« Je veux que la République reste aveugle aux couleurs de peau » a dit M. Mélin-Soucramanien, ajoutant qu'il croit au mythe universaliste. Il a raison – si ce n'est qu'aujourd'hui, ce à quoi la République est aveugle, sans doute parce qu'elle n'a jamais eu à le traiter dans les proportions dans lesquelles elle doit le traiter aujourd'hui, c'est qu'elle est discriminatoire. Des citoyens français vivent quotidiennement des discriminations, et l'aveuglement de la République à leur origine ou à la couleur de leur peau ne lui permet pas de résoudre cette question. Mais, en écoutant M. Tusseau, je m'interrogeais : comment définir des quotas qui permettraient que l'assemblée parlementaire dont je suis membre soit autre ? La réponse n'a rien d'évident. Pour ma part, je ne veux pas être élue parce que j'ai été baptisée, ni devoir revendiquer mon catholicisme. Quant au débat sur l'opposition entre genre et sexe, il fonde le travail que l'on devrait faire sur l'égalité entre les femmes et les hommes puisqu'il touche directement aux questions d'éducation et que l'on est passé à côté. Cela permettrait de progresser dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse de la représentation que les filles se font d'elles-mêmes ou de la féminisation des fonctions. Nous ne sommes plus du tout dans la même situation qu'en 1986, lorsque, arrivant à un dîner d'État, une femme était appelée du nom de son mari alors même qu'elle était ministre sous son nom de naissance. Cela montre l'évolution en cours. La représentation que les filles ont d'elles-mêmes et l'existence de femmes à des postes de responsabilité dans la représentation publique participent de cette évolution.
Il en va de même pour ce que l'on appelle les « minorités visibles ». Aujourd'hui, que renvoie-t-on à des enfants français de parents français parfois eux-mêmes nés en France dans des maternités françaises ? Qu'ils ne sont pas des citoyens comme les autres, particulièrement si ce sont des garçons et particulièrement s'ils sont noirs ou s'ils ont la peau foncée, puisqu'ils sont beaucoup plus souvent contrôlés par cette institution républicaine qu'est la police nationale. Nous devons résoudre cette très forte contradiction, monsieur Mélin-Soucramanien. Peut-être cela ne doit-il pas être, dans un premier temps, par l'instauration de quotas dans la représentation démocratique – j'en vois le danger. Mais il faut définir toutes les réponses utiles pour lutter contre les discriminations, qu'elles soient liées à l'adresse ou à la couleur de la peau, et dire la vérité : dans notre pays, il y a une discrimination à l'égard de ceux qui ont un prénom à consonance arabe. Rappelez-vous ce qu'a fait le maire de Béziers – voilà où nous en sommes ! Les discriminations existent, elles participent d'un sentiment de fragilité et elles se doublent de l'absence de représentation dans les medias et dans les instances politiques.
J'ai dit pourquoi je suis en désaccord avec les désignations électorales. Prétendre que l'on ne désigne pas des apparatchiks dans les élections au scrutin uninominal et, en concourant au championnat du monde de l'hypocrisie, expliquer que des gens peuvent se présenter indépendamment des étiquettes… Mais enfin, quel parlementaire a jamais été élu contre le candidat officiel de son camp dans sa circonscription ? Tout cela est faux. Au sein de mon parti, comme je vous l'ai dit, nous avons décidé qu'il fallait obtenir la parité de résultat aux élections législatives. C'était le sujet second : pour permettre qu'un groupe de dix-huit députés compte autant de femmes que d'hommes, il nous fallait d'abord conclure un accord politique avec le parti majoritaire puis, dans le cadre de cet accord, réussir à croiser le critère du sexe et la représentation locale. Nous avons réussi ; comment donc, sinon en analysant les résultats électoraux des circonscriptions considérées ? L'objectivité commande de dire que les discussions internes aux partis politiques tendent à déterminer qui sera désigné dans une circonscription gagnable. L'élection étant infiniment moins liée à la personnalité du candidat qu'au bénéfice de l'étiquette partisane, notamment celle du président de la République élu depuis un mois. L'hypocrisie qui règne à ce sujet est phénoménale. Je souhaite qu'elle soit dite car on ne peut laisser croire que le scrutin uninominal vise à ce que les futurs élus soient détachés des contingences et des rapports de force internes des partis, ou encore issus de territoires où ils sont durablement ancrés, et non-cumulards… Dire cela, c'est jouer de la flûte. Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait des micro-circonscriptions, et multiplier le nombre de députés. Qui vote choisit une étiquette politique ; ainsi, mon voisin se rappelle parfaitement le parti pour lequel il a voté mais il ne se souvenait pas avoir voté pour l'horrible parachutée que je suis ! Notre commission ne doit ni mentir ni se mentir.
Le scrutin proportionnel permet d'avancer sans en passer par des quotas : il rend plus difficile de présenter aux électeurs une liste entièrement « blanche », car cela se voit. Je vous fiche mon billet, monsieur le président-candidat aux élections régionales en Île-de-France, que si vous deviez désigner des candidats micro-circonscription par micro-circonscription infra-départementale, la proportion de candidats des minorités visibles sur votre liste – que je ne connais pas – ne serait pas la même que celle qu'elle sera. Il en est ainsi pour la parité. Alors qu'aucune commission de réforme des institutions précédentes n'était paritaire, celle qui nous réunit l'est, alors que rien n'y obligeait : c'est que la tradition de la parité est instaurée, et qu'elle a poussé à cette composition. De même, des scrutins de liste poussent à une représentation plus diversifiée, comme on le voit aux élections locales : il y a plus d'élus de la diversité visible aux élections municipales et régionales qu'aux élections départementales. Je pense fondamentale une réforme institutionnelle instaurant la représentation proportionnelle, car c'est aussi le moyen de favoriser la diversité.
Alors que nous en discutions en aparté, Denis Baranger objectait qu'un tel mode de scrutin aurait l'inconvénient de donner un très grand poids à de petits partis qui allaient ensuite « faire chier » – il ne l'a pas dit exactement en ces termes…– de manière immodérée au regard de leur taille. De fait, cela donnera plus de poids à des familles politiques minoritaires. Mais la situation actuelle, favorisant le bipartisme, est stérilisante, y compris pour les partis politiques : voyez les centristes, qui s'efforcent perpétuellement à l'autonomie avant d'être immédiatement ramenés à la niche ! Il y a donc un prix à payer, celui de la complexité, mais il sera utilement contrebalancé par la revivification de la démocratie et du débat au sein du parti majoritaire. On le voit aujourd'hui : un parti qui dispose de la majorité absolue à l'Assemblée nationale freine tous les débats, empêche les passerelles et le dialogue, et nuit de ce fait à la qualité du travail parlementaire. Que des groupes majoritaires interdisent à leurs membres de cosigner des amendements avec des membres d'autres groupes politiques fossilise le débat. Ouvrir les fenêtres aiderait à restaurer le lien avec une grande partie de la population sans grandes réflexions sur la démocratie participative. Celle-ci est nécessaire, bien sûr, mais avant de parler d'amendements citoyens, commençons simplement par laisser les parlementaires exercer leur mandat dans une relative liberté au lieu de les contraindre à le faire les mains liées dans le dos.