantage profité de l'opportunité que nous offrait la discussion de ce projet de loi, pour avoir des débats plus politiques. Je ne vois pas bien l'intérêt de faire passer en débat dans l'hémicycle un texte très technique, qui pourrait faire l'objet d'une ordonnance. Personne, ou presque, ne s'y est intéressé, hormis les rapporteurs, dont je salue le travail.
Indépendamment du contexte politique à droite, ce texte a été examiné en commission des finances, en pleine préparation du projet de loi de finances rectificative, et son aspect très technique a achevé de décourager les bonnes volontés. Un examen en séance publique, c'est d'abord et avant tout un débat politique sur les tenants et les aboutissants d'un texte, sur les grandes orientations et les choix politiques. Si nous sommes là, uniquement pour entériner sans débat des mesures purement techniques qui font consensus, c'est, mes chers collègues, une perte de temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.) Le calendrier parlementaire est déjà suffisamment encombré.
Nous aurions pu profiter de l'examen de ces textes pour examiner trois points, sous l'angle politique.
Le premier concerne l'ensemble des initiatives européennes dans le domaine des paiements et de la régulation bancaire : en ce moment, les choses bougent beaucoup, et 2013 va être une année cruciale. Un vaste projet d'union bancaire est en cours, qui va nous amener rapidement à revoir les dispositions sur la régulation bancaire, avec des effets politiques essentiels, puisque l'on sera sans doute amené à faire monter la supervision bancaire au niveau européen. Tout le titre II de ce projet de loi aurait donc presque pu être qualifié de « dispositions transitoires ».
Nous n'avons eu, sur le sujet, qu'une audition conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires européennes, en juillet dernier. Les sénateurs ont su, mieux que nous, prendre ce sujet à bras-le-corps, avec une proposition de résolution européenne sur l'union bancaire, déposée le 14 novembre et débattue en commission des affaires européennes. Il n'est pas trop tard pour nous lancer, car 2013 sera une année très chargée pour la construction d'une Europe des services de paiement. Presque toutes les directives seront revues ou modifiées.
Le deuxième point concerne les moyens de paiement. La dimension européenne y est importante, mais il y a aussi des aspects nationaux. Un rapport a été rendu en mars dernier par MM. Constans et Pauget. Même s'il est surtout centré sur le système bancaire, il contient des analyses et des propositions intéressantes.
En tout état de cause, il constituait une base de départ pertinente et solide. Monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce rapport et les propositions qu'il contient.
La monnaie électronique n'est qu'un mode de paiement parmi d'autres. En Europe, la France présente une singularité : l'utilisation plus importante qu'ailleurs du paiement par chèque. Les Allemands sont au contraire des adeptes du paiement en liquide – c'est même pour eux qu'ont été créés les billets de 500 euros.
Chaque pays a ses spécificités culturelles, et transposer une directive, c'est aussi prendre cela en compte pour atteindre l'objectif poursuivi.
L'idée étant de favoriser au maximum le développement de la monnaie électronique, comment agir dans le cadre culturel français ? Comment convaincre nos concitoyens d'avoir recours à la monnaie électronique en délaissant le chèque ? Comment gérer le passé, notamment l'échec relatif de Monéo qui n'a pas atteint sa cible ?
Un énorme travail d'accompagnement est à mener pour réussir à développer de manière conséquente la monnaie électronique dans notre pays. Voilà de quoi nous aurions dû débattre, monsieur le ministre !
Même si les solutions ne sont pas toutes de niveau législatif, un éclairage du Gouvernement sur ces questions, et sur les initiatives qu'il compte prendre, aurait été bien utile. Cet éclairage aurait rendu ce débat à la fois plus clair et plus attractif. Il aurait permis de replacer les dispositions techniques du projet de loi dans leur contexte global.
Enfin, il aurait été intéressant d'aborder certains aspects connexes, comme celui de la sécurité informatique, ou encore de la protection des données personnelles.
La sécurité informatique est une question capitale pour le succès de la monnaie électronique. Que faisons-nous à ce sujet ? Quelles sont les mesures qu'il serait intéressant de prendre, y compris au niveau législatif, pour garantir la sécurité des transactions et, en conséquence, la confiance des Français dans le système de monnaie électronique ?
Une autre question sensible se pose : celle de la gestion des données personnelles.
L'usage de la monnaie électronique rend possible une très grande traçabilité des échanges, ce que ne permettent pas les paiements en numéraires. C'est une très bonne chose dans la lutte contre la fraude, mais c'est inquiétant en ce qui concerne la protection de la vie privée. Il nous revient donc, en tant que législateur, de fixer les limites et d'établir les équilibres.
Or, dans ce projet de loi, vous ne traitez qu'un aspect de la question : celui de la lutte contre la fraude, qui plus est, en prenant une fausse route.
En effet, il n'est pas possible de transposer à la monnaie électronique, comme vous le faites dans le texte, les limitations fixées aujourd'hui pour les paiements en liquide. Pourquoi fixer des seuils maximaux de paiement en monnaie électronique ? Les paiements étant traçables par voie électronique, les risques de fraudes sont bien moindres qu'avec un chèque ou du liquide. Il faudrait même être assez stupide pour se livrer à du blanchiment à grande échelle avec de la monnaie électronique.
En revanche, il y a de véritables enjeux dans la lutte contre la contrefaçon. Même si c'est loin d'être évident, frapper au portefeuille est un moyen de lutter contre la contrefaçon en ligne ou contre les paris sportifs illicites. Pour ce faire, il faut mettre en place des règles et des procédures qui n'existent pas ou qui ne sont pas assez efficaces.
La traçabilite des flux de monnaie électronique offre des perspectives intéressantes dans ce domaine, mais elle nécessite la mise en place d'un cadre spécifique qui ne peut pas être le simple décalque de ce qui existe pour la monnaie physique. Une fois de plus, on commet l'erreur de plaquer ce qui existe pour l'économie physique sur l'économie numérique.
Monsieur le ministre, j'ai comme l'impression que vous êtes passé à côté de nombreuses implications de ce texte. C'est dommage car ce sont des sujets importants dont il faut débattre et qui, pour le coup, sont éminemment politiques.
Sur le fond, je l'ai dit, nous avons une réserve au sujet des moyens de paiement spécifiques.
Il est prévu que des entreprises peuvent, sans entrer dans le cadre de la directive, émettre et gérer de la monnaie électronique en vue de l'acquisition de biens ou de services exclusivement dans les locaux de l'entreprise ou dans le cadre d'un réseau limité ou pour un éventail limité de biens et de services. En clair, les unités chargées sur un instrument de paiement spécifique seront de la monnaie électronique, mais sans que l'entreprise qui les émet ne soit ni établissement de monnaie électronique ni soumis aux règles qui leur sont applicables. Elle sera donc hors du cadre de la directive.
Pour autant, ces entreprises ne seront pas sans cadre juridique. Ce sera même le contraire puisqu'on va les astreindre à une surveillance par la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel avec un cadre juridique largement défini par voie réglementaire.
La France est la seule à avoir fait le choix de créer un régime dérogatoire aussi large, et à ne pas faire entrer ces moyens de paiement spécifiques dans le cadre de la directive. Monsieur le ministre, pouvez nous en expliquer les raisons ? Pouvez-vous aussi nous donner des indications précises sur le champ de cette dérogation et sur les seuils qui vont être fixés ? Pouvez-vous nous dire, concrètement, qui sera concerné ?
Tous les observateurs ont pointé le fait que la première directive, celle de 2000, avait été transposée de manière trop restrictive et prudentielle. C'est l'une des causes du retard important de la France dans le domaine de la monnaie électronique. Ne sommes-nous pas en train de faire exactement la même erreur avec ce régime dérogatoire des moyens de paiement spécifiques ? J'ai quelques craintes à ce sujet.
Bien qu'incomplet à nos yeux, et hormis la réserve que j'ai exprimée sur le dispositif relatif aux moyens de paiement spécifiques, ce projet de loi n'est guère critiquable dans son contenu. Il colle largement au texte de la directive, et il nous permet de respecter nos obligations de transposition en évitant de justesse une nouvelle amende dont nos finances publiques peuvent faire l'économie.
Le groupe Rassemblement-UMP votera donc pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Rassemblement-UMP.)