Intervention de Alain Charmeau

Réunion du 1er juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Alain Charmeau, président exécutif d'Airbus Safran Launchers :

S'agissant du financement, de l'organisation industrielle et du retour géographique, ma lecture est un peu différente de la vôtre. Je vous rappelle qu'Ariane, 5 ou 6, n'existe que grâce à la coopération européenne.

Je constate que le financement français diminue en pourcentage – pour Ariane 6, il représente environ 50 % –, tandis que le financement allemand augmente, passant de 10 ou 12 % à plus de 20 %. La presse raconte beaucoup de choses et aime à se faire l'écho des inquiétudes allemandes.

Les Allemands doivent d'abord trouver un consensus entre eux avant d'afficher une position. Tant que le consensus n'est pas acquis, les différentes opinions s'expriment. Elles ont convergé à la conférence ministérielle du 2 décembre au cours de laquelle l'Allemagne a confirmé non seulement son soutien à Ariane 6 mais aussi l'augmentation de sa contribution.

La dynamique entre la France, l'Allemagne et l'Italie est importante sur Ariane. Avec l'Italie qui contribue à hauteur de 10 %, les trois pays représentent 80 % du financement du projet Ariane 6. Je ne néglige pas pour autant la dizaine d'autres pays qui participent au projet parmi lesquels certains n'étaient pas partie prenante d'Ariane 5. Ce projet est de plus en plus européen. C'est un bon signe que de nouveaux venus au sein de l'ESA s'intéressent aux activités de lanceur.

En France, le budget dans le domaine spatial n'augmente pas mais le nombre de projets à développer ou à soutenir est en hausse. Il y a donc moins d'argent pour chaque projet puisque nous essayons d'être présents dans l'ensemble des domaines allant des applications spatiales aux lanceurs en passant par les satellites, les expériences scientifiques, l'exploration de l'univers, la station spatiale internationale, etc. Nous faisons avec le budget qui nous est alloué.

La redistribution industrielle est conforme à la contribution des États, avec une évolution toutefois. Cette fois-ci, ce sont les industries qui ont proposé une organisation industrielle compatible avec le financement des États. Précédemment, les États décidaient entre eux des lieux de production, ce qui entraînait des redondances.

Compte tenu du financement insuffisant des États, les industriels – Airbus Safran Launchers, Avio, OHB – ont décidé d'apporter leur contribution financière au développement d'Ariane 6, démontrant ainsi qu'ils croient au succès du projet.

Le marché des satellites connaît des évolutions considérables. Historiquement, il n'existe pas de marché des satellites. Les satellites ont été fabriqués pour être envoyés dans l'espace par des lanceurs. Ce sont les lanceurs qui structuraient le marché des satellites : puisque Proton et Ariane savaient lancer des satellites de 6 tonnes, on fabriquait des satellites de 6 tonnes.

La donne est en train de changer complètement avec l'apparition de nouveaux lanceurs – Falcon 9 et Antares aux États-Unis, une famille de lanceurs Angara en Russie ainsi qu'une nouvelle famille de lanceurs Longue Marche en Chine, qui ne sont pas encore présents sur le marché commercial mais pourraient l'être un jour. Ces lanceurs, comme Ariane 6, offrent des possibilités extrêmement variées. Nous assistons à une explosion dans le nombre, la taille et la capacité des lanceurs, et par voie de conséquence pour les satellites, à une évolution similaire de leur nombre et de leur diversité.

À propos des satellites de la constellation OneWeb, Vega n'est pas adapté pour lancer les tout petits satellites de 150 kilogrammes ; il est fait pour lancer 1,5 tonne, là où Ariane peut lancer plus de 20 tonnes, en orbite basse, c'est-à-dire à quelques centaines de kilomètres d'altitude.

OneWeb a retenu Airbus pour la fabrication de ces satellites à travers une société commune. Parallèlement, Arianespace a été choisi pour une partie des lancements, Virgin Atlantic étant chargé des autres lancements – avec un lanceur qui aujourd'hui n'existe pas.

Arianespace a été choisi du fait de la capacité importante que lui offre le lanceur Soyouz. M. Greg Wyler, le PDG de OneWeb, souhaite lancer les 900 satellites en trois ans. Aucun lanceur dans le monde ne possède cette capacité de lancement, à l'exception de Soyouz, compte tenu des capacités de production développées du temps de la guerre froide par l'Union soviétique.

Heureusement, depuis de longues années, la France a décidé de s'associer avec la Russie pour la commercialisation des lanceurs Soyouz, d'abord à travers la société Starsem pour les lancements depuis Baïkonour, ensuite, à travers Arianespace, pour les lancements depuis Kourou.

Arianespace a proposé une série de lancements de Soyouz, quelques-uns depuis la Guyane – les capacités de la base ne sont pas extensibles à l'infini – et d'autres depuis Baïkonour ou Plessetsk en Russie.

L'annonce faite il y a quelques jours par OneWeb représente une énorme opportunité pour Arianespace de faire partie de cette nouvelle économie. Mais, à terme, nous n'imaginons pas de continuer à nous reposer sur Soyouz. Je vous confirme qu'Ariane 6 a vocation à succéder, donc à remplacer, Soyouz et les deux versions actuelles d'Ariane 5, à l'horizon du début de la prochaine décennie.

Dans le contrat de lancement des 900 satellites, OneWeb a posé une option pour les trois premières Ariane 6. L'intérêt précoce de la nouvelle économie de la Silicon Valley pour Ariane 6 prouve la pertinence de nos choix et des objectifs de prix que nous nous fixons.

La réduction des coûts pour Ariane 6 est un enjeu majeur pour l'ensemble de l'industrie européenne : comment faire un lanceur deux fois moins cher pour des prestations à peu près identiques ? Nous travaillons dans plusieurs directions : en premier lieu, les restructurations industrielles ; la création de la société Airbus Safran Launchers simplifie l'ensemble des relations qui existaient entre les deux groupes. Nous allons revoir dans ce même esprit nos liens avec Avio en Italie qui passent par deux consortiums et des montages contractuels un peu compliqués.

Nous comptons simplifier l'organisation industrielle pour Ariane 6. Cela ne signifie pas que nous entendons laisser de côté des industriels, mais nous voulons éviter les redondances entre eux. Nous avons l'intention de regrouper les industriels dont les compétences se recoupent au sein de ce qu'on appelle des clusters d'excellence. Nous misons sur une spécialisation des organisations industrielles en vertu de laquelle on pourrait attribuer les fabrications de pièces métalliques à MT Aerospace en Allemagne, certaines pièces composites à Casa en Espagne, des moyens d'essais au sol et les coiffes en Suisse…

En second lieu, Ariane 6 doit être conçue pour être compétitive, y compris dans sa production. Aujourd'hui, nous fabriquons à Vernon le vieux moteur d'Ariane 4, le HM-7, qui est en fin de vie et qui n'a pas été pensé dans une logique industrielle. Demain, avec Ariane 6, nous allons fabriquer une douzaine de moteurs Vulcain pour le premier étage, une douzaine de moteurs Vinci – moteurs cryogéniques fabriqués à Vernon, en coopération avec l'Allemagne. Nous produirons donc 24 moteurs par an contre six ou sept moteurs Vulcain aujourd'hui. En remplaçant trois lanceurs par un seul, nous escomptons un effet d'échelle sur la série très important.

Sur les 2,5 milliards d'euros de budget de développement, un milliard sera investi dans la construction de nouvelles usines utilisant des nouveaux moyens de production ; nous allons bien sûr travailler avec les imprimantes 3D mais aussi les technologies de traitement de surface par laser, qui présentent l'avantage supplémentaire d'être plus respectueuses de l'environnement. Nous aurons recours à des technologies de production qui n'étaient pas disponibles dans les années 1980 lorsqu'Ariane 5 a été développée. Les investissements seront concentrés non pas sur le développement de nouvelles technologies mais sur les investissements industriels, les processus de fabrication, les outillages et les machines qui nous permettront de baisser les coûts.

En conjuguant la spécialisation et des investissements industriels importants, nous réussirons à baisser les coûts, à la faveur d'une nouvelle approche industrielle des lanceurs. Toutes proportions gardées, nous nous inscrivons un peu dans le même schéma de révolution que la production des 900 satellites à bas coût. Nous sommes en train de changer complètement le paradigme de l'industrie spatiale en Europe.

Je suis très attentif à la sécurité informatique. La société Airbus Safran Launchers est responsable des missiles balistiques de la force de frappe française. Nous n'intervenons absolument pas sur les ogives nucléaires qui sont sous la responsabilité du CEA. Je suis extrêmement sensible aux enjeux de sécurité industrielle, de protection du patrimoine technologique et scientifique ainsi que de sécurité informatique. L'une des difficultés tient à la nécessité de protéger les intérêts français tout en travaillant sur un programme très européen. Pour ce faire, nous mettons en place des procédures de ségrégation des réseaux informatiques entre les activités civiles et celles qui relèvent de la défense.

Quant à l'actionnariat des salariés d'Arianespace, ce sujet sera traité le moment venu. Un accord a été trouvé il y a dix jours avec le CNES sur la cession de ses parts dans Arianespace à Airbus Safran Launchers. Sa mise en oeuvre va demander plusieurs mois, probablement jusqu'à la fin de cette année, puisque cet accord doit passer au crible des législations américaine et européenne en matière de concurrence et recueillir l'approbation des partenaires sociaux, de l'ESA, etc. Dans plusieurs mois, Airbus Safran Launchers deviendra actionnaire à 74 % d'Arianespace ; nous pourrons alors discuter avec les employés et leurs représentants de ce qu'il convient éventuellement de faire en termes d'actionnariat des salariés.

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