Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie très sincèrement de l'attention que vous portez à ces questions et de nous permettre de vous faire part de notre point de vue et de notre expérience.
Je commencerai par rappeler que, si l'Europe couvre moins de 5 % des terres émergées de la planète, elle abrite une faune et une flore très diversifiées, dont une bonne partie ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde. C'est donc une nature tout à fait exceptionnelle que l'Europe révèle : des prés alpins fleuris aux côtes atlantiques battues par le vent, en passant par les grandes forêts de hêtres, les zones humides et les estuaires des grands fleuves – j'espère que vous ne m'en voudrez pas de mettre un peu de poésie dans mon propos –, l'Europe bénéficie directement à l'homme sur le plan économique. En effet, 40 % de l'économie mondiale repose sur les services rendus par la nature, comme la pollinisation, étant précisé que ces services sont en recul de 60 %. Sur le plan de la santé, il est avéré que la biodiversité constitue une source de bien-être préventive ou curative pour de nombreuses pathologies. Enfin, sur le plan touristique, la France, première destination mondiale, n'est pas visitée uniquement pour la Joconde ou la tour Eiffel, mais aussi pour ses régions riches de milieux naturels singuliers.
Cependant, la biodiversité est en danger. Si des progrès significatifs en faveur de sa protection ont été accomplis en Europe depuis vingt ans, la tâche reste immense pour enrayer son recul. Le taux d'extinction des espèces reste élevé, quoique moins que sur d'autres continents : on estime qu'il pèse, en Europe, sur environ 25 % des espèces, un taux considérable.
L'artificialisation des sols se poursuit à un rythme rapide, la construction d'infrastructures connaît une progression importante et ces évolutions se font souvent au détriment des espaces naturels et agricoles. Chaque année, 80 000 hectares d'espaces agricoles et naturels sont ainsi gagnés par l'asphalte et le béton, soit l'équivalent d'un département français tous les sept ans ; cela pose directement la question de la France que nous voulons pour demain.
Certes, plusieurs pays d'Europe, dont la France, ont mis en oeuvre des mesures de réduction et de compensation des impacts des grands projets d'aménagement, mais notre pays peine, par exemple, à freiner la consommation d'espace et commence tout juste à s'investir dans les trames verte et bleue, pourtant indispensables à la circulation des espèces et à la réduction de la fragmentation des espaces.
D'autres menaces, plus récentes, pèsent aussi sur la biodiversité : la propagation d'espèces envahissantes – un phénomène auquel l'Europe commence à s'intéresser –, parfois au détriment de la flore et de la faune indigène, mais également le changement climatique, qui est devenu une préoccupation majeure, notamment en termes de biodiversité. À quelques mois de la COP 21, il est intéressant de rappeler que l'épicentre européen de la biodiversité est actuellement situé en France, mais risque de se trouver déplacé au sud de la péninsule scandinave si l'on ne parvient pas à limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius, voire à 1,5 degré : une multitude d'indicateurs de la faune et de la flore montrent que ce mouvement est en train de se mettre en route.
Face à ce constat, la législation européenne sur la nature est un atout pour les États et pour les citoyens. L'Europe s'est fixé un objectif ambitieux, celui d'enrayer le recul de la biodiversité d'ici à 2020 : c'est l'engagement qui a été pris par les signataires du protocole conclu à l'issue de la conférence de Nagoya, qui constitua une grande avancée en 2010. Cette ambition est déclinée dans la Stratégie de l'Union européenne pour la biodiversité et relayée, en France, par la Stratégie nationale pour la biodiversité, adoptée en 2012.
Les directives européennes « Oiseaux » et « Habitats » sont des textes majeurs de la législation européenne pour la protection de la nature. Promulguées respectivement en 1979 et en 1992, elles constituent l'initiative la plus ambitieuse jamais entreprise pour préserver la nature à l'échelle d'un continent. La directive « Oiseaux » protège tous les oiseaux sauvages et leurs principaux habitats, tandis que la directive « Habitats », qui instaure des mesures similaires, étend le champ d'application à 1 000 autres espèces et 230 habitats rares ou protégés.
Leur objectif vise à assurer le maintien et le rétablissement des espèces et des habitats dans un bon état de conservation, avec deux grandes catégories de dispositions : d'une part, l'instauration dans chaque État de régimes de protection stricts pour les oiseaux sauvages et d'autres espèces de la faune en danger, d'autre part, la désignation des sites principaux pour certaines espèces et habitats très menacés ; c'est cet ensemble de sites qui forme le réseau Natura 2000.
À l'échelle européenne, le réseau Natura 2000 compte plus de 27 000 sites, ce qui représente près d'un cinquième de la surface terrestre de l'Europe et une part importante des eaux alentours. En France, un peu plus de 1 700 sites Natura 2000 terrestres ont été désignés, pour un fraction d'environ 12,6 % de la superficie nationale, ainsi qu'un peu plus de 200 sites en mer. La LPO a participé dès 1979 à la mise en place de la directive « Oiseaux » en proposant, sur la base de son expertise ornithologique, les périmètres des sites aujourd'hui désignés comme des zones de protection spéciale (ZPS).
La France a mis du temps pour parvenir à constituer ce vaste réseau et a choisi un modèle très original pour assurer la conservation et la gestion des sites désignés : chaque site Natura 2000 fait l'objet d'un document d'objectifs (DOCOB), véritable plan de gestion des espèces et des habitats, élaboré en concertation avec les partenaires de terrains que sont les collectivités locales, les propriétaires, les associations, les agriculteurs ou encore les chasseurs.
En 1996, la LPO et les Réserves naturelles de France (RNF) ont été à l'origine du programme L'Instrument financier pour l'environnement (LIFE), qui a permis d'expérimenter plus de vingt DOCOB en France, avec différents partenaires. Cette expérimentation a été fondamentale pour de nombreux acteurs des territoires, car elle a permis à chacun de s'approprier le dispositif et d'en mesurer très concrètement l'intérêt.
La France est sans doute l'État où le plus de personnes connaissent le réseau Natura 2000, en raison de l'existence des DOCOB et surtout parce que sont attachées à ceux-ci des mesures concrètes de gestion et de conservation : il s'agit des contrats Natura 2000 et surtout des Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) mises en place via le pilier 2 de la PAC, grâce aux fonds structurels assurant l'essentiel du financement du programme.
Si Natura 2000 a connu un démarrage difficile dans notre pays, parce que de nombreux acteurs s'inquiétaient du projet et des risques de contraintes supplémentaires qu'il comportait, c'est aujourd'hui un dispositif qui fonctionne et dans lequel de nombreux acteurs sont impliqués. L'évaluation des directives entreprises par la Commission européenne, en France, met en évidence plusieurs éléments très positifs.
Ainsi, les directives ont indéniablement permis une progression importante dans la protection des oiseaux, singulièrement des oiseaux d'eau : le récent rapport réalisé par le Muséum national d'histoire naturelle met en évidence que les oiseaux de l'annexe 1 sont les principaux bénéficiaires de la directive « Oiseaux », ayant profité des mesures de protection attachées à cette annexe et de la désignation des sites Natura 2000 ainsi que des fonds européens dévolus à ces espaces, aussi bien dans les fonds structurels que dans les programmes LIFE Nature.
De même, les moyens financiers engagés par l'Europe à travers les fonds structurels et LIFE Nature, même s'ils sont insuffisants – les fonds LIFE représentent 1 % du budget européen, alors que l'Union européenne consacre 40 % de ses crédits à la PAC – sont mobilisés le plus souvent par les associations, notamment la LPO. À titre d'exemple, grâce à des programmes LIFE successifs mis en place dans les grandes zones humides – quatorze à ce jour –, nous avons pu protéger plus de 1 600 hectares durablement. Non seulement les zones humides sont des espaces de biodiversité majeure mais elles accueillent des éleveurs et permettent à des exploitations agricoles de maintenir leur activité, dans le respect de la biodiversité.
Ces mêmes programmes ont permis avec succès la réintroduction ou le confortement de rapaces pratiquement disparus du ciel de France, tels le gypaète, le vautour moine, le vautour percnoptère ou encore le faucon crécerellette. Les mesures agro-environnementales, qui représentent la part principale des moyens budgétaires consacrés à la gestion des sites Natura 2000, ont permis de sauvegarder les habitats, même si leur efficacité pourrait encore être accrue pour restaurer aussi les habitats dégradés.
Quant aux directives, de par les objectifs définis, elles ont permis de mettre en place, partout en Europe, des règles similaires pour tous. De ce fait, le niveau d'exigence en matière de biodiversité est le même pour tous les opérateurs économiques. Un projet d'aménagement, quel qu'il soit, est soumis aux mêmes exigences partout : autrement dit, l'Europe a réussi à faire, dans le domaine de l'environnement, ce que tout le monde appelle de ses voeux en matière fiscale et sociale. Les directives ont donc démontré leur utilité en matière d'environnement et il ne faudrait pas revenir en arrière, au risque d'introduire, au motif que la souplesse est nécessaire à l'économie, de graves distorsions entre les pays dans les niveaux d'exigence posés.
En conclusion, je rappellerai que la mise en oeuvre des directives en France a été difficile, voire houleuse : nous nous souvenons tous qu'en 1997, le Premier ministre, M. Alain Juppé, avait même suspendu leur mise en oeuvre. À la même époque, le « groupe des neufs » menait la fronde, avec les chasseurs et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à sa tête, pour empêcher la désignation des sites Natura 2000.
Vingt ans après le début du processus, où en sommes-nous ? Les groupes d'acteurs sollicités dans le cadre de l'évaluation des directives en France sont au nombre de quatre : le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), l'Office national des forêts (ONF) et la LPO, avec d'autres ONG. Ces quatre groupes soutiennent les directives et souhaitent même une amélioration des dispositifs et le renforcement des moyens, La FNSEA et l'APCA ont répondu en ce sens, soulignant leur attachement aux mesures contractuelles, notamment aux MAEC.
D'autres acteurs du secteur industriel – je pense notamment à l'entreprise de matériaux de construction CEMEX – soutiennent également le dispositif. Tous reconnaissent l'intérêt du modèle français de mise en place de Natura 2000, ainsi que les DOCOB et les dialogues de terrain entre tous les acteurs que ces DOCOB ont engagés.
La LPO peut tout particulièrement témoigner sur ce point, puisqu'elle a réalisé – et anime toujours – un très grand nombre de DOCOB sur le territoire national, dont une vingtaine en région Poitou-Charentes. Au moment où se dégage un large consensus dans le pays, il faut rechercher une amélioration du dispositif, mais certainement pas le remettre en cause alors qu'il recueille un si large agrément. En effet, l'Union européenne ne parvient toujours pas à inverser le déclin de la biodiversité et de nombreux animaux et plantes sont menacés d'extinction en Europe.
Des progrès substantiels sont à noter concernant la mise en oeuvre de la législation sur la nature de l'Union européenne, ainsi que dans le domaine de la pêche et des espèces exotiques envahissantes. En revanche, l'Europe n'a pas su faire face à la crise écologique majeure consécutive à la mise en oeuvre de politiques agricoles que l'on pourrait qualifier de désastreuses. Là encore, ce n'est pas de moins d'Europe que l'on a besoin, mais d'une Europe plus soucieuse des écosystèmes et de la santé de ses citoyens.