Plusieurs d'entre vous ont dit que l'accord TTIP sera positif. Peut-être. On verra. Je suis incapable aujourd'hui de vous dire si ce sera un bon ou mauvais accord, puisqu'il n'y a pas encore d'accord : nous en sommes au stade des négociations. D'ici là, l'Union européenne et chacun de nos pays ont intérêt à être au maximum offensifs dans les discussions.
Dans une négociation, la maîtrise du temps est importante. Aujourd'hui, il est très difficile de se prononcer sur le calendrier alors que le mandat de négociation n'a pas été confié aux négociateurs américains. Il est extrêmement difficile de faire des pronostics alors que, aussi absurde que cela puisse paraître, ceux qui négocient depuis le début au nom de la puissance américaine n'ont pas été habilités par le Congrès pour le faire. Il y a encore, à l'évidence, des préalables très importants. Je respecte tout à fait les exigences et les enjeux de la procédure américaine, mais il est impossible pour un État européen de s'engager sur une date butoir alors que les négociations ne sont pas engagées avec un mandat précis. Je le répète, le fond est plus important que le calendrier. Il est important que, sur les différents sujets que vous avez évoqués et que j'ai cités tout à l'heure, les choses puissent avancer de manière beaucoup plus significative qu'actuellement.
S'agissant de la transparence et la démocratie, je crois avoir déjà répondu.
Sur le fond, nous pensons que le CETA est un bon accord parce que les marchés publics canadiens sont très ouverts, que le Canada est allé très loin dans ce qu'il a accepté et parce que les différents niveaux d'administration publique, à la fois national et infranational – les provinces, les communes – sont tous liés par l'accord. À l'évidence, c'est un standard très important, y compris dans les négociations avec les États-Unis. Si des avancées doivent être obtenues sur les marchés publics américains, il devra s'agir de vraies avancées et non de proclamations officielles. On est très loin aujourd'hui du traité avec le Canada en ce qui concerne les discussions transatlantiques actuelles. De même, le Canada a reconnu de manière très importante les indications géographiques européennes. Quarante-deux nouvelles indications géographiques pour la France s'ajoutent aux indications géographiques qui avaient été reconnues dans les vins et spiritueux au début des années 2000. Beaucoup de vos pays ont obtenu des reconnaissances importantes dans ce domaine. Là aussi, le standard est très élevé pour les négociations en cours. Nous avons, s'agissant du traité avec le Canada, un problème qui concerne là aussi l'arbitrage – c'est le chapitre 33. Nous n'appelons pas à une réouverture des négociations puisque, sur le fond, l'accord nous semble bon, mais des évolutions devront prendre en compte la proposition française qui a été faite sur les règlements des différends qui a vocation à s'appliquer progressivement à tous les futurs accords de l'Union européenne.
Vous avez cité l'exemple de Vattenfall. Bien évidemment, cela n'a rien à voir avec l'ISDS américain puisqu'il n'existe pas aujourd'hui, mais cela a à voir avec l'ISDS puisque c'est un mécanisme d'arbitrage bilatéral qui a été négocié entre la Suède et l'Allemagne et qui permet aujourd'hui cette procédure. Nous sommes au coeur de la dérive de l'arbitrage, qui n'est plus simplement une protection des entreprises contre des décisions arbitraires, mais une attaque frontale contre des choix politiques souverains et démocratiques. C'est inacceptable. D'où le travail engagé sur ce point.
En revanche, je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il y a des enjeux de compétitivité très importants. C'est vrai dans notre pays où le Gouvernement mène une politique de réformes très ambitieuse, comme l'illustre l'actualité récente. Un travail très important a été réalisé au Parlement pour redresser l'économie, la faire monter en gamme, la rendre plus compétitive à l'international. Je le constate à chacun de mes déplacements : à chaque fois que la France est dans la montée en gamme et dans la qualité, elle remporte des marchés. Ses savoir-faire remportent l'adhésion partout dans le monde. Cet enjeu est très important. Il est vrai en partie à travers les négociations internationales et à travers les réformes que chaque pays doit mener.
J'en viens au Conseil de coopération réglementaire, sujet très important, comparable d'un point de vue politique, voire philosophique, à la question de l'arbitrage. Les mêmes questions se posent en matière de souveraineté, de respect de la démocratie. La France ne souhaite en aucun cas qu'il puisse y avoir dans ce traité un organe avec un pouvoir de décision, un pouvoir réglementaire ou un pouvoir législatif de quelque manière que ce soit. Qu'il puisse y avoir des concertations sur telle ou telle norme technique à ajuster : soit. Mais qu'il puisse y avoir le moindre pouvoir de décision, c'est inacceptable surtout lorsque l'on sait que certains voudraient que ce ne soit pas réciproque, que ce soit applicable à la partie européenne mais pas forcément à l'autre. Sur ce point, notre position est tout à fait claire.
La France, comme tous les États membres de l'Union européenne, considère qu'il s'agit d'accords mixtes. C'est aussi l'analyse du Conseil de l'Union européenne. Tous les États que vous représentez ont la même opinion. C'est un sujet fondamental qui nécessite une ratification au niveau national.
Le lien entre le traité transpacifique (TPP) et le traité transatlantique rejoint notre préoccupation en ce qui concerne la fragmentation de l'espace commercial mondial. Il nous semble que les différents États qui négocient le TPP ont davantage accès aux informations sur la négociation que ce n'est le cas en ce qui concerne le traité transatlantique. C'est un premier point de différence très important. Nous avons souvent l'occasion de le plaider. Cela prouve que l'on peut aller plus loin dans la transparence qui doit être octroyée. Il est probable que les choses aillent plus vite s'agissant de la négociation transpacifique, qui est beaucoup plus avancée et entre maintenant dans une phase décisive. Mais le risque de fragmentation et de concurrence entre les différentes négociations est très important et plaide en faveur du retour au multilatéralisme le plus rapidement possible.
Faut-il revoir le mandat de négociation ? Cela ne me semble pas indispensable. La proposition française, qui répond à toutes les objections et à tous les problèmes qui sont soulevés actuellement sur le règlement des différends, peut très bien être négociée par la Commission européenne dans le cadre du mandat tel qu'il existe aujourd'hui. En tout cas, c'est ce que nous souhaitons parce que c'est une proposition d'avenir et une proposition pour l'avenir.
La défense des services publics est un combat constant de la France et de nombreux pays européens. Vous savez que les services publics sont expressément exclus du champ des négociations transatlantiques. S'agissant du TiSA, les services publics sont protégés par une réserve qui est appliquée au principe du traitement national. Là aussi, c'est une constante de la position française mais aussi des négociateurs européens sur ces sujets.
Je vous remercie de m'avoir invité à cette réunion qui, je n'en doute pas, sera suivie par beaucoup d'autres travaux de votre part.