Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite des événements meurtriers survenus à Toulouse et à Montauban en 2012, le précédent gouvernement avait déposé, en mai dernier, un projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme.
Sans reprendre toutes les dispositions de ce texte, écartant en particulier la pénalisation de la consultation habituelle de sites internet à caractère terroriste, le projet de loi que nous examinons s'inscrit dans sa continuité. Il s'agit ainsi d'adapter notre dispositif anti-terroriste à l'émergence de nouvelles menaces, et de consolider son efficacité d'ensemble.
Or, comme l'a très récemment souligné la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, il convient de s'interroger sur l'opportunité même d'apporter des modifications à la législation antiterroriste.
En effet, force est de constater que notre législation antiterroriste a connu un renforcement graduel depuis vingt-cinq ans. Et comme le ministre de l'intérieur l'a lui-même relevé devant notre assemblée, « la législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète ».
Dès 1986, il a été considéré que le terrorisme n'était pas un agissement criminel comme les autres, tant dans ses motivations que dans ses effets. La loi du 9 septembre 1986 a ainsi défini une incrimination pénale spécifique et en a tiré des conséquences procédurales particulières, notamment la compétence centralisée à Paris et une durée de garde à vue prolongée.
Après les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme a ensuite connu une accélération vertigineuse : de nombreuses mesures et décisions ont été prises à l'échelon international, communautaire et national. Notre dispositif législatif a donc été modifié pour prévoir un grand nombre de mesures exceptionnelles.
Or, si nous admettons naturellement que des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles, la question de la ligne de partage entre l'efficacité de la législation antiterroriste et le respect des libertés publiques doit toujours être posée.
Si la nécessité de lutter contre les méthodes et les actes terroristes – qui visent « l'anéantissement des droits de l'homme, des libertés fondamentales et de la démocratie », comme le rappelle la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 8 septembre 2006 – n'est pas discutable, il convient en revanche de ne pas banaliser les procédures d'exception. Le développement des procédures dérogatoires et d'exception restreint inéluctablement l'état de droit et les libertés de tous.
En cette matière sensible, les moyens mis en place pour lutter efficacement contre le terrorisme doivent veiller à préserver l'équilibre entre ces mesures et le respect des libertés fondamentales et de l'état de droit.
Or, comme je vous l'ai dit, nous sommes dubitatifs quant à la nécessité même d'adapter, une nouvelle fois, notre législation antiterroriste. Nous ne sommes pas les seuls à le penser, nombre d'experts et de hauts magistrats considèrent qu'elle est suffisante.
Ainsi, M. Marc Trévidic déclarait devant la commission sénatoriale d'évaluation de la législation : « La loi française nous donne tous les pouvoirs nécessaires, et il ne me paraît pas sain de la modifier en réaction à un fait divers ». Il précisait : « De nouveaux textes nous ont donné des pouvoirs croissants ; nous ne pourrions pas aujourd'hui en avoir beaucoup plus. Nous avons à notre disposition tous les moyens d'investigation. Nous pouvons à peu près tout faire ».
De même, M. Alain Bauer a estimé que la législation n'était pas en cause : « La lutte contre le terrorisme ne se heurte pas à des problèmes techniques, ni légaux. Notre législation est riche et seuls seraient utiles quelques ajustements concernant les nouvelles technologies. »
Nous considérons, pour notre part, que notre législation antiterroriste est déjà très répressive et que la lutte contre le terrorisme doit passer avant tout par un combat contre ce qui le nourrit, à savoir la misère des peuples et leur humiliation par des comportements dominateurs. Les interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye, qui ont contribué à accroître les tensions et à développer l'insécurité, ainsi que le creusement des inégalités entre pays riches et pauvres, qui s'accentue encore du fait de la crise financière, sont les maux qui forment le terreau du terrorisme. Ce sont ces maux qu'il convient de soigner urgemment. Pour lutter efficacement contre le terrorisme, il convient également d'appréhender le phénomène dans son intégralité. Comme l'a souligné le Président François Hollande en octobre dernier, l'État doit se mobiliser pour « lutter contre toutes les menaces terroristes », tout en exprimant son « refus de tout amalgame » visant la communauté musulmane française.
À cet égard la situation en Corse apparaît particulièrement préoccupante. L'impuissance de l'État est patente, et les dispositions de ce projet de loi ne sauraient répondre aux attentats qui se multiplient sur l'île.
Aussi comprendrez-vous que nous ne puissions soutenir votre projet de loi. Le texte reprend en son article 1er les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006 – déjà prorogées en 2008 – pour en demander la prorogation jusqu'à la fin de l'année 2015. Ces dispositions interfèrent directement avec l'exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux. Adoptées à titre expérimental et pour un temps limité, elles sont loin d'être insignifiantes, et la gauche dans son ensemble s'y était d'ailleurs opposée en raison de leur caractère restrictif.
Il s'agit d'abord des mesures de contrôles d'identité sur les lignes ferroviaires internationales, détournées de leur objet pour participer à la lutte contre l'immigration clandestine. Sur ce point, au regard des discriminations et des dérives liées aux contrôles d'identité, les députés du Front de gauche souhaitent une réforme globale de cette procédure. Il s'agit d'un voeu également émis par le Défenseur des droits lui-même, qui porte un regard sévère sur l'état des relations entre la police et la population dans son rapport du 16 octobre dernier « relatif aux relations police-population et aux contrôles d'identité ».
Il s'agit, ensuite, d'autoriser de manière extensive l'accès, en principe réservé à l'autorité judiciaire, des agents de police administrative à des données personnelles : communication de données d'identification ou de connexion à des services de communication électronique, accès direct à des fichiers administratifs.
En outre, la constitutionnalité de ces dispositions expérimentales, prorogées pour la seconde fois, pose question au regard de l'article 37-1 de la Constitution, qui prévoit la possibilité « pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Dans notre cas, l'expérimentation en viendrait tout de même à durer près de dix ans.
L'article 2 du projet de loi crée un nouvel article 113-13 dans le code pénal, qui permettra de poursuivre en France un délit terroriste commis à l'étranger dès lors que son auteur est de nationalité française ou réside habituellement sur le territoire français. Nous sommes sceptiques quant à l'utilité de la création de ce nouveau délit. D'une part, le délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet déjà de couvrir la plupart des situations, l'association de malfaiteurs étant une notion très large, qui laisse beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français. D'autre part, il est difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l'étranger, d'autant plus que dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale, dont les résultats dépendent de la bonne volonté des autorités du pays.
Concernant l'article 3 et la commission d'expulsion, nous sommes défavorables à l'instauration d'un délai impératif pour l'émission de ses avis, car cela ferait inévitablement peser négativement sur les ressortissants étrangers les conséquences des encombrements des audiences. En outre, l'introduction de la notion de rejet implicite revient à amoindrir encore le rôle de la commission, pourtant essentiel dans la garantie des droits de la défense, sachant que, depuis la loi du 24 août 1993, ses avis n'ont déjà plus qu'un caractère facultatif.
Pour conclure, les députés du Front de gauche maintiendront leur abstention sur ce projet de loi.