Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 26 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Le questionnaire – qui est une très bonne idée – permet de mesurer la sensibilité de tous ceux qui ont participé aux travaux de la commission. Pour ce qui me concerne, mes positions ont évolué sur certains points ; ainsi de la Sixième République : plutôt que d'en passer par un moment très violent, je plaiderais plutôt, désormais, pour une Cinquième bis. Il est très important que le résultat de nos travaux soit suffisamment clair et donne des perspectives. Bien sûr, nous n'aboutirons pas à une position commune – sinon elle serait des plus tièdes – et il faudra laisser apparaître un certain nombre de tendances.

Je reviendrai sur deux événements récents. Je m'astreins depuis un certain temps, notamment à cause de nos travaux, à ne plus commenter ce type d'événements afin d'avoir du recul.

Le premier est la manière dont le Premier ministre a décidé d'appliquer l'article 49, alinéa 3, de la Constitution : au cours d'une micro-intervention, coupant court à tout débat, il nous a expliqué qu'il fallait aller vite. On n'entend d'ailleurs que cela : j'ai lu que le Président de la République allait juger les ministres en fonction de la rapidité avec laquelle ils prenaient leurs décrets d'application. Or on se trompe : quel est le problème « majeur » de la France depuis deux jours ? Celui des taxis !

Pouvons-nous nous montrer francs sur le sujet ? Entre 1973 et 2012, le prix de la licence de taxi a été multiplié par quarante et, ces dernières années, il est passé de 200 000 à 250 000 euros. Or ce problème ne vient pas de surgir : identifié depuis plus de vingt ans, il est lié à la fois à l'économie de la rente et à la révolution numérique en cours, et non pas au temps parlementaire, à la sortie attendue de décrets d'application – ce serait mentir que de l'affirmer. C'est donc davantage une question de prise en compte des enjeux politiques que de fonctionnement des institutions qu'il s'agit.

Notre responsabilité me paraît être d'introduire de la raison et de la lenteur dans le processus législatif pour éviter non pas la rapidité mais bien l'agitation : élaborer la loi exige prudence et responsabilité. L'accélération évoquée implique que la seule réponse politique que l'on puisse trouver à certaines questions est d'ordre législatif.

Quand on brusque certaines décisions, le Conseil constitutionnel est aujourd'hui le dernier recours. Quel sens y a-t-il à ce que le chef de l'exécutif, dont nous avons dit à quel point il était déjà puissant, saisisse le Conseil constitutionnel de l'intégralité d'une loi qui vient d'être votée ? Tour le monde a l'air de considérer cette pratique comme logique, mais on nous empêche d'assumer des choix politiques de moyen, voire de long terme, ou même de réparer des erreurs. Je prendrai un autre exemple : celui de la taxe poids lourds, fruit d'un travail considérable, faisant l'objet de l'unanimité dans le cadre de la loi « Grenelle », et appliquée par deux majorités différentes – avant que tout s'arrête subitement.

Nous nous éloignons peut-être un peu du sujet, mais il faut prendre ce type d'exemples en considération car, à rester à un niveau stratosphérique, nous nous mentirions à nous-mêmes. Parmi les difficultés que nous avons identifiées figure la très grande responsabilité du Président de la République : dès lors qu'un seul individu est sommé d'apporter des réponses sur tous les sujets du jour au lendemain, le fonctionnement démocratique s'en trouve fragilisé.

J'espère que le questionnaire mettra en évidence, sur plusieurs points, des « bougés », pour reprendre votre expression, monsieur le président. Et j'espère que l'absence de plan caché de votre part ne signifie pas que nous n'aboutirons à aucun résultat. En effet, notre groupe de travail n'est pas si anodin. Dans les circonstances présentes, nous devons oser la franchise. Je ne prétends pas détenir la vérité sur tout : nos débats, je l'ai dit, m'ont amenée à changer d'avis sur certaines questions – ainsi des relations entre le Sénat et le CESE, sujet sur lequel j'ai été en effet très influencée par ce que j'ai entendu. Au contraire, plusieurs auditions ont renforcé mon point de vue initial, comme sur le scrutin proportionnel.

La composition du groupe de travail est si originale que nous devons oser affirmer un certain nombre de choses : nous en avons besoin. J'ignore si, comme me l'a suggéré une personne autour de la table, nous sommes en 1788 sans que, nous mis à part, les principaux concernés ne s'en soient pas rendu compte, mais je pense que nous devons faire des propositions – les acteurs institutionnels eux-mêmes étant du reste bien conscients de la nécessité de bouger. La situation des taxis et des VTC est douloureuse, alors que nous avions identifié leurs problèmes depuis très longtemps ; si nous agissons de même avec les institutions, ce ne serait plus seulement dangereux mais dramatique.

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