Je reviens aux premières questions de l'excellent questionnaire qui nous a été adressé. Il y a fort à parier en effet que si notre rapport contient des propositions relatives à la réforme du pouvoir présidentiel, ce sont celles que retiendront les média. Certains cénacles, on le sait, considèrent la Quatrième République comme l'horreur absolue. Puis-je faire observer qu'elle a accompagné l'essor des Trente Glorieuses ? Sur le fond, avancer que système parlementaire est synonyme d'instabilité politique fait s'exposer à être démenti par l'observation des systèmes parlementaires européens en vigueur, par exemple en Allemagne, dont le modèle est vanté sur bien des plans.
M. Slama a évoqué la désacralisation et la dé-légitimation de la fonction présidentielle. La désacralisation a été entérinée par l'instauration du quinquennat : le président de la République, contraint d'adapter son calendrier au temps politique et médiatique, ne peut plus occuper la fonction d'arbitre qui lui était précédemment assignée. M. Accoyer faisait valoir que ce ne sont pas les institutions qui sont mises en cause par l'évolution négative du système politique en France, mais le caractère de ceux qui les incarnent ; nous pouvons en être d'accord, mais le but premier des institutions n'est-il pas de nous protéger des manifestations caractérielles de nos dirigeants ? Des institutions qui non seulement ne nous en protègent plus, mais qui sélectionnent tendanciellement les caractères les plus autoritaires, sont démocratiquement condamnées.
La fonction présidentielle est également délégitimée. Il est frappant de constater que rien n'est durable en politique sinon l'impopularité, irréversible, des présidents de la République après deux mois de pouvoir. Au-delà du caractère des hommes, il y a à cela une raison structurelle. C'est que la conception de la Cinquième République est liée à un moment où le politique gère le monde. C'est le fameux : « L'intendance suivra » – entendez par là : « L'économie suivra ». Or l'économie ne suit plus, elle dirige. Nul n'aurait imaginé Charles de Gaulle allant négocier des contrats au Moyen-Orient ou en d'autres contrées pour sauver l'emploi ! Le politique ayant perdu sa sacralité, que reste-t-il au Président de la République ? L'irresponsabilité juridique.
On retrouve dans l'actualité certains problèmes institutionnels. J'ai été frappé que, le jour même où l'on se scandalise que le président de la République ait été espionné par des services étrangers, on vote une loi instituant la surveillance généralisée des citoyens, au motif d'« empêcher les attentats ». Comme M. Accoyer, je pense nécessaire d'évaluer les lois et je serais tout à fait favorable à l'évaluation des nombreuses lois sécuritaires votées depuis une quinzaine d'années, pour mettre en parallèle le nombre d'attentats qu'elles ont supposément empêchés et les atteintes bien réelles aux libertés individuelles qu'elles ont permises.
Pour sauver la fonction présidentielle, si tant est que cela soit nécessaire, il faut limiter drastiquement les prérogatives du président de la République, pour des questions de droit mais aussi parce que la fonction présidentielle, telle que la met en scène la Constitution de la Cinquième République, est devenue, étant donné le fonctionnement réel de la démocratie, un instrument qui rend mythiques les prérogatives politiques. La déception, sinon l'amertume et la colère profonde de l'opinion publique à l'égard du Président de la République, quel qu'il soit et quelle que soit son orientation politique, ne s'explique que par le décalage devenu structurel entre ce qu'il promet – et que sa fonction est censée garantir qu'il pourra faire – et ce qu'il peut faire une fois au pouvoir, lorsqu'il se rend compte que, malgré toute sa volonté, l'intendance ne suit pas.