Intervention de Alain Charmeau

Réunion du 1er juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Alain Charmeau, président exécutif d'Airbus Safran Launchers :

Merci, Mesdames, Messieurs les députés, pour vos questions, qui témoignent de votre intérêt pour le secteur spatial.

Il ne m'appartient pas de faire des commentaires sur le rôle et l'avenir du CNES. Depuis un an, nous avons réalisé un travail considérable avec celui-ci sur la définition du programme Ariane 6 et sur l'évolution de la gouvernance. J'ai d'ailleurs reçu hier une brochure du CNES qui mentionne ces efforts communs.

Je tiens à souligner que le CNES conserve un poids déterminant et restera un acteur essentiel pour l'avenir du secteur spatial en France et en Europe. Il assume deux rôles majeurs qui devraient être, selon moi, non seulement maintenus, mais renforcés : il apporte une vision à long terme aux acteurs français du secteur spatial et aide l'industrie spatiale française à préparer l'avenir, grâce aux budgets de recherche et technologie (R&T) qu'il gère. Les agences spatiales des autres pays européens jouent le même rôle à l'égard de leur industrie nationale.

En outre, le CNES fournit à l'ESA une assistance à la maîtrise d'ouvrage, notamment sur un certain nombre de sujets techniques dans le cadre du développement d'Ariane 6. À cet égard, les représentants du CNES et de l'ESA travaillent d'ores et déjà avec nos ingénieurs de conception au sein d'une équipe intégrée que nous avons mise en place aux Mureaux. Il s'agit d'une révolution en matière de gouvernance dans le secteur spatial.

Enfin, le CNES garantit la sécurité et la sauvegarde de l'ensemble des opérations de fabrication et d'intégration des lanceurs, ainsi que des opérations de lancement à Kourou. Le Centre spatial guyanais (CSG) est placé sous sa responsabilité.

Ainsi que je l'ai indiqué, Airbus Safran Launchers emploiera environ 8 000 personnes. Elles seront transférées des équipes d'Airbus et de Safran – plus précisément de ses filiales Snecma et Herakles – qui travaillent actuellement sur les lanceurs civils et militaires. Outre ces équipes, les deux groupes apporteront à la société commune, dont ils m'ont confié la direction, l'ensemble des activités – c'est-à-dire les contrats –, les moyens de production industriels, les bureaux d'études et les moyens d'essais correspondants.

Nous n'avons pris aucun engagement en ce qui concerne le maintien de l'emploi dans notre société. Les effectifs dans la filière spatiale européenne – non seulement à Airbus Safran Launchers, mais aussi chez notre partenaire commercial Arianespace et dans l'équipe de sous-traitants industriels français et européens de toutes tailles que nous animons dans le cadre de la production d'Ariane 5 et du développement d'Ariane 6 – dépendront des financements institutionnels au programme Ariane 6 et, dans une moindre mesure, aux activités liées à la défense, du soutien du CNES aux activités de R&T et, à moyen et long terme, de la compétitivité des lanceurs Ariane 5 puis Ariane 6 sur le marché commercial.

Quant à la transition entre Ariane 5 et Ariane 6, nous envisageons, en accord avec le CNES et l'ESA, un premier tir d'Ariane 6 en 2020. Nous lançons les activités de production dès maintenant. Nous prenons un risque industriel très important qui justifie, entre autres, l'évolution de l'actionnariat d'Arianespace. Nous considérons, conformément aux attentes des États contributeurs, qu'il appartient à l'industrie de prendre ses responsabilités dans la gestion du marché, en arrêtant les dates de commercialisation d'Ariane 6 et d'arrêt d'Ariane 5 ainsi qu'en organisant la transition entre les deux. La production d'un lanceur demande entre trois et quatre ans alors que les clients achètent les services de lancement entre un an et demi et trois ans avant la date du lancement. Nous devons donc assumer un risque d'anticipation industrielle par rapport aux commandes.

La transition doit se faire du mieux possible, et assez rapidement. Vous avez raison de souligner l'excellente fiabilité d'Ariane 5 aujourd'hui, sur laquelle repose sa compétitivité. J'espère que le prochain lancement, qui doit intervenir dans quelques jours, permettra de poursuivre la série, absolument remarquable, des 65 succès consécutifs d'Ariane 5. Néanmoins, Ariane 5 n'est plus compétitive en termes de prix. Sans une aide publique de 120 millions d'euros par an, Arianespace n'équilibrerait pas ses comptes.

Les États délaissant le soutien à l'action commerciale pour financer prioritairement le développement, il nous appartient de proposer un lanceur plus compétitif, donc de baisser les prix d'Ariane 5 – mais la marge de manoeuvre est très faible – et de concevoir une Ariane 6 que l'industrie européenne sera capable de produire pour environ la moitié du prix d'Ariane 5 aujourd'hui. C'est le principal défi qui m'est lancé, par mes actionnaires mais aussi par les partenaires industriels et les clients que sont les agences spatiales. De cette compétitivité d'Ariane 6 dépendra l'emploi en France et en Europe dans le secteur spatial dans les années 2022 à 2030-2035.

La Tribune a écrit tout et son contraire. Je laisse la responsabilité des articles à leur auteur. Je ne suis pas intervenu. J'ai pris note hier d'un article plus équilibré. Depuis la décision des ministres le 2 décembre, nous connaissons le budget alloué au lanceur européen, d'un montant de 4 milliards d'euros. La part du budget dédiée au développement d'Ariane 6 est de l'ordre de 2,5 milliards d'euros. Le reste doit financer la modernisation des installations en Guyane qui sont sous la responsabilité du CNES, les équipes de l'ESA et du CNES ainsi que des travaux complexes d'interface entre le lanceur et la base de lancement.

Ces 2,5 milliards d'euros constituent un encouragement fort de la part des États membres mais ils ne sont pas comparables aux sommes qui avaient été nécessaires pour développer Ariane 5.

Les entreprises – Airbus, Safran mais aussi Avio en Italie et OHB en Allemagne – se sont engagées à apporter leur contribution au développement d'Ariane 6 pour combler le déficit de financement étatique. Airbus Safran Launchers négocie actuellement le contrat avec l'ESA dont la signature est prévue cet été.

Les dirigeants d'Airbus et de Safran considèrent que les activités spatiales sont au coeur de leur entreprise parce qu'elles permettent de développer des compétences technologiques et de les diffuser ensuite dans l'ensemble du groupe. Mais nous ne sommes pas seuls : le tissu industriel du secteur spatial doit absolument être sauvegardé. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur le maintien des budgets de R&T afin de soutenir les technologies françaises.

Le secteur spatial doit continuer à favoriser le développement de compétences en Guyane. Dans la perspective de la réduction des coûts d'Ariane 6, nous souhaiterions pouvoir faire davantage appel à du personnel local pour des emplois qualifiés plutôt que de devoir envoyer en mission en Guyane des employés venus d'Europe qui nous coûtent plus cher.

À la différence de l'aéronautique, nous ne connaissons pas de difficultés en matière de recrutement et de formation. Les actions du Gouvernement en faveur du renforcement des filières industrielles sont nécessaires tant il est essentiel de ramener les jeunes vers l'industrie. L'industrie est une activité noble. Je suis très fier d'en faire partie. Il faut continuer à développer l'intérêt des jeunes pour les activités industrielles qui sont passionnantes, pas seulement le secteur spatial mais aussi les transports, l'énergie, ou l'informatique. J'essaie d'encourager le Conservatoire national des arts et métiers dont je préside le conseil d'administration à oeuvrer en ce sens. Vous avez raison d'être soucieux sur ce sujet.

Le grand enjeu pour Ariane 6 consiste à concevoir des matériels qui peuvent être fabriqués à des coûts faibles. Cette logique diffère du low cost de service qui se développe dans l'aéronautique. Nos ingénieurs, les plus jeunes notamment, ne doivent pas seulement penser à faire un bel objet performant mais aussi un objet pouvant être fabriqué en France et en Europe à coût réduit.

Toutes les activités industrielles d'Ariane sont implantées en Europe. Elles ne sont pas délocalisables dès lors que les États financent le développement et les outils industriels. Ces compétences techniques ou industrielles restent sur le territoire européen ; le fameux retour géographique que vous avez évoqué représente pour moi un avantage.

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