Intervention de Alain-Gérard Slama

Réunion du 26 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Alain-Gérard Slama :

En attendant le propos définitif de Marie-Anne Cohendet sur le rôle du Président de la République, je souhaiterais faire une première réponse à Michaël Foessel. Si le Président de la République fait l'objet d'un tel désamour si peu de temps après son élection, c'est aussi parce qu'on attend beaucoup de lui. J'observe par ailleurs que, dans toutes les grandes démocraties, le pouvoir est personnifié, que ce soit par un président de la République ou par un premier ministre. Maurice Duverger avait du reste dressé, dans La Monarchie républicaine, un premier bilan fort intéressant de cette évolution. Il faut donc s'interroger sur les raisons de telles attentes et sur l'omniprésence de la fonction présidentielle.

Il me semble que, plus une société est traversée de messages différents au risque de la plus grande cacophonie, plus se fait sentir la nécessité d'une parole qui rassemble ces messages et fixe des repères par rapport auxquels se situer. Am Anfang ist das Wort : le verbe demeure consubstantiel à l'idée même du pouvoir. Je ne crois pas que l'on renforcera la légitimité du Président de la République en limitant ses pouvoirs. En revanche, il faut qu'en contrepartie de son pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale, il puisse être remis en question par cette dernière. Une telle réforme contribuerait, me semble-t-il, à le relégitimer.

J'en viens maintenant à la question des valeurs. Si la diffamation, qu'a évoquée M. Baranger, joue actuellement un tel rôle, c'est parce que, dans notre société, il n'est pas admis de toucher à ce qui constitue, pour une personne, sa propre valeur, jugée inestimable. Ainsi le véritable problème réside-t-il moins, selon moi, dans le communautarisme que dans l'identitarisme, c'est-à-dire l'importance que chacun accorde à l'idée qu'il se fait de lui-même, non pas en tant qu'individu universel, mais en tant que personne singulière dotée d'un certain nombre de caractères : corporatistes, identitaires, ethniques... Voilà le principal moteur de la plainte et de la revendication.

À ce propos, j'espère, monsieur Tusseau, que vous ne vous dites pas que je m'exprime en tant que fils d'un juif et d'une catholique ayant vécu en Tunisie, qui sait donc ce qu'est une société communautarisée et qui, arrivé en France, a trouvé qu'il y respirait mieux parce que ses valeurs sont universelles. De fait, le général de Gaulle est parvenu à mettre fin à la guerre d'Algérie sans que se constitue en France un algérianisme comparable à d'autres revendications identitaires, devenues très dangereuses. Les pieds-noirs auraient très bien pu exprimer des revendications propres ; ils ont retroussé leurs manches, ont travaillé et, aujourd'hui, on ne se pose même pas la question de savoir s'ils se sont intégrés ou non à la société française.

Il est nécessaire de dépasser les particularismes. Ils sont banals aux États-Unis, mais le système déclaratif facilite l'acceptation du principe des quotas et la conscience nationale américaine repose sur le manifest destiny. En France prime l'universalisme, qui a sa valeur, à condition qu'il ne prétende pas à l'impérialisme. Sur ce point, je vous renverrai à Raymond Aron, pour qui les valeurs sont à la fois absolues et contradictoires, notamment parce qu'elles sont historiques. À chaque époque, il faut en effet, sans remettre en cause leur caractère absolu et universel, concevoir différemment leur organisation.

Je pense à la parité, par exemple. Au départ, j'y étais opposé. Mais, trouvant détestable d'être rangé parmi les machistes ou les antiféministes, je l'ai acceptée, au nom de la raison universelle. La parité est en effet peut-être nécessaire, compte tenu du mode de fonctionnement des partis politiques et du conservatisme de la société. Mais elle ne doit pas pour autant devenir un principe intangible : une fois le but atteint, on peut considérer que les mentalités ont évolué et en faire l'économie – nous verrons. Au demeurant, la politique n'est pas sexuée. Mieux vaut peut-être que soit nommé ministre un homme féministe plutôt qu'une femme antiféministe.

En tout cas, on ne peut pas figer dans l'absolu l'interprétation des valeurs que nous considérons comme intangibles, car on risque alors d'être obligé d'y toucher au point de les remettre en cause. À ce propos, je répète que je demeure absolument hostile aux quotas.

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