Intervention de Guillaume Tusseau

Réunion du 26 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Guillaume Tusseau :

Je commence par souligner à quel point je suis heureux d'avoir pu participer à cette commission ; l'expérience a été très enrichissante.

Je m'abstiendrai naturellement de tout propos sur la justice, les autorités juridictionnelles et le Conseil constitutionnel.

Je m'interrogerai d'abord sur l'un des préalables de notre discussion, qui a été énoncé par Michaël Foessel : les institutions devraient redevenir le coeur du débat. Je n'en suis pas si sûr : les mobilisations sociales récentes – comme les « zones à défendre » (ZAD) ou les mouvements Occupy – montrent une volonté démocratique mais aussi une sortie des institutions. Ces mouvements n'ont guère de leaders ni de programmes articulés – sinon celui de laisser fructifier des modes d'existence ou de croyance librement, à l'abri des institutions. C'est d'ailleurs ce qui les rend si difficile à lire par les sciences politiques. Paradoxalement, notre mission est peut-être le dernier sursaut d'un monde appelé à vaciller… Cela m'invite à beaucoup de modestie, mais j'ai accepté de faire partie de cette mission et je sais pourquoi je suis là.

En remplissant le questionnaire – qui est en effet très bien conçu – je me suis senti partagé entre des aspirations abstraites, utopiques, révolutionnaires d'un côté, et de l'autre le concret, le faisable aujourd'hui, en 2015. Je me suis donc résolu à parler de ce qui me semble urgent.

Il est d'abord urgent d'avoir une élite politique plus en phase avec la population, plus réactive, plus attentive, plus en mesure d'incarner ce que souhaite le peuple. Pour relégitimer nos institutions – si nous proposons de les conserver –, il faut rassembler les personnes, et supprimer la distance entre les élites et la population.

Cela passe par un statut de l'élu, mais aussi par l'instauration de quotas. Ceux-ci, fait-on souvent observer, présentent un risque de subversion des fondements même de notre culture politique depuis la Révolution ; ils mettraient à mal notre idée d'un citoyen abstrait qui, par le suffrage universel, confie sa voix à un représentant détaché de ce qu'il est concrètement – religion, origine sociale, profession… C'est un risque, je n'en disconviens pas, mais c'est un risque à long terme. À ne rien faire, en revanche, à refuser de prendre la mesure de la déconnexion entre les élites et les citoyens, il y a aussi un risque, mais un risque à très court terme. Marie-George Buffet avait très bien montré cette difficulté, en prenant l'exemple de jeunes de cités qui se portaient candidats sur des listes électorales, quelles que soient la tendance politique et l'idéologie de celles-ci, dans le seul but d'être inclus dans la société. On pourrait citer ici un film célèbre : « jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien »… Alors, bien sûr, instaurer des quotas reviendrait à bouleverser notre culture de la représentation ; ce serait une forme de révolution culturelle, et je suis bien incapable ici de mesure les conséquences d'un tel changement.

Mais, même à dose homéopathique, cela vaudrait la peine d'essayer d'instaurer des quotas, mais aussi le vote électronique, la représentation proportionnelle, la réforme du référendum pour renforcer le rôle de la démocratie directe, les amendements citoyens, des processus – bien sûr très encadrés – de destitution sur initiative citoyenne à l'image du recall américain… Il faut en tout cas essayer de faire entendre la voix de ceux que nos institutions n'entendent plus, et qui se feront entendre un jour ou l'autre, mais d'une manière qui risque d'être délétère, ou à tout le moins très insatisfaisante pour beaucoup d'autres personnes.

Le questionnaire s'intéresse surtout à la mécanique institutionnelle, et laisse de côté les droits fondamentaux. Notre État prend aujourd'hui ses distances par rapport à l'État providence d'il y a encore dix ou vingt ans ; nous pourrions tenter de nous orienter vers un caring state, c'est-à-dire un État qui met en place les conditions qui permettront aux groupes, et aux individus, de développer les cultures, les solidarités, les comportements, qu'ils souhaitent. En ce sens, nous pourrions proposer – ce serait à nouveau une rupture culturelle majeure – de laisser Montesquieu de côté, d'oublier qu'il y a trois puissances dans chaque État, et d'instituer un pouvoir citoyen, comme certains pays le font déjà. Bien sûr, l'institutionnalisation risque de stériliser l'apport original de la volonté citoyenne brute, non filtrée par les mécanismes institutionnels qui sont aujourd'hui contestés. Mais pourquoi ne pas tenter de faire émerger ce pouvoir citoyen, peut-être par un titre autonome dans la Constitution, en rassemblant diverses procédures que j'ai déjà évoquées – référendum, amendements citoyens, possibilités de destitution… ?

Je rejoins enfin le dernier thème évoqué par Denis Baranger : certaines constitutions étrangères prévoient un pouvoir déontologique ou un pouvoir de contrôle. Nous pourrions nous en inspirer en inscrivant par exemple dans notre Constitution la nécessité d'un financement propre et transparent de la vie politique, d'une information, de relais plus forts pour la volonté du peuple…

Ce sont là, vous le voyez, des propositions, des hésitations aussi, voire des élucubrations, mais j'avoue ne pas les regretter : je vous suis donc très redevable d'avoir mis en place ce groupe de travail et je vous renouvelle mes remerciements.

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