Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la discussion autour de ce texte illustre le caractère bien souvent artificiel des travaux parlementaires relatifs à la transposition dans notre droit national de directives adoptées par l'Union européenne.
Je dis « artificiel », parce que – et c'est bien logique, sans cela il n'y aurait pas d'Union – la capacité du Parlement à modifier les textes qui lui sont soumis est extrêmement étroite.
Je dis aussi « artificiel », parce que la diversité, j'allais dire la disparité, des sujets qui viennent alimenter ce texte nuit au travail parlementaire. En effet, qu'y a-t-il de commun entre la facilitation de l'usage de la monnaie électronique, la finalisation de l'arsenal déployé au beau milieu de la crise économique et financière pour renforcer la supervision européenne des secteurs de la finance, et la protection des entreprises grâce à la lutte contre les retards de paiement ?
Adoptées entre septembre 2009, pour la plus ancienne, et février 2011, pour la plus récente, les trois directives qui nous sont soumises aujourd'hui dans un seul et même paquet n'ont finalement en commun que d'être européennes et que de devoir être adoptées au plus vite, l'inaction du gouvernement précédent nous faisant courir le risque d'une condamnation pour non-transposition de décisions européennes dans notre droit national.
Cette seule nécessité d'une adoption rapide ne constitue pas, chacun en conviendra, un facteur suffisant pour en faire un texte cohérent et lisible.
Oui, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, l'Europe demeure pour les Parlements nationaux plus souvent une simple contrainte formelle qu'une réelle occasion de débats.
Les optimistes, au risque d'être qualifiés de béats, objecteront que cette articulation entre échelon européen et institutions nationales progresse, et que le contrôle de subsidiarité en amont, institué par le traité de Lisbonne, permet une meilleure prise en compte de la volonté des Parlements. Ils ont raison.
Mais les pessimistes, au risque d'être qualifiés de sceptiques, verront dans notre exercice d'aujourd'hui la preuve du caractère bien souvent fictif du fonctionnement démocratique de l'Union : ont-ils, franchement, totalement tort ?
Nous avons là, sous nos yeux, l'illustration sans doute la plus convaincante, même si elle est faite par l'absurde, de la nécessité d'un saut fédéraliste qui permettrait tout à la fois à l'Europe d'être plus réactive, et aux institutions nationales de jouer, sur les questions essentielles et non dans une logique purement formelle, leur rôle de contrôle démocratique et d'élaboration de la loi.
Voilà pour la procédure. Allons désormais au fond.
Au premier étage de ce dispositif, il y a donc la transposition des dispositions européennes concernant la monnaie électronique. Voilà un sujet concret, qui concerne l'ensemble de nos concitoyens.
La définition d'un cadre commun en matière de monnaie électronique à travers l'Union européenne est une avancée importante, singulièrement dans un pays comme le nôtre, où les expériences en la matière ont échoué, pour des raisons diverses et variées. Le contrôle, par les banques, du système Moneo, et les frais imposés aux commerçants avaient conduit à cet échec. En créant une nouvelle catégorie d'établissements, les établissements de monnaie électronique, afin de supprimer le monopole bancaire en matière de monnaie électronique, l'Europe démontre qu'elle peut jouer un rôle utile pour résister au poids de lobbies puissants. Elle crée les conditions d'une dynamisation de ce secteur à l'échelle de tous les pays européens, sur une base harmonisée.
Les lobbies – singulièrement les banques –, parlons-en.
Ils sont au coeur des dispositions figurant au deuxième étage de cette étonnante fusée législative qui nous est soumise aujourd'hui. Adoptée le 24 novembre 2010, au lendemain d'une crise qui a failli emporter l'ensemble de notre système bancaire et financier, la directive du Parlement européen et du Conseil vise à mettre les compétences des diverses agences européennes de régulation en cohérence avec leur nouvelle architecture : que des précisions soient enfin effectives, qui concernent l'Autorité bancaire européenne, l'Autorité européenne des assurances et l'Autorité européenne des marchés financiers, voilà qui ne peut que nous satisfaire.
Cette directive, dans un vocabulaire technocratique dont l'Europe a le secret, est dénommée « Omnibus I ». Deux ans pour la mettre en oeuvre : pour une fois, la novlangue européenne a un sens. On est en effet plus proche de l'omnibus que du TGV ! Au-delà du trait d'humour, il y a là une réalité inquiétante.
La question du contrôle et de la supervision bancaires est au coeur des préoccupations de tous les observateurs des soubresauts de nos économies.
Le bras de fer est permanent entre des banques qui n'ont, suite à l'épisode de 2010, modifié leurs logiques de fonctionnement qu'à la marge et des responsables européens qui demeurent engoncés dans leurs contradictions.
Et il nous faut deux ans pour traduire dans notre droit la première pierre du nouvel édifice européen ! Comment ne pas être inquiet du délai qui sera mis pour que soient effectives les décisions attendues très prochainement sur le contrôle bancaire préalable au déclenchement d'aides via le MES, le Mécanisme européen de stabilité ?
Sous nos yeux, nous avons la démonstration de ce que la souveraineté nationale n'est pas seulement, sur ces questions, une fiction : son mythe est un frein à la mise en oeuvre des décisions qui s'imposent.
Le précédent gouvernement avait cru pouvoir régler la question en procédant par ordonnances, en vertu d'une habilitation qui aurait été accordée par l'une des dernières lois Warsmann. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré cette disposition.
En vérité, ce n'est pas par des artifices législatifs nationaux que l'on pourra réduire le délai de mise en oeuvre des directives européennes indispensables en matière de contrôle des organismes financiers et bancaires. C'est par un mode de fonctionnement fédéraliste – on y revient –, démocratique, c'est-à-dire où le Parlement européen jouera pleinement son rôle, et dans lequel le contrôle parlementaire national s'exercera en amont des décisions.
Le dernier élément de ce curieux attelage législatif n'appelle, enfin, pour les écologistes, pas d'objections ni de commentaires complémentaires : la lutte contre les retards de paiement dans le cas de transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics est un objectif louable, et même vital pour beaucoup de petites et moyennes entreprises. Si cette nouvelle disposition permet, à l'échelle des Vingt-Sept, de répondre aux attentes des acteurs économiques, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, chers collègues, les députés écologistes voteront ce texte, même s'il est de bric et de broc. Un texte à l'image, finalement, d'une Europe qui sait se montrer utile, qui sait apporter des améliorations concrètes à la vie quotidienne de nos concitoyens, qui entend renforcer le contrôle des organismes bancaires et financiers qui ont failli conduire ses économies à leur perte. Mais une Europe lente dans l'application de ses décisions, brouillonne dans ses modes de fonctionnement, et finalement bien peu lisible pour les Européens.