Mes félicitations vont aux auteurs de l'excellent questionnaire qui nous a été adressé ; il fournit une bonne base de travail pour l'élaboration du rapport. On pourrait y insérer quelques questions techniques supplémentaires : l'évaluation de la révision constitutionnelle de 2008 et en particulier de la nouvelle rédaction de l'article 25, et celle de la session unique. En revanche, nous ne pouvons nous prononcer sur l'hypothèse de rendre obligatoire l'adhésion à un syndicat ; une telle disposition serait contraire à la Convention européenne des droits de l'homme.
J'en viens au rapport et à sa tonalité. Il y a entre nous des incompréhensions. En cette époque marquée par l'individualisme et l'instantanéité, certains paraissent avoir perdu la foi dans les institutions et le sentiment collectif ; ce n'est pas mon cas. D'autres, et c'est plus inquiétant, semblent avoir perdu la foi en la démocratie représentative. Les quotas, certes, mais par ses questions à dessein perverses, le président Winock a fait mouche ; je rappelle que le rapport du comité Veil sur la réforme du préambule de la Constitution avait eu des conclusions définitives à ce sujet. Il faut vraiment prendre garde : comme M. Slama et M. Accoyer l'ont dit chacun à sa manière, la France est une nation fragile ; il ne faut pas la bousculer encore. L'universalisme républicain repose peut-être sur un mythe, mais ce mythe est nécessaire. Je veux demeurer aveugle, et je veux surtout que la République continue de demeurer aveugle aux couleurs de peau et aux certificats de baptême. Parce que je crois encore à la démocratie représentative, l'idée de quotas suscite en moi la plus grande défiance ; je précise que pour moi la parité n'est pas du même registre. Voilà ce qui explique ma réticence devant la démocratie participative : autant je perçois l'utilité des ateliers législatifs citoyens, autant j'exprime les plus vives réserves à l'idée d'« amendements citoyens ».
Je suis fermement convaincu que le processus d'institutionnalisation est un progrès démocratique et que tout ce qui irait vers la personnalisation de la vie politique serait une régression. La « tradition monarchique » à laquelle M. Slama a fait allusion est un mal, un vice fondamental de notre société. Une République moderne doit tendre vers l'objectif d'une plus grande institutionnalisation et se défier du « mal napoléonien », pour reprendre le titre d'un ouvrage récent. Je n'accorde aucun crédit à la tradition césariste, qui doit être définitivement extirpée de nos consciences : il est temps de nous affranchir définitivement de la mauvaise conscience due à ce que nous avons raccourci notre monarque.
Faut-il une réforme radicale ou ne faut-il pas de réforme du tout ? J'ai le sentiment qu'une ambiguïté demeure entre nous à ce sujet ; un accord général devra pourtant apparaître dans le rapport sur ce point. Il est remarquable que notre commission soit coprésidée par le président de l'Assemblée nationale – ce n'avait pas été le cas des commissions Balladur, Jospin ou Vedel – et par un historien. Ce choix donne à nos travaux une tonalité différente, celle du temps long. Il conviendra d'établir avec soin dans le rapport ce dont nous voulons accoucher, tout en prenant garde. Je ne sais s'il y a urgence à proposer des réformes constitutionnelles radicales. Peut-être ; mais nous sommes pris entre deux écueils. D'une part, une commission sur l'avenir des institutions ne peut décevoir en ne proposant rien : elle signifierait qu'il n'est pas d'avenir. Rappelons-nous les mots terribles de Georges Bernanos : « La réforme des institutions vient trop tard, quand le coeur des peuples est brisé. » D'autre part, nous ne saurions ni proposer des réformes anecdotiques, ni jouer les apprentis sorciers. Je comprends les inquiétudes de M. Accoyer : oui, la Constitution de 1958 a apporté des éléments de stabilité et elle a, à un moment, sauvé la République – mais on peut se demander si elle ne l'a pas, ensuite, entraînée par le fond.