Intervention de Guillaume Tusseau

Réunion du 26 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Guillaume Tusseau :

Je n'en disconviens pas, ma proposition était imprécise. Revenant sur une culture de la représentation longue de deux siècles, elle bouscule la pensée, mais elle a deux intérêts. Le premier, indispensable, est de faire figurer plus visiblement la diversité sociologique, économique, religieuse, culturelle, d'origine ethnique de notre pays dans l'institution qui prétend représenter les Français. Dans le contexte actuel de désaffectation à l'égard du politique, le « désenclavement » des élites élues, coupées de la population au nom de laquelle elles sont susceptibles de parler, est urgent. Et, outre qu'ils permettent une représentation descriptive qui assure la confiance et la restauration d'un lien, les quotas sont utiles à la qualité épistémique des décisions : plus variées sont les voix qui participent à une discussion, plus éclairée est la décision prise et plus facile son application. J'en vois une illustration dans la composition de la commission qui nous rassemble : parce que l'on a pris soin de faire s'exprimer des points de vue divers, le rapport sera beaucoup plus intéressant que si l'on s'était limité à faire siéger seuls vingt parlementaires, vingt constitutionnalistes ou vingt représentants de la société civile. Certains travaux portant sur la sociologie de la décision, en particulier l'ouvrage de Scott Page, The Difference, sont extrêmement convaincants à ce sujet. Si on laisse faire de manière neutre, rien ne bougera. Aussi, l'introduction de quotas, hypothèse qui peut sembler répulsive, mérite d'être expérimentée car, je le répète, il y a urgence puisque certaines voix ne sont pas entendues, soient qu'elles soient exclus du débat politique, soient qu'elles s'en auto-excluent.

Quels critères retenir pour assurer la représentativité ? Notre droit réprouve les statistiques ethniques, auxquelles je suis assez hostile. Mais est-il si difficile d'imaginer que des personnes représentant une religion soient membres ès qualités d'une assemblée parlementaire ? Peut-être pas membres de l'Assemblée nationale, dont on peut concevoir qu'elle doit rester élue par l'ensemble de la population. Mais pourquoi dix sénateurs représentant les catholiques, dix autres les protestants, dix les juifs, dix les musulmans, dix les bouddhistes, ne siégeraient-ils pas au Sénat réformé, si l'on décide de le conserver ? Même si la proposition paraît farfelue ou contestable, le sujet me paraît mériter d'être discuté.

Est-il si sorcier de concevoir un quota de personnes qui seraient sénateurs parce que leur âge est compris entre 18 et 25 ans ? On a objecté à cela qu'il n'était pas besoin d'instaurer un tel quota puisque nous avons tous été jeunes. Permettez-moi d'observer que je n'ai jamais été un jeune d'aujourd'hui, né à l'époque des Facebook, Twitter et iPad triomphants, que je n'ai jamais été le jeune homme qui, avec ses contemporains, se pose maintenant les questions de son temps. Ceux-là méritent de participer aux institutions politiques. S'ils s'en sentent exclus, si le processus politique ne les inclut pas naturellement alors que le temps long est aussi leur affaire, il me semble nécessaire, pour que leur voix soit entendue, de forcer les choses pour imposer dix, vingt ou trente sénateurs dont la seule originalité est la jeunesse ; cela mériterait d'être expérimenté.

La nomenclature de l'INSEE permettrait de pourvoir à la représentation des professions, et l'on pourrait ainsi garantir des quotas d'employés, d'ouvriers, de membres des professions libérales, d'entrepreneurs ou de fonctionnaires dans le Conseil économique, social et environnemental réformé. L'obstacle n'est pas technique mais de principe : maintient-on la conception, à laquelle je suis aussi très attaché, de l'adunation sieyèsienne issue de la Révolution française ou, étant donné la crise de l'intermédiation politique, expérimente-t-on le temps d'un quinquennat, pour resserrer le lien distendu entre la politique et la population, un système de quotas dont on évalue les effets ? Si l'on n'avait pas procédé de la sorte pour imposer la parité en politique…

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