Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, porté par Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, s'est penché sur la médecine du travail, et le Gouvernement a installé une mission chargée de réfléchir au problème posé par cette médecine, qui ne remplit pas les obligations que lui assigne le code du travail, du fait, notamment, d'un déficit démographique. La médecine du travail devrait assurer environ 30 millions de visites par an, mais elle n'en effectue que 10 millions ; la multiplication des contrats de très courte durée explique largement cet écart.
La mission a procédé à quatre-vingts auditions pendant six mois et a dressé des constats nourrissant des propositions visant à améliorer le fonctionnement de cette médecine. Les cinq membres de cette mission estiment que l'existence de la médecine du travail ne peut être remise en cause, car elle remplit l'utile fonction de connaître la santé des salariés ainsi que leur environnement de travail. Il n'est pas davantage question de revenir sur les dispositions de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 concernant la médecine du travail ni sur la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail. Ces textes ont incité au développement de la pluridisciplinarité et souhaitaient déjà s'attaquer au manque de médecins du travail. De 6 000 médecins en 2010, cette population ne compte plus que 5 000 praticiens en 2012 ; si ce rythme se poursuivait, ils ne seraient plus que 2 000 en 2030. Cette spécialité n'attire pas les jeunes internes, puisque seuls 100 postes ont été pourvus sur les 160 offerts cette année. Il faut trouver des solutions pour enrayer ce déclin.
Ces amendements visent à clarifier le débat sans fin centré sur l'opposition entre l'aptitude et l'inaptitude. Certains contestent la notion même d'aptitude, qui ne repose sur aucune définition véritable, alors que celle d'inaptitude se décline, de l'incapacité totale à l'aptitude avec réserves. Aux yeux de la mission, il était essentiel d'alléger les visites d'aptitude, certaines d'entre elles pouvant être effectuées par d'autres personnes que les médecins du travail qui, de toute façon, n'ont pas le temps de les faire aujourd'hui. De nombreux salariés ne restant qu'un mois dans une entreprise ont travaillé en toute illégalité, car ils n'ont jamais vu de médecin du travail. Les personnes occupant des postes de sécurité et à risques doivent être fréquemment examinées – nous avons proposé une périodicité de cinq ans, alors que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) autorisent de la fixer à six ans –, le récent accident d'avion de la Lufthansa ayant montré l'importance de la médecine du travail, mais également les difficultés de sa mission. Il reste à délimiter la catégorie des métiers à risques.
On peut comprendre qu'un médecin du travail ne souhaite pas déclarer une personne inapte, mais il pose parfois tellement de conditions à l'autorisation d'occuper le poste que cela aboutit souvent à un licenciement.
L'amendement AS85 modifie les articles législatifs du code du travail et vise à harmoniser les dispositions de la première partie du code sur les mesures de reclassement et les modalités de rupture du contrat de travail ; il a également pour objet de généraliser les dispositions de la loi sur les obligations de reclassement de l'employeur et sur la rupture du contrat de travail à tous les cas d'inaptitude – que celle-ci résulte d'une maladie professionnelle, d'un accident du travail ou de tout autre facteur et qu'elle suive ou non une période de suspension du contrat de travail ; il se propose enfin de clarifier les relations entre l'employeur, le salarié et le médecin du travail. Ainsi, nous proposons d'écrire dans la loi que « L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un poste dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 [du code du travail], soit du refus par le salarié du poste proposé dans ces conditions, soit du fait que l'avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise (…) ».
L'amendement AS79 a trait à la pénibilité : à notre grande surprise, les médecins du travail nous ont affirmé que l'obligation d'une visite semestrielle aux travailleurs de nuit ne s'imposait pas pour la santé du salarié. Néanmoins, le travail de nuit cause des dégâts et constitue l'un des dix critères de la pénibilité. Le salarié peut d'ailleurs consulter à tout moment le médecin du travail.
L'amendement AS82 a pour objet de compléter le chapitre intitulé « Actions et moyens des membres des équipes pluridisciplinaires de santé au travail » du code du travail, en organisant de façon intelligible le suivi de l'état de santé des travailleurs, notamment en s'appuyant sur l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail. Cette dernière représente l'avenir de la médecine du travail, notamment pour les nombreux salariés de très petites, de petites et de moyennes entreprises (TPE) et (PME) qui ne rencontrent jamais de médecin du travail.
Cet amendement vise à insérer de nouvelles dispositions dans le code du travail. La première consacre le suivi de l'état de santé de tous les travailleurs par le médecin du travail ou par les professionnels de santé, notamment l'infirmier, membres de l'équipe pluridisciplinaire qu'il anime et coordonne. La deuxième précise que le médecin s'assure de l'aptitude des salariés ; la mission souhaitait instaurer un double contrôle systématique, mais nous ne retenons pas cette piste même si les contrôles spécifiques sont bien entendu maintenus pour certaines professions comme les pilotes d'avion de ligne. La troisième disposition explicite les propositions que peut formuler le médecin du travail, après avoir entendu le salarié, pour préserver l'état de santé de l'intéressé tout en permettant de le maintenir à son poste de travail. L'essentiel est de s'assurer de l'adéquation entre le poste et l'état de santé, et le rôle du médecin s'avère fondamental en la matière.
La quatrième modification définit les conditions dans lesquelles un avis d'inaptitude peut être rendu. Cette dernière ne peut être prononcée qu'en dernier recours, à la suite d'une étude de poste et alors que les échanges avec le salarié et l'employeur ont montré qu'aucun aménagement n'était possible et qu'un changement était seul capable de préserver l'état de santé de l'employé. Ces avis se soldent fréquemment par des licenciements, si bien qu'ils doivent être accompagnés d'indications relatives au reclassement du salarié.
La cinquième valorise les échanges entre le médecin du travail, le salarié et l'employeur. Il convient que l'aide apportée à ce dernier pour mettre en oeuvre les propositions du médecin soit formalisée. Une discussion portant sur les mesures proposées doit être menée avec le salarié, mais elle ne doit pas forcément aboutir au consentement de celui-ci. En effet, il arrive souvent que des employés refusent de quitter leur poste de travail, alors que le médecin du travail les a déclarés inaptes.
Enfin, une dernière disposition organise la contestation des propositions, la direction générale du travail (DGT) ayant constaté que les inspecteurs du travail n'apportaient pas de valeur ajoutée à l'avis du médecin. Il s'agit en effet de deux métiers différents, et nous proposons que la procédure de contestation des avis du médecin du travail devant l'inspecteur du travail soit remplacée par la possibilité de solliciter un expert près de la cour d'appel. Si le désaccord persiste, le litige est alors porté devant les prud'hommes.
Les décrets d'application de la loi devront identifier les postes de sécurité, ainsi que ceux à risques par catégorie d'entreprises. Ces derniers ne devront pas être trop nombreux, afin de ne pas condamner à nouveau la médecine du travail à l'impossibilité d'accomplir ses missions. Le dialogue social aura à se pencher sur cette question qui touche à celle du maintien dans l'emploi, preuve que cet article 19 a bien toute sa place dans ce projet de loi.
Ces amendements sont donc issus d'un rapport que nous avons présenté au conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT), celui-ci ayant émis des avis positifs ou négatifs très tranchés sur les propositions émises. Deux organisations syndicales se sont montrées favorables à son orientation et soutiennent les amendements déposés, la confédération générale du travail (CGT) et la confédération française démocratique du travail (CFDT) ont été plus nuancées, et d'autres structures nous ont fait part de leur opposition, ces différences accompagnant la publication de chaque rapport.
La pire politique pour la médecine du travail serait l'immobilisme, car la loi pose l'obligation de visites bisannuelles alors que les DIRECCTE, directions déconcentrées de l'État, acceptent qu'elles n'aient lieu que tous les six ans. La situation sur le terrain rend nécessaire l'intervention du législateur.