Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, entre 2010 et 2012, je suis intervenu à quatre reprises à cette tribune pour dénoncer les plans de sauvetage européens et mettre en garde devant la folie qui consistait à s’en porter garant.
Le 31 mai 2010, je concluais : « Comment pouvez-vous nous demander d’apporter la garantie de la France pour 110 milliards d’euros – excusez du peu – tout en soutenant une politique d’ajustement qui empêchera les pays que vous prétendez aider de s’en sortir, donc de nous rembourser. La Grèce, vous le savez déjà, ne pourra pas nous rembourser, mais les banques sont habiles : elles seront remboursées, elles, et c’est le contribuable qui sera une nouvelle fois le dindon de la farce. »
J’ajoutais, le 6 septembre 2011 : « Un ballon d’oxygène financier va certes être apporté à Athènes, mais au prix d’un supplice inouï pour le peuple et l’économie grecs, qui ne s’en relèveront pas. Cette thérapie de choc va tuer la Grèce, car cette dernière sera bien incapable de redresser sa compétitivité et sa croissance, définitivement martyrisées par l’impossibilité de dévaluer. Oui, mes chers collègues, ajoutais-je à l’époque, c’est là le point central : on n’a jamais vu dans l’histoire l’économie d’un pays rebondir sans dévaluation. La rigueur est efficace quand, parallèlement, on stimule le moteur économique par une dévaluation ». On a vu le résultat : c’est un fiasco total.
« La Grèce, ajoutais-je encore, sera prochainement dans l’obligation de restructurer sa dette et de sortir de l’euro. Mais voilà le tabou ».
Depuis cinq ans, mes chers collègues, rien n’a changé, pour une raison très simple : les faits économiques et monétaires sont têtus. Ce qui devait arriver arrive et nous sommes aujourd’hui dans la pire des situations, car le peuple grec a souffert comme jamais un peuple en temps de paix et cette souffrance a été inutile en l’absence d’une dévaluation compétitive pour restaurer ses forces productives.
Cette humiliation collective explique le sursaut de dignité de dimanche dernier. Ne pas comprendre cette réalité, c’est s’exposer demain à des troubles encore plus graves. Mais, à l’inverse, il faut comprendre l’inquiétude des contribuables français et allemands qui ne veulent plus verser à fonds perdus. Ce choc frontal de deux logiques démocratiques, également légitimes, est tragique pour l’Europe.
Mais à qui la faute ? Certainement pas aux peuples : les Grecs, qui ne veulent plus souffrir pour rien ; les autres, qui ne veulent plus payer pour rien. La responsabilité est celle des dirigeants – c’est votre responsabilité ! – qui ont voulu plaquer l’euro sur des économies, des cultures et des démocraties profondément différentes – une chimère qui se fracasse aujourd’hui sous nos yeux, comme l’avait prédit ici même, à cette tribune, il y a vingt ans, Philippe Séguin, une chimère qui ne peut pas absorber les réalités économiques si différentes entre Hambourg et Athènes, entre Lisbonne et Amsterdam.
Nous sommes aujourd’hui à l’instant de vérité : soit vous mettez une rustine de plus – 30 à 50 milliards, selon les estimations de la Grèce et du FMI – pour tenir, six mois, un an, deux ans au grand maximum ; soit vous organisez une sortie en douceur de la Grèce de la zone euro. Cela passe par un rééchelonnement à long terme de cette dette, permettant à l’économie grecque de redémarrer, et par une dévaluation compétitive pour doper ses entreprises. Il n’y aura aucun chaos, contrairement à ce que vous voulez faire croire, et la Grèce pourra enfin voler de ses propres ailes,…