Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 26 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Je commence par vous remercier, monsieur le président, de votre travail d'organisation de cette commission. La réflexion menée a été quelque peu iconoclaste, et il faut s'en féliciter : associer parlementaires et experts, en allégeant la présence des constitutionnalistes, fait toute l'originalité de la démarche. Notre président historien fait l'unanimité par ses analyses toujours pertinentes.

S'agissant de nos institutions, je me demande pourquoi il fallait débattre des changements à leur apporter avant d'en avoir conduit une évaluation attentive, au besoin comparative. Une évaluation des réformes déjà menées à bien aurait également été utile.

Les institutions de la Cinquième ont été pensées par le général de Gaulle, dans le détail, à la lumière de sa vie au coeur de l'histoire de France en ce siècle terrible qu'a été le XXe siècle. En un sens, il les incarne encore. Ces institutions ont prouvé leur qualité, leur efficacité ; elles ont apporté à notre pays, pour la première fois de son histoire républicaine, la stabilité gouvernementale.

Ces institutions ont été bâties pour donner les moyens d'agir à une volonté politique incarnée par le pouvoir exécutif soutenu par le peuple ; à l'inverse, il faut se souvenir des institutions de la Troisième et de la Quatrième République, dessinées pour limiter, voire empêcher l'action du pouvoir exécutif, et de leurs résultats. Le chef de l'État, élu par le peuple, directement, incarne la volonté politique, fixe le cap et donne le rythme de la politique que le Premier ministre, chef du Gouvernement, décline en s'appuyant sur une majorité cohérente et homogène à l'Assemblée nationale, grâce au scrutin majoritaire à deux tours.

L'élection présidentielle réussit encore à rassembler près de 80 % des Français inscrits sur les listes électorales : cela nous montre l'attachement que nos concitoyens continuent, contre toute attente, de manifester à cette expression démocratique.

La Cinquième République est solide, et c'est ce que nous devons préserver. Mais, si elles sont solides, nos institutions sont aussi suffisamment souples pour s'adapter aux circonstances, aux hommes et aux femmes, sans que ne soient remis en cause les grands équilibres de notre régime. Ces institutions n'ont-elles pas permis à la France de surmonter la guerre d'Algérie et la crise de Mai 68 ? Ne se sont-elles pas adaptées sans heurt à l'alternance des majorités comme à la cohabitation ?

Nous ne devons donc envisager qu'avec prudence l'introduction dans la Constitution de dispositions qui la rendraient plus rigide, et qui créeraient des situations de blocage insurmontables, comme la France en a hélas jadis déjà connu. On peut toujours concevoir des mécanismes parfaits, au moins sur le papier ; on peut toujours, et il le faut, imaginer des améliorations. Mais on ne peut ignorer la part déterminante de la pratique et du caractère des acteurs qui font vivre les institutions, c'est-à-dire des élus.

Nous avons réformé de façon importante nos institutions à plusieurs reprises, et en particulier en 2008 – il y a sept ans déjà. Avons-nous pour autant utilisé toutes les possibilités offertes par cette réforme ? Je n'en suis pas sûr.

Beaucoup de parlementaires – dont l'actuel Premier ministre – voulaient, en 2008, supprimer l'alinéa 3 de l'article 49 de notre Constitution. Mais le Gouvernement doit disposer d'un moyen de répondre rapidement aux mutations du monde et à leurs conséquences pour notre pays.

Nos institutions reposent notamment sur le couple formé par le Président de la République et le Premier ministre. Au cours du quinquennat de François Hollande, nous avons tous vu que les rapports que le Président de la République entretenait avec Jean-Marc Ayrault n'étaient pas les mêmes que ceux qu'il entretient aujourd'hui avec Manuel Valls. C'est une souplesse remarquable de nos institutions ; mais c'est aussi la preuve que la personnalité, le caractère des acteurs comptent énormément dans la vie de nos institutions.

Guy Carcassonne décrivait la Cinquième République comme un « régime parlementaire à forte domination présidentielle » : c'est bien de ce régime que je reste un fervent partisan, car c'est sans doute la seule manière de faire fonctionner dans notre pays un régime parlementaire de façon à la fois efficace et équilibrée. « L'hyperprésidence », comme la « présidence normale », sont surtout des formules qui décrivent mal des réalités institutionnelles infiniment plus complexes, où les personnes jouent le rôle essentiel.

Il ne faut donc pas toucher, à mon sens, aux dispositions constitutionnelles qui concernent le Président de la République – je pense notamment à la présidence du Conseil des ministres et au droit de dissolution. Le quinquennat, imposé en l'an 2000 – quelques-uns d'entre nous en ont été les témoins – par Lionel Jospin et Valéry Giscard d'Estaing, a bouleversé certains équilibres institutionnels. Il me paraît difficile, mais souhaitable, de revenir sur ce point.

D'une façon plus générale, j'insiste sur la nécessaire évaluation des réformes institutionnelles. Je me range à l'avis de ceux qui considèrent que l'arrivée des primaires dans notre fonctionnement démocratique relève de la Constitution : mais son article 4 dispose déjà que « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage, [qu'ils] se forment et exercent leur activité librement [et qu'ils] doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».

Certains proposent de combiner la réduction des prérogatives du Président de la République avec un recours accru à des mécanismes de rationalisation, afin de garantir la stabilité gouvernementale. Je ne suis pas certain que les résultats de telles réformes seraient différents de ce que l'on a constaté sous la Quatrième République, même si le système des partis a changé. Celui-ci doit être pris en considération, avec ses avantages et ses inconvénients. Aujourd'hui, nous ne pouvons que constater une dérive de la vie politique vers une professionnalisation qui est sans doute la principale cause de l'abîme dramatique qui s'ouvre sous nos yeux entre le peuple et ses élus.

Chacun voit bien que le système politique français entre dans une ère de tripartisme, où son fonctionnement pourrait devenir erratique, où toutes les combinaisons deviennent possibles. La présence d'une troisième force a souvent, sous la IIIe comme sous la IVe Républiques, été à l'origine de grandes confusions, d'un immobilisme, d'une instabilité ministérielle, voire d'une confiscation du choix des électeurs par les appareils partisans. Le caractère démocratique des institutions gaulliennes, c'est-à-dire la désignation par le peuple des responsables chargés de l'essentiel, soutenus par une majorité cohérente et pérenne, mais aussi la légitimité incontestable que ces institutions confèrent à ceux qui veulent réformer le pays ainsi que leur capacité à affronter les crises constituent des atouts considérables pour notre pays. Elles contribueront à nous protéger des effets les plus néfastes de cette division tripolaire.

Au moment où notre système politique est en proie à des turbulences fortes, nous ne croyons pas qu'il faille remettre en cause l'équilibre de nos institutions – équilibre dans lequel le mode de scrutin majoritaire joue un rôle déterminant. Je suis donc opposé à toute introduction, partielle ou totale, du scrutin proportionnel pour élire les députés. Le scrutin majoritaire limite raisonnablement le rôle des partis charnières – on sait que la présence de ceux-ci conduit souvent à des compromis politiciens et électoraux.

C'est sur la modernisation du Parlement que nous pourrions utilement, à mon sens, dégager des propositions de réforme consensuelles, notamment sur la procédure législative. Il faut limiter la prolifération des normes, et leur instabilité ; en particulier, des dispositions de nature réglementaire sont trop souvent inscrites dans nos lois. Nous devrions réformer les études d'impact, aujourd'hui cruellement insuffisantes, mais aussi réfléchir à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques – notamment en tirant les leçons de la réforme de 2008, et en utilisant vraiment les possibilités que celle-ci nous offre, ce qui n'est pas, tant s'en faut, le cas aujourd'hui.

En toutes choses, l'échec conduit bien souvent à remettre en cause les règles du jeu plutôt que les acteurs. C'est ainsi que j'analyse la situation difficile dans laquelle se trouve notre pays.

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