Pour ce qui est de l’organisation du travail, on rappellera les principales initiatives que sont l’instauration de la session unique, la création de nouvelles commissions et la mise en place du temps législatif programmé. Pour la meilleure communication de l’activité parlementaire, on notera essentiellement la création de la chaîne parlementaire, la retransmission du travail en commission et l’élaboration de statistiques sur l’activité des parlementaires.
Enfin, on espère une amélioration de l’image des parlementaires de mesures aussi diverses que le non-cumul des mandats, la baisse et l’encadrement de l’IRFM, la publicité donnée à la réserve parlementaire, la création du déontologue, ou la présence obligatoire en commission le mercredi matin.
Ajoutons que beaucoup jugent que l’Assemblée nationale souffre encore de ne pas être suffisamment représentative. À gauche, on insiste sur la trop lente progression de la diversité et de la féminisation ; à droite, sur le poids jugé excessif de la fonction publique.
On peut discuter à l’infini de la pertinence de ces axes de progrès. Il y a certainement eu des réussites comme des mesures à l’impact plus discutable.
Cependant, une évidence s’impose : toutes ces innovations, aussi fondées soient-elles, n’ont pas permis d’améliorer l’image du Parlement. Pire, elles semblent avoir accompagné la dégradation de notre image.
Il faut enfin distinguer quelques initiatives qui indiquent un début de prise de conscience de notre inefficacité croissante. Ce souci de sortir nos débats des déclarations d’intention et de porter une attention nouvelle à l’efficacité réelle des politiques publiques est à l’oeuvre dans le développement des missions d’évaluation et de contrôle, comme dans la création du comité d’évaluation et de contrôle ou l’obligation des études d’impact pour tous les projets de loi. Il ne semble en effet plus possible de continuer à voter des textes et des budgets sans nous soucier de leur effet réel.
Pourtant, ces dispositions n’ont pas atteint leur but. En effet, restées à la marge d’une activité législative proliférant toujours plus, elles n’ont pas pu parvenir à modifier en profondeur notre façon de travailler.
Ces semi-échecs confirment celui de la réforme budgétaire initiée en 2001 avec la LOLF. Près de quinze ans plus tard, le bilan est extrêmement décevant. Les députés ne se sont pas emparés des outils mis à leur disposition. Quant à l’exécutif, il a laissé aux administrations le soin de définir leurs missions et d’évaluer leur propre performance. Dès lors, la réforme de l’État se borne à n’être qu’un slogan ou, au mieux, une recherche d’économies.
Dans ce contexte où la rénovation de l’Assemblée ne s’est que très partiellement portée sur le problème de fond de la pratique parlementaire, les résultats, comme on le voit depuis vingt ans, sont forcément décourageants. Il est alors tentant de chercher d’autres causes, par conséquent d’autres remèdes, à nos difficultés.
La piste institutionnelle est privilégiée par de nombreux acteurs et observateurs de la vie politique. Le malaise actuel trouverait donc sa source dans les institutions de la Ve République. Par le pouvoir, jugé excessif, qu’elles accordent à l’exécutif et en particulier au Président de la République, elles enfermeraient le Parlement dans un rôle secondaire. Certes, ce trop fort déséquilibre est peut-être un facteur de stabilité, mais il finit par engendrer de graves effets pervers.
Le résultat est une sorte de stérilisation de notre vie politique, en empêchant le Parlement d’exprimer des débats utiles.
On connaît cette critique qui remonte à l’origine de notre Constitution. Il faut surtout souligner qu’elle s’était considérablement atténuée au fil du temps, le parcours personnel de François Mitterrand reflétant parfaitement cette évolution.
Pourtant, voici une vingtaine d’années qu’elle revient en force, notamment chez les promoteurs de la VIe République. Pour libérer un Parlement infantilisé, selon lui, par le Président de la République, Arnaud Montebourg va jusqu’à revenir sur l’élection de celui-ci au suffrage universel.
Autre fait nouveau, ces critiques traditionnellement portées par la gauche sont désormais reprises, sans aller aussi loin, par une partie de la droite. C’est en effet cette recherche d’un rééquilibrage en faveur du Parlement qui est la marque de la révision constitutionnelle de 2008 avec la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3.
Les frondeurs, quant à eux, appellent de leurs voeux une nouvelle pratique parlementaire. Pour Laurent Baumel, la suppression du 49-3 et du droit de dissolution en constituent les « préalables incontournables ».
Toutes ces démarches reposent sur une lecture de la Constitution qui est aujourd’hui presque unanimement acceptée, celle d’un Parlement écrasé par le pouvoir exécutif.
Inlassablement répétée, l’affirmation est-elle encore juste pour autant ? C’est assurément vrai sous la République gaullienne et sans doute jusqu’aux mandats de François Mitterrand. Mais sommes-nous encore dans cette continuité historique ? N’y a-t-il pas eu rupture ?
Au-delà du texte constitutionnel, l’exécutif est-il aujourd’hui, dans la pratique, aussi puissant qu’on le dit ? Notre vision n’est-elle pas déformée par la réalité du pouvoir jusqu’aux années quatre-vingt que nous continuons à projeter sur une situation aujourd’hui très différente ?
S’il est vrai que le Parlement reste extrêmement faible, la cause en réside-t-elle toujours dans un excès de pouvoir de l’exécutif comme au début de la Ve République ?
Depuis les années quatre-vingt-dix et les mandats de Jacques Chirac, ne faut-il pas au contraire souligner une faiblesse inédite de l’exécutif qui ne s’est accompagnée d’aucune revalorisation parallèle du Parlement ? Dans ce nouveau contexte, réduire les prérogatives de l’exécutif, est-ce aussi nécessairement qu’on le croit réhabiliter le Parlement ?
En fait, les tenants d’une nouvelle donne institutionnelle me paraissent conditionnés par une lecture trop historique des institutions. Une lecture pertinente jusque dans les années quatre-vingts mais qui méconnaît les profondes évolutions qui sont intervenues depuis. Au terme de celles-ci, si nous sommes toujours formellement en Ve République, l’exécutif n’est plus du tout, en pratique, dans la position dominante voulue par les promoteurs de la Constitution.
Pour le comprendre, il importe de préciser les causes de cet affaiblissement sans précédent. Elles sont au nombre de trois.
Alors que le monde a radicalement changé au cours des trente dernières années, nous avons pour l’essentiel conservé nos outils et nos modes d’action publique hérités d’un autre temps, et donc conçus pour traiter d’autres problèmes. Quelques exemples : Pôle emploi est-il l’outil adapté aux chômeurs d’aujourd’hui ? Nos forces de sécurité sont-elles formées et organisées pour répondre aux nouvelles formes de la délinquance ? Ou encore, notre porte-avions est-il l’instrument pertinent pour les conflits du XXIe siècle ? La première faiblesse de l’exécutif, c’est de ne plus disposer des outils adéquats pour une action publique efficace.
La deuxième tient à l’évolution du débat public. Jusqu’aux années Mitterrand, l’accès aux médias et à la force de frappe qui en résulte est réservé à l’État et à quelques grandes organisations. Or depuis quelques années, avec l’explosion des médias et d’internet, ce sont toutes les composantes de la société qui ont soudain accès à cette médiatisation. Toute structure – un collectif, une organisation, un groupe de pression ou même une personnalité – peut s’organiser en « marque » et exercer, selon son réseau ou son habileté, une influence plus ou moins forte. Désormais, l’exécutif ne parle plus d’un lieu privilégié et se trouve en concurrence avec tous ces nouveaux intervenants.
Enfin – troisième faiblesse –, l’exécutif est maintenant lui-même divisé en marques.
Alors que sa vocation est de conduire une politique, il ne sait plus parler d’une seule voix. Chaque structure de l’État semble désormais poursuivre son propre but, en compétition avec d’autres structures étatiques. Ainsi, pour s’affirmer, le ministère de l’environnement doit impérativement entrer en conflit avec ceux de l’industrie et de l’agriculture.
Ces trois tournants des années quatre-vingt-dix modifient complètement la donne institutionnelle. On comprend en effet que, telle qu’elle prospère depuis des années, notre suractivité législative renforce les marques ou les lobbies, au détriment de l’action publique d’intérêt général. Ainsi, plus nous légiférons, plus nous consolidons des intérêts catégoriels. Dans cette situation, la question traditionnelle du rééquilibrage des pouvoirs n’a plus grand sens.
Car peu importe, en vérité, que les avancées des corporatismes soient portées par l’exécutif ou par le législatif. La question n’est plus de renforcer le législatif, mais de casser cette mécanique hors de contrôle qui affaiblit globalement tous les pouvoirs, législatif comme exécutif.
Car si l’affaiblissement du pouvoir n’est pas un drame en soi, les conséquences qui en découlent sont, elles, inquiétantes. Depuis vingt ans, sous la pression des lobbies, notre ardeur législative n’a eu d’autre effet que d’accentuer l’impuissance publique et le mépris de nos concitoyens. Par ce processus vicieux la loi du plus fort – médiatiquement – est en train de devenir insidieusement la loi officielle. Telle est la véritable cause des tensions sociales que nous voyons partout progresser. Colère des marques qui en veulent toujours plus ; colère également de tous ceux qui se sentent oubliés.
On le voit, la piste de la rénovation institutionnelle est séduisante mais reste très théorique et coupée de l’exercice du pouvoir. Le malaise parlementaire croissant n’est pas plus dû à un déséquilibre institutionnel qu’à un problème d’image ; c’est un problème de fond – pas abstrait, mais extrêmement pratique. La question peut se formuler assez simplement : à quoi peut donc servir le Parlement dans le contexte d’impuissance publique que nous venons de décrire ? Car il est certain qu’un Parlement éventuellement renforcé par rapport à l’exécutif ne serait pas davantage capable que ce dernier de résister aux corporatismes qui ont envahi tout l’espace public.
Et c’est ici, mes chers collègues, que nous retrouvons cette loi de règlement et la fonction de contrôle dont nous disposons et que nous exerçons si mal et si peu.
Quel paradoxe ! L’essentiel de l’activité de notre assemblée est organisé pour et autour de la production législative, alors que c’est elle qui, année après année, nous décrédibilise. À l’inverse, la place accordée au contrôle demeure extrêmement marginale, en dépit de quelques efforts ponctuels, alors que c’est lui qui peut permettre à l’Assemblée de retrouver un rôle valorisant.
Mais il est important de préciser la nature du contrôle à exercer. Il ne s’agit pas d’un contrôle technique ou financier. L’Assemblée n’a pas à doublonner les différents corps d’inspection ou la Cour des comptes.
Il ne s’agit pas plus d’un contrôle politique. Trop souvent le contrôle est en effet utilisé par l’opposition comme un moyen de mettre en difficulté le Gouvernement.
Le contrôle doit se situer à un autre niveau, celui de l’action publique. Au fond, il s’agit de procéder à l’examen des missions de l’État – examen d’ailleurs prévu initialement par la LOLF, mais jamais réellement effectué – et vérifier que les objectifs de l’action publique sont clairs et le mode d’action adapté. L’administration ne peut pas faire ce travail sur elle-même. Quant à l’exécutif et aux ministres, ils sont les plus mal placés pour entreprendre cette tâche. Imagine-t-on un ministre du travail s’interrogeant sur la pertinence de Pôle emploi ? Un ministre de l’intérieur s’étonnant de l’organisation archaïque et corporatiste de nos forces de sécurité ? Un ministre de la santé faisant part de sa perplexité face à l’organisation des urgences ? Et l’on peut également se poser des questions sur les fédérations sportives ou les ordres professionnels.
Toutes ces questions ne sont jamais formulées au niveau politique. Elles sont abordées sous un angle prétendument technique, qui masque en réalité des intérêts particuliers. Il appartient donc aux députés d’ouvrir ces débats en réintroduisant des enjeux d’intérêt général. C’est en tant que parlementaires que nous devons le faire, car nous sommes des parlementaires avant d’être membres de la majorité ou de l’opposition. L’important n’est plus de soutenir ou de critiquer le Gouvernement mais de dire simplement les choses.
En se livrant à ce travail de contrôle de l’action publique, lors de la loi de règlement ou à toute autre occasion, les députés pourront enclencher un processus inédit.
Trois effets bénéfiques sont attendus.
En posant des questions que les gouvernements et les corporatismes évitent soigneusement, les députés font écho à l’inquiétude des Français. Depuis vingt ans en effet, le discours lénifiant de l’exécutif sur le retour de la croissance, alors que l’impuissance publique devient évidente, décrédibilise chaque jour la parole publique. En indiquant tous les dysfonctionnements, le député acquiert une nouvelle valeur. Il cesse d’être vu comme un représentant de partis aujourd’hui discrédités pour redevenir un représentant du peuple – pour utiliser la langue d’aujourd’hui, on dira un « lanceur d’alerte ». Nul besoin alors d’amendement démagogique pour retenir l’attention. Nul besoin non plus de fausse proximité : les députés sont à nouveau écoutés, tout simplement parce que leurs questions audacieuses recoupent les préoccupations des Français.
Deuxième effet bénéfique : face à ces questions d’intérêt général, les marques ou lobbies qui monopolisent le débat politique depuis des années se trouvent dévoilés et déstabilisés. La transparence doit être demandée à ces lobbies.
D’où le troisième effet bénéfique. Les gouvernements, jusqu’à présent pris en otage par la pression continuelle de ces lobbies tout-puissants – on appelle cela l’actualité –, se trouvent à nouveau encouragés à engager de véritables changements. Ils sont incités à concevoir, enfin, l’action publique efficace adaptée à notre époque. Ils le peuvent, parce que les questions des parlementaires desserrent la pression des lobbies et suscitent une attente sur laquelle il est possible de s’appuyer.
Le contrôle n’est pas une nouvelle façon d’alimenter le processus législatif. C’est un moyen pour sortir de l’immobilisme actuel en ouvrant des débats aujourd’hui impossibles. On sort du traditionnel débat institutionnel aujourd’hui dépassé.
Il ne s’agit plus de renforcer le législatif au détriment de l’exécutif, ou l’inverse. En se saisissant pleinement de son pouvoir de contrôle, le Parlement retrouve un rôle majeur. Il redevient crédible dans l’opinion tout en aidant le Gouvernement à s’engager dans une nécessaire reconstruction de l’action publique.
Aussi, sa force retrouvée n’est pas une menace mais un soutien pour l’exécutif. Dans cet esprit, il serait insuffisant de se contenter de renforcer notre fonction de contrôle, comme tout le monde le demande désormais. Il faut en effet aller beaucoup plus loin : c’est autour de cette mission de contrôle, et non plus autour de la mission législative que nous devons imaginer et bâtir le Parlement de demain.
Mes chers collègues, comme les frondeurs, nous ne supportons plus le rôle ingrat de godillot auquel nous sommes réduits – il y a des godillots de la majorité, mais il y en a aussi de l’opposition –, un rôle qui n’est valorisant que lorsque l’exécutif procède à d’ambitieuses réformes, ce qui ne s’est pas vu depuis longtemps ; un rôle très humiliant dans le train-train quotidien. Mais, à la différence des frondeurs, je ne crois pas que nous valorisons notre rôle par des initiatives législatives. Au contraire, nous risquons d’ajouter encore de la confusion à la confusion.
Mes chers collègues, il est pénible de le reconnaître : le Parlement est davantage victime de sa propre routine que du déséquilibre institutionnel entre le législatif et l’exécutif. Mais il peut s’éveiller demain ; il le peut sans demander l’autorisation à personne, car il n’a pas à quémander de nouveaux droits auprès de l’exécutif. Il lui suffit de le vouloir.
Pour cela, il n’a qu’à se saisir pleinement de sa mission de contrôle qu’il dédaigne aujourd’hui. C’est par ce nouvel exercice du pouvoir que le Parlement retrouve un rôle positif et redonne des marges de manoeuvre à un exécutif aujourd’hui tétanisé. Le voulons-nous ? Le voulez-vous, mes chers collègues ?
Tel est le sens de cette motion de renvoi en commission. Je ne vous propose pas de vous prononcer sur l’action du Gouvernement. En votant contre, vous signifiez que vous vous accommodez de la pratique parlementaire actuelle. En votant pour, vous indiquerez qu’il est urgent de changer cette pratique défaillante en mettant au coeur de notre travail notre fonction de contrôle.